Les plateformes de notation des employeurs par les employés

La Cour d’appel de Paris a été saisie par la société NOVAMINDS, spécialisée dans le conseil en gouvernance et cybersécurité, à la suite de la publication sur le site internet Glassdoor.fr d’un avis négatif laissé par un internaute se présentant comme un ancien salarié. L’avis en question, intitulé « Plus au niveau », attribuait à NOVAMINDS une note de deux étoiles sur cinq et critiquait notamment le manque d’attention au bien-être des consultants, un management jugé pléthorique et une fuite des talents. L’entreprise, s’estimant atteinte dans sa réputation, a adressé une notification de contenu illicite à GLASSDOOR en sollicitant la suppression de cet avis. Faute de réponse favorable, elle a engagé une procédure judiciaire devant le président du tribunal judiciaire de Paris, qui a rejeté sa demande. NOVAMINDS a interjeté appel de ce jugement, sollicitant l’infirmation de la décision et la suppression de l’avis en cause.

La société appelante fondait principalement sa demande sur deux arguments. D’une part, elle considérait que l’avis contrevenait à la clause de réserve figurant dans ses contrats de travail, qui interdit aux salariés, y compris après la fin de leur contrat, de tenir des propos dénigrants à l’encontre de l’entreprise, de ses dirigeants ou de ses clients. D’autre part, elle estimait que les propos diffusés étaient dénigrants au sens du droit commun de la responsabilité civile et qu’ils portaient atteinte à sa réputation commerciale.

La cour a commencé par rappeler les conditions dans lesquelles des mesures de retrait peuvent être ordonnées en application de l’article 6-I-8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Ce texte permet au juge de prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser un dommage causé par un contenu en ligne. Toutefois, de telles mesures ne peuvent être décidées qu’à la condition que le contenu en cause soit effectivement illicite, que le dommage soit caractérisé et que la mesure sollicitée soit nécessaire, proportionnée et respectueuse des libertés fondamentales, en particulier du droit à la liberté d’expression et au respect de la vie privée.

S’agissant du premier fondement avancé par NOVAMINDS, la Cour a considéré que si la clause de réserve invoquée était bien insérée dans les contrats de travail de l’entreprise et étendue à la période post-contractuelle, elle ne saurait pour autant priver les salariés ou anciens salariés de toute liberté d’expression quant à leur expérience professionnelle. Ainsi, le fait pour un salarié de critiquer publiquement son ancien employeur ne constitue pas nécessairement une violation de cette clause. Pour que celle-ci puisse être utilement invoquée, encore faut-il démontrer que les propos tenus sortent du cadre de la critique admissible. En l’espèce, la Cour a constaté que les termes employés dans l’avis litigieux, bien que critiques et ironiques, ne présentaient pas de caractère outrancier ou excessif. Ils ne contenaient pas non plus d’éléments objectivement faux ou mensongers avérés. L’impossibilité de vérifier, en raison de l’anonymat garanti par la plateforme, si l’auteur de l’avis était effectivement lié par une telle clause n’a pas été jugée déterminante. En tout état de cause, la clause de réserve ne saurait interdire toute expression d’un ressenti ou d’un vécu professionnel dès lors que celui-ci est exprimé avec mesure.

Concernant le second argument, relatif au caractère dénigrant de l’avis, la Cour a précisé la notion de dénigrement. Celui-ci se caractérise par la divulgation d’informations susceptibles de jeter le discrédit sur une entreprise, en dehors de tout débat d’intérêt général, sans base factuelle suffisante et dans des termes dépourvus de mesure. Or, dans le cas d’espèce, le commentaire ne portait pas sur la qualité des produits ou des services de NOVAMINDS mais sur le fonctionnement interne de l’entreprise, notamment sa gestion managériale et les conditions de travail. Ces sujets, selon la Cour, sont précisément ceux sur lesquels les plateformes comme Glassdoor sont conçues pour recueillir des témoignages d’employés, qu’ils soient favorables ou critiques. L’avis incriminé ne constituait donc pas un acte de concurrence déloyale, ni une atteinte directe à l’image commerciale de la société. Il exprimait une opinion personnelle, dans un cadre prévu à cet effet, et s’inscrivait dans le champ de la liberté d’expression. Le terme « marché » employé dans l’avis renvoyait d’ailleurs au marché de l’emploi et non au marché économique sur lequel l’entreprise évolue, comme le soutenait NOVAMINDS.

La Cour a également souligné que les inexactitudes alléguées par la société, telles que le nombre de niveaux hiérarchiques ou l’effectif exact à la date de publication, ne suffisaient pas à rendre l’avis illicite. Ces éléments relèvent d’une appréciation subjective ou peuvent évoluer dans le temps, et leur approximation n’ôte pas à l’avis son caractère d’opinion légitime. Par ailleurs, l’entreprise ne pouvait exiger de GLASSDOOR qu’elle révèle l’identité de l’auteur de l’avis, l’anonymat étant consubstantiel à la nature du site et protégé par les principes de protection des données à caractère personnel.

En conclusion, la Cour a considéré que l’avis en cause ne présentait pas de caractère illicite. Il ne méconnaissait ni la clause contractuelle invoquée, ni les limites de la liberté d’expression. Dès lors, aucune mesure de retrait ne pouvait être ordonnée. Le préjudice invoqué par NOVAMINDS, tant économique que réputationnel, n’était pas démontré de manière probante. En conséquence, la Cour a confirmé la décision de première instance en toutes ses dispositions, rejeté l’ensemble des demandes formulées par NOVAMINDS, et l’a condamnée aux dépens d’appel ainsi qu’à verser à la société GLASSDOOR une indemnité de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

(Cour d’appel de Paris du 7 mai 2025, RG no 23/18809)

Cet arrêt rappelle que le droit à la critique de l’employé, même négative, est protégé lorsque l’expression reste mesurée, factuelle ou relevant d’un vécu sincère. Pour les directions des ressources humaines, il constitue un repère important sur les limites des clauses de réserve et sur les recours envisageables en matière de réputation en ligne. L’entreprise ne peut obtenir la suppression d’un avis défavorable que si elle démontre une atteinte caractérisée, fondée sur des propos manifestement illicites, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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