Actes de concurrence déloyale de l’employé qui copie des données de l’employeur

On pense toujours à la clause de prohibition de non concurrence dans les contrats de travail. On oublie souvent que l’employé peut aussi se rendre coupable d’actes de concurrence déloyale, ce qui peut donner lieu à des mesures provisionnelles contre l’employé.

Résumé de l’arrêt ACJC/421/2025 du 25 mars 2025 rendu par la Cour de justice du canton de Genève, dans une affaire mêlant droit du travail et concurrence déloyale :

Faits

La société A______ SA, active dans la sélection et le placement de personnel, a engagé Madame B______ comme consultante RH dès le 1er juillet 2024, contrat à durée indéterminée. Celui-ci comportait des clauses de confidentialité et de non-concurrence : interdiction de concurrencer l’employeur pendant une année après la fin du contrat, notamment dans le domaine du placement de personnel à Genève. De plus, une charte informatique interdisait la synchronisation de fichiers sur des appareils privés.

Alors en arrêt maladie en novembre 2024, B______ a téléchargé depuis son ordinateur professionnel plusieurs fichiers confidentiels, notamment une liste de 1’574 clients, des documents internes de calcul de marges, ainsi que des fichiers relatifs aux activités de prospection. Le 2 décembre, elle annonce sa démission pour le 2 janvier 2025. Le lendemain, A______ SA découvre les téléchargements. Lors d’un entretien le 5 décembre, B______ reconnaît les faits, affirme avoir transmis les documents à sa messagerie personnelle mais soutient que les documents ont été téléchargés par erreur et promet de ne pas les utiliser ni contacter les clients.

Le contrat est résilié avec effet immédiat par l’employeur le 5 décembre. Le 6 décembre, A______ SA saisit la Cour de justice de Genève d’une requête de mesures superprovisionnelles, puis provisionnelles, pour interdire toute utilisation ou diffusion des données téléchargées ainsi que tout contact avec sa clientèle.

Procédure

Par décision du 10 décembre 2024, la Cour accorde à titre superprovisionnel l’interdiction de consultation, copie, exploitation ou communication des documents téléchargés, sous menace de l’art. 292 CP. Un délai de dix jours est imparti à B______ pour répondre.

B______ répond par courrier le 27 décembre (puis à nouveau le 31), contestant toute intention déloyale, réaffirmant que les fichiers ont été restitués, et précisant qu’elle travaille depuis janvier 2025 dans un autre domaine d’activité. Elle conclut au rejet de la requête. La société A______ SA réplique en insistant sur les risques de préjudice, arguant également de la tardiveté de la réponse.

Compétence et recevabilité

La Cour confirme sa compétence tant matérielle que territoriale. Elle retient que la réponse de B______ est tardive (le délai expirait le 26 décembre), et donc irrecevable. Elle ajoute que même si la réponse avait été recevable, elle n’apportait aucun élément nouveau par rapport à ce que B______ avait déjà admis en entretien.

Mesures provisionnelles

La Cour rappelle que l’octroi de mesures provisionnelles selon l’art. 261 CPC suppose la vraisemblance (i) d’un droit menacé et (ii) de l’existence d’un préjudice difficilement réparable. Elle rappelle également que les mesures doivent être proportionnées et nécessaires.

En droit de la concurrence, la LCD (loi fédérale contre la concurrence déloyale) protège la loyauté de la concurrence sur le marché, non pas la bonne foi en général. Il n’est pas nécessaire que l’auteur soit un concurrent direct, mais son comportement doit objectivement fausser la concurrence (art. 2 LCD). L’exploitation indue de résultats de travail confiés, comme des bases de données ou listes de clients, est prohibée (art. 5 let. a et c LCD). De telles données, dès lors qu’elles sont exploitables, constituent un « produit prêt à être mis sur le marché » au sens de la LCD, même si elles ne sont pas destinées à la vente.

Application au cas d’espèce

La Cour estime que B______ a vraisemblablement violé les art. 2, 5 let. a et c LCD. Elle a reconnu le téléchargement des fichiers, hors du cadre strict de ses fonctions. L’affirmation selon laquelle les clients seraient « les siens » n’est ni expliquée ni rendue vraisemblable. Le fait que certains documents aient été téléchargés « par erreur » est jugé sans incidence. La Cour estime qu’il n’est pas exclu que B______ ait conservé des copies ou qu’elle soit tentée d’en faire usage dans le cadre de son nouvel emploi, dont le domaine exact reste flou. L’exploitation des données serait susceptible d’entraîner un préjudice économique difficilement réparable pour A______ SA, notamment par perte de clientèle.

Inversement, les mesures sollicitées ne portent pas atteinte de manière significative aux droits de B______ puisque celle-ci s’était engagée, lors de la réunion le 5 décembre, à ne pas utiliser lesdites données ni contacter les clients. Elle ne démontre pas de raison objective pour s’opposer aux mesures si elle entend réellement respecter ses engagements.

La Cour conclut que les conditions de l’art. 261 CPC sont remplies. Les mesures demandées sont donc admises, avec menace de l’art. 292 CP, qui sanctionne le non-respect d’une décision judiciaire.

Dispositif

B______ se voit interdire toute utilisation, sous quelque forme que ce soit, des documents téléchargés et des données qu’ils contiennent, ainsi que tout contact avec les clients de son ex-employeur. La société A______ SA dispose de 60 jours pour ouvrir une action au fond, faute de quoi les mesures seront caduques. Les frais de justice (1’500 CHF) sont mis à la charge de B______, qui doit en outre rembourser ce montant à la requérante et lui verser 2’500 CHF à titre de dépens.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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