Résumé de l’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 12 mars 2025 (n° 23-18.111) :
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société BT contre une décision de la cour d’appel de Paris ayant jugé que le licenciement d’un salarié, M. [W], était dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’affaire concerne un licenciement prononcé après une enquête interne menée à la suite de l’exercice d’un droit d’alerte par un délégué du personnel. Ce dernier avait transmis des courriels de collaborateurs dénonçant des comportements managériaux inappropriés de M. [W] (colères, propos humiliants, plaisanteries déplacées, gestion partiale des primes). L’employeur s’était appuyé sur cette enquête pour motiver le licenciement.
La cour d’appel avait cependant écarté la valeur probante de cette enquête, relevant que les comptes rendus d’audition n’étaient ni signés par les salariés entendus ni assortis d’attestations émanant de ceux-ci. De plus, les courriels transmis par le délégué du personnel n’établissaient pas de manière certaine l’identité de leurs auteurs. Enfin, le salarié licencié produisait une attestation selon laquelle certains des salariés ayant participé à l’enquête nourrissaient une hostilité personnelle à son égard, dans le contexte d’un rachat mal vécu par une partie des effectifs.
Devant la Cour de cassation, l’employeur faisait valoir plusieurs arguments, fondés notamment sur la liberté de la preuve en matière prud’homale, la régularité de l’enquête conduite avec un délégué du personnel, et l’absence de contestation préalable du salarié sur la validité de l’enquête. Il reprochait également à la cour d’appel de ne pas avoir examiné certains courriels produits à l’appui de ses griefs.
La Haute juridiction rejette toutefois le pourvoi. Elle considère que la cour d’appel a bien exercé son pouvoir souverain d’appréciation en confrontant les résultats de l’enquête interne aux autres éléments du dossier, et en concluant que les griefs n’étaient pas suffisamment établis pour justifier le licenciement. En application du principe du doute qui profite au salarié, elle a pu valablement retenir l’absence de cause réelle et sérieuse.
Enseignements clés pour les enquêtes internes :
Cet arrêt met en lumière plusieurs points fondamentaux à l’attention des praticiens, notamment suisses, du droit du travail et des enquêtes internes. D’une part, il confirme que, si l’enquête interne n’est pas soumise à un formalisme strict, sa force probante dépend fortement de la manière dont elle est documentée : les propos recueillis doivent être attribuables à leurs auteurs, idéalement par des signatures ou des attestations. À défaut, l’enquête risque d’être considérée comme insuffisamment probante, en particulier si des éléments extérieurs (comme un conflit d’intérêts) jettent un doute sur la sincérité des témoignages.
D’autre part, la Cour rappelle implicitement l’importance de la rigueur méthodologique dans la conduite des investigations : qualité de la traçabilité, vérification de l’identité des personnes, croisement des preuves, contextualisation des propos.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
