Puis-je appeler mon enfant Titeuf ?

Les juridictions françaises se penchent parfois sur des cas stupéfiants :

Aux termes de l’art. 57, al. 3 et 4, c. civ., lorsque ces prénoms ou l’un d’eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. Si le juge estime que le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l’état civil. Il attribue, le cas échéant, à l’enfant un autre prénom qu’il détermine lui-même à défaut par les parents d’un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l’état civil de l’enfant.

Il est constant que le choix du prénom par les parents revêt pour eux un caractère intime et affectif et qu’il entre dans la sphère de leur vie privée, laquelle est garantie par la Convention européenne des droits de l’homme. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants conformément à l’art. 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 nov. 1989 applicable directement devant les tribunaux français. Il convient donc de rechercher si le prénom Titeuf est ou non conforme à l’intérêt de l’enfant.

Les appelants ne contestent pas que « Titeuf » est un personnage de bande dessinée créé par l’auteur Zep qui lui a inventé ce nom après l’avoir dessiné avec une tête ronde et une grande mèche de cheveux faisant penser à un « petit oeuf » devenu « ptit euf » puis « titeuf ». Ce personnage n’a d’ailleurs pas de nom patronymique de sorte que Titeuf est son nom.

Comme le relève avec pertinence le premier juge, le personnage de Titeuf est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe ; l’ouvrage intitulé Guide du zizi sexuel est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l’ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision. Il s’agit d’un personnage caricatural, bien que plutôt sympathique, destiné à faire rire le public en raison de sa naïveté et des situations ridicules dans lesquelles il se retrouve.

C’est donc à bon droit et par des motifs exacts et pertinents que le premier juge a considéré que le prénom Titeuf n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant au motif qu’il est de nature à attirer les moqueries tant de la part des enfants que des adultes en raison de la grande popularité du personnage en France depuis plusieurs années, et que l’association du prénom Titeuf au personnage de préadolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l’enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles.

Il s’ensuit que le premier juge a fait une exacte appréciation des faits de la cause et que le jugement déféré doit être confirmé.

(Cour d’appel de Versailles, 7 octobre 2010, no 10/04665 ; on lira le texte et le commentaire de François Chénedé ici : https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/MARS_2012/AJFAM2011-53.pdf)

Remerciements à Raphaël Costa, dont la lecture (Anthologie des jurisprudences insolites, Paris 2020) devrait être obligatoire pour les juristes….

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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