Panama Papers et protection de la personnalité de l’employé

Le recourant [avocat, collaborateur de l’employeur associé dans une Etude] invoque encore une violation des art. 28a al. 3 CC, 42 al. 2 CO, 43 al. 1 CO, 49 CO et 55 CO, qui résulterait d’un établissement arbitraire des faits: l’intimé [l’associé employeur] aurait porté atteinte à sa personnalité, puisque son étude aurait été associée à l’affaire des  » Panama Papers « ; ceci lui aurait causé un dommage ainsi qu’un tort moral. 

 Selon l’instance précédente, le recourant n’avait pas rendu vraisemblable un quelconque comportement répréhensible de l’employeur à son encontre, ni pendant la relation contractuelle, ni après celle-ci, de sorte qu’il fallait retenir qu’il n’y avait pas d’atteinte à sa personnalité au sens de l’art. 328 al. 1 CO. En particulier, le recourant n’était qu’un collaborateur subordonné dans l’étude qui, au demeurant, n’était pas organisée sous une forme intégrée. Ainsi, que l’étude ait par hypothèse été en charge de dossiers dévoilés par le scandale des  » Panama Papers  » ne signifiait pas encore que le recourant ait travaillé sur ces dossiers et que sa réputation ait été atteinte par ces révélations. Quant au dommage allégué par le recourant, correspondant à la différence entre son salaire effectif au moment des faits et celui auquel il aurait pu prétendre sans cette hypothétique atteinte, il n’avait pas démontré que ses chances sur le marché du travail avaient été réduites, singulièrement dans l’administration publique ou la magistrature, comme il l’alléguait. Dans ce contexte, il n’était pas suffisant d’affirmer qu’il aurait pu gagner 20’000 fr. de plus par an en exerçant dans le secteur public, spécifiquement en tant que juge au Tribunal administratif fédéral: postuler à cette fonction ne signifiait pas encore être élu à celle-ci. Le recourant n’avait en outre produit aucun document démontrant que sa candidature avait été écartée en raison de son activité antérieure dans l’étude de l’intimé; il affirmait au contraire avoir retiré lui-même sa postulation. S’agissant de son prétendu tort moral, le recourant n’en fournissait pas la moindre preuve; il n’alléguait d’ailleurs aucune incapacité de travail, ni traumatisme ou suivi médical. 

 En substance, la critique qu’adresse le recourant à l’arrêt cantonal peut être résumée en deux points: 

— D’une part, il reproche à l’instance précédente d’avoir nié toute atteinte à sa personnalité. Dénonçant un établissement arbitraire des faits, il prétend avoir prouvé à satisfaction en première instance que l’étude dont l’intimé était l’un des associés était très fortement impliquée dans le scandale des  » Panama Papers  » en 2016; son nom ressortait à ses dires plus de 150 fois dans les banques de données publiées dans ce contexte. L’intimé n’aurait par ailleurs pris aucune mesure pour protéger la personnalité du recourant, notamment pour éviter tout amalgame entre ce dernier et l’affaire en cause; il aurait même délibérément provoqué cette confusion. 

— D’autre part, le recourant fait valoir que la cour cantonale aurait, de manière arbitraire, nié qu’un dommage était établi. Il aurait pourtant démontré qu’en raison du scandale en cause, il avait été contraint de taire son expérience professionnelle de quatre ans et demi pour l’intimé et qu’il avait de ce fait été incapable de postuler à des postes du secteur public correspondant à son niveau de carrière, soit notamment à celui de juge administratif fédéral ou de cadre. Son dommage s’élèverait ainsi à la somme de 40’000 fr., soit à la différence entre le salaire qu’il avait perçu entre 2017 et 2019 et celui d’un « juge au Tribunal administratif fédéral à 60% ou pour un emploi équivalent dans d’autres unités du secteur public à classe salariale comparable, cela pendant deux ans ». Subsidiairement, si la Cour de céans devait par impossible estimer que le dommage n’a pas été prouvé, le recourant requiert qu’elle le détermine équitablement sur la base des art. 42 al. 2 CO et 43 al. 1 CO. Enfin, il estime que l’autorité précédente aurait, de manière insoutenable, retenu qu’il n’avait ni allégué ni prouvé une incapacité de travail; si on le saisit bien, il prétend par-là avoir démontré l’existence d’un tort moral.

 Sans qu’il ne l’explicite, le recourant reproche à la cour cantonale d’avoir violé l’art. 328 CO. Avant d’examiner les mérites de ses critiques, il convient de rappeler certains principes juridiques. 

L’employeur a un devoir général d’assistance envers le travailleur dont les contours sont définis par les règles de la bonne foi ( Fürsorgepflicht; art. 2 al. 1 CC). Il s’explique par le lien de subordination qui caractérise cette relation contractuelle: le salarié doit observer les instructions qui lui sont données (art. 321d al. 2 CO) et faire preuve de diligence et de fidélité (art. 321a CO). En contrepartie, l’employeur lui doit assistance, protection et respect de sa personnalité (art. 328 CO; arrêt 4A_479/2020 du 30 août 2022 consid. 4.1 et les références citées). 

Les droits de la personnalité englobent l’ensemble des valeurs essentielles – physiques, affectives et sociales – liées à la personne humaine, notamment la vie, l’intégrité physique et psychique, l’honneur, la considération sociale et professionnelle (arrêts 4A_479/2020 précité consid. 4.1; 5A_612/2019 du 10 septembre 2021 consid. 6.1.2; 4A_610/2018 du 29 août 2019 consid. 5.1).

La violation des obligations prévues à l’art. 328 CO entraîne la responsabilité contractuelle (art. 97 ss CO) de l’employeur pour le préjudice matériel et/ou, aux conditions fixées par l’art. 49 al. 1 CO (cf. art. 99 al. 3 CO), pour le tort moral causé au travailleur (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2; 130 III 699 consid. 5.1; arrêts 4A_51/2024 du 10 décembre 2024 consid. 5.3.1; 4A_610/2018 précité consid. 5.1).

L’art. 49 al. 1 CO prévoit que celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement; l’atteinte doit avoir une certaine gravité objective et avoir été ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne, dans ces circonstances, s’adresse au juge pour obtenir réparation. Savoir si une atteinte à la personnalité est suffisamment grave pour justifier l’allocation d’une telle somme dépend des circonstances du cas d’espèce. La fixation de l’indemnité pour tort moral est une question d’appréciation, de sorte que le Tribunal fédéral ne la revoit qu’avec retenue (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2; 130 III 699 consid. 5.1; arrêt 4A_610/2018 précité consid. 5.1).

 Le recourant reproche à l’instance précédente d’avoir nié toute atteinte à sa personnalité. À l’appui de sa critique, il ne propose toutefois qu’une argumentation appellatoire, soit sa propre appréciation du dossier fondée sur des faits ne résultant pas de la décision querellée. Il en va ainsi de ses développements construits autour de l’affaire des  » Panama Papers « , puisqu’il ne ressort pas de l’arrêt cantonal que le nom de l’étude de l’intimé aurait été publiquement cité dans ce contexte, ni qu’une telle publication aurait concrètement atteint le recourant dans sa personnalité. À ce propos, l’affirmation du recourant selon laquelle l’intimé aurait favorisé un amalgame entre le recourant et le scandale en cause est insaisissable et manifestement infondée. Au demeurant, le recourant ne se conforme pas aux règles applicables en matière de complètement de l’était de fait pour requérir le constat des faits sur lesquels il construit sa critique ; il ne précise notamment pas où les faits en cause auraient été allégués conformément aux règles de la procédure; or, il n’appartient pas à la Cour de céans de les rechercher dans le dossier de la procédure cantonale. Ce pan de la critique est donc irrecevable. En l’absence de violation de l’art. 328 CO, toute responsabilité de l’intimé peut déjà être niée. 

Mais il y a plus. Le recourant critique également l’arrêt cantonal en tant qu’il nie l’existence d’un dommage. Dans ce contexte, sa critique prend à nouveau appui sur des faits non constatés. Il allègue avoir subi une perte de gain correspondant à la différence entre le salaire qu’il a perçu entre 2017 et 2019 et le salaire de juge administratif fédéral ou de cadre dans le secteur public qu’il aurait touché sans la violation contractuelle de l’intimé (qui n’est pas établie). Il ne saurait sérieusement en être question: le recourant n’apporte pas la moindre preuve qui accréditerait le fait qu’il aurait accédé à ces fonctions sans cette prétendue atteinte: en l’état, rien ne démontre que ces postes lui auraient été refusés en raison d’hypothétiques faits répréhensibles qu’il tente d’imputer à l’intimé. C’est donc sans arbitraire que la cour cantonale a jugé que l’existence d’un dommage n’était pas établie.

En ce qui concerne l’art. 42 al. 2 CO, dont le recourant requiert l’application, ce dernier ne démontre pas en quoi la cour cantonale l’aurait violé; et pour cause, son application ne devant intervenir que lorsqu’il est objectivement impossible pour le demandeur d’apporter la preuve stricte du dommage ou que l’on ne peut raisonnablement l’exiger (arrêts 4A_431/2015 du 19 avril 2016 consid. 5.1.2; 4A_709/2011 du 31 mai 2012 consid. 3.3.2), ce qui n’est manifestement pas le cas ici pour la perte de gain alléguée. Il s’ensuit que la preuve du dommage devait être apportée conformément à l’art. 42 al. 1 CO.

Enfin, s’agissant du tort moral, le recourant se contente d’affirmer que la cour cantonale aurait arbitrairement retenu qu’il n’avait ni allégué, ni prouvé une incapacité de travail. Sa critique ne répond manifestement pas aux exigences applicables en matière d’arbitraire, de sorte qu’elle s’avère irrecevable (cf. supra consid. 2.3). 

Il en résulte que le recourant échoue à démontrer que la cour cantonale aurait violé les art. 28a al. 3 CC, 42 al. 2 CO, 43 al. 1 CO, 49 CO, 55 CO et 328 CO; le grief tiré de la responsabilité de l’intimé ne peut ainsi qu’être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

(TF 4A_285/2024 du 7 juillet 2025, consid. 6)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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