
Selon l’art. 835 du code de procédure civil français, le juge des référés [nos mesures provisionnelles et superprovisionnelles], soit le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Selon l’art. L.2312-15 du code du travail, le comité social et économique (CSE) émet des avis et des vœux dans l’exercice de ses attributions consultatives. Il dispose à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations. Il a également accès à l’information utile détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions légales relatives à l’accès aux documents administratifs. Le comité peut, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Le juge statue dans un délai de huit jours. L’employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée aux avis et vœux du comité.
Dans le cas d’espèce, l’employeur entendait procéder à un « déploiement de nouvelles applications informatiques mettant en œuvre des procédés « d’intelligence artificielle ». Le CSE a demandé, à plusieurs reprises, d’être consulté sur l’introduction de ces outils. Il a saisi le juge des référés pour demander, notamment, la suspension du projet d’application de l’intelligence artificielle jusqu’à ce qu’il ait pu rendre son avis. Le CSE soutient que les applications informatiques soumises à consultation ont été mises en œuvre sans attendre qu’il rende son avis, ce qui constituerait un trouble manifestement illicite et une entrave à ses prérogatives.
L’Ordonnance de référé rendue le 14 février 2025 par le Tribunal judiciaire de Nanterre (No RG 24/01457) considère notamment que le déploiement des outils informatiques en cause est en phase pilote depuis plusieurs mois, phase qui implique notamment certaines formation des salariés. Il ne s’agit dès lors pas d’une simple expérimentation, mais bien de la mise en œuvre effective des applicatifs informatiques soumis à la consultation du CSE. Or celui-ci n’a pas encore rendu son avis. Le déploiement anticipé de ces outils d’intelligence artificielle constitue dès lors un trouble manifestement illicite. Il est donc suspendu, et une astreinte est notamment prononcée contre l’employeur.
NB : c’est, à ma connaissance, la première décision de ce type en France, partagée par Me Saba Parsa sur linkedin
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM