Permis d’acquisition d’arme, visite domiciliaire

4.1. La loi fédérale du 20 juin 1997 sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions (LArm; RS 514.54) a pour but de lutter contre l’utilisation abusive d’armes, d’accessoires d’armes et de munitions (art. 1 al. 1 LArm). Elle trouve son fondement dans l’art. 107 al. 1 Cst. – qui prévoit que la Confédération légifère afin de lutter contre l’usage abusif d’armes notamment – et vise à protéger l’ordre public et la sécurité des personnes et des biens par un contrôle accru de l’achat et du port d’armes individuelles (cf. arrêt 6B_650/2022 et 6B_664/2022 du 12 décembre 2024 consid. 3.1.1, destiné à la publication). 

4.2. Selon l’art. 8 al. 1 LArm, toute personne qui acquiert une arme ou un élément essentiel d’arme doit être titulaire d’un permis d’acquisition d’armes. L’art. 8 al. 2 LArm prévoit des motifs d’exclusion d’une telle délivrance. Aucun permis n’est notamment délivré aux personnes dont il y a lieu de craindre qu’elles utilisent l’arme d’une manière dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui (art. 8 al. 2 let. c LArm). 

Le motif d’exclusion prévu à l’art. 8 al. 2 let. c LArm traduit le risque d’utilisation abusive des armes. Les individus souhaitant posséder des armes doivent être particulièrement fiables compte tenu des dangers accrus que présentent ces objets (arrêt 2C_586/2024 précité consid. 4.1.2 et les arrêts cités). Ce n’est notamment pas le cas des personnes qui souffrent d’une maladie psychique, qui sont alcooliques ou qui présentent des tendances suicidaires. La question de savoir s’il y a lieu de supposer une mise en danger de soi ou d’autrui au sens de l’art. 8 al. 2 let. c LArm doit être tranchée de façon décisive en fonction du comportement global de la personne concernée et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes (cf. arrêt 2C_586/2024 précité consid. 4.1.2 et les arrêts cités).

L’autorité compétente doit établir un pronostic sur le risque d’utilisation abusive de l’arme (arrêts 2C_38/2025 du 11 juin 2025 consid. 4.1; 2C_586/2024 précité consid. 4.1.2). Le refus d’un permis d’acquisition d’armes sur la base de l’art. 8 al. 2 let. c LArm ayant un caractère préventif, il n’y a pas lieu de poser des exigences trop élevées quant au danger émanant de la personne. Sur la base des circonstances du cas concret, il doit toutefois exister une probabilité prépondérante et objectivement justifiable d’une mise en danger de soi-même ou d’autrui par l’utilisation d’une arme (arrêts 2C_38/2025 précité consid. 4.1; 2C_586/2024 précité consid. 4.1.3). L’autorité compétente dispose d’un large pouvoir d’appréciation lorsqu’il s’agit d’évaluer le danger lié à l’utilisation d’une arme (cf. arrêt 2C_568/2024 précité consid. 4.1.4).

4.3. Sur le plan cantonal, la loi vaudoise du 5 septembre 2000 sur les armes, les accessoires d’armes, les munitions et les substances explosives (LVLArm; BLV 501.22) prévoit que la Police cantonale, en tant qu’autorité compétente au sens de la LArm, est chargée de statuer en matière de permis d’acquisition d’armes notamment (cf. art. 4 al. 1 et 2 let. a LVLArm). 

(…)

5.2. (…), il faut retenir qu’ il n’existe aucun droit fondamental ou légal absolu à acquérir une arme, qu’une telle acquisition est soumise à une autorisation délivrée par l’autorité compétente et que, dans l’examen des conditions à l’octroi de cette autorisation, ladite autorité doit établir un pronostic sur la fiabilité de la personne requérante en tenant compte de manière déterminante du comportement global de celle-ci et de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas concret, afin de garantir l’ordre et la sécurité publics

6. 

Reste à examiner si, dans l’évaluation du risque d’utilisation abusive de l’arme, l’autorité peut avoir recours à une visite domiciliaire pour établir un pronostic sur la fiabilité de la personne concernée, ce que conteste la recourante.

6.1. La recourante se prévaut à ce sujet d’une application arbitraire (art. 9 Cst.) et contraire au principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) de la « pratique vaudoise » consistant à exiger qu’elle se soumette à une visite domiciliaire dans le cadre de l’examen de sa demande de délivrance d’un permis d’acquisition d’armes, au titre de son devoir de collaborer à l’établissement des faits. Le grief ainsi formulé revient à se plaindre d’une application arbitraire et disproportionnée de la loi vaudoise sur la procédure administrative et de la maxime inquisitoire. 

 6.2. Consacré à l’art. 5 al. 2 Cst., le principe de la proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 148 II 475 consid. 5), commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 149 I 129 consid. 3.4.3). Lorsque la partie recourante s’en prévaut en relation avec le droit cantonal et indépendamment de toute atteinte à un droit fondamental, le Tribunal fédéral ne revoit pas le respect du principe de la proportionnalité librement, mais seulement sous l’angle de l’arbitraire (cf. ATF 143 I 37 consid. 7.5). 

(…)

6.3. Appelé à revoir l’application du droit cantonal sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue que si celle-ci s’avère manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l’équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu’elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 149 I 329 consid. 5.1; 145 II 32 consid. 5.1). Si l’interprétation défendue par l’autorité précédente ne s’avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition en cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (cf. ATF 148 III 95 consid. 4.1; 144 I 113 consid. 7.1). 

 6.4. La nature et la probabilité d’une mise en danger de soi ou d’autrui au sens de l’art. 8 al. 2 let. c LArm sont des questions de fait et peuvent, à ce titre, faire l’objet de mesures d’instructions de la part de l’autorité compétente en vue de clarifier celles-ci (cf. arrêt 2C_38/2025 précité consid. 4.2). La question de savoir quels sont les moyens de preuve admis et comment l’autorité établit les faits pertinents pour prononcer une mesure administrative relève de la procédure administrative, régie en principe par le droit cantonal (ATF 139 II 95 consid. 3.1; arrêt 1C_308/2024 du 3 décembre 2024 consid. 7). 

 6.4.1. En procédure administrative vaudoise, l’art. 28 de la loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA/VD; BLV 173.36) prévoit que l’autorité établit les faits d’office (al. 1), sans être liée par les offres de preuves formulées par les parties (al. 2). Selon l’art. 29 al. 1 LPA/VD, l’autorité peut recourir aux moyens de preuve suivants: audition des parties (let. a), inspection locale (let. b), expertises (let. c), documents, titres et rapports officiels (let. d), renseignements fournis par les parties, des autorités ou des tiers (let. e) et témoignages (let. f). D’autres moyens peuvent être utilisés s’ils sont propres à fournir la preuve et s’il n’en résulte pas une atteinte à la liberté personnelle (art. 29 al. 2 LPA/VD). L’art. 30 LPA/VD précise que les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits dont elles entendent déduire des droits (al. 1). Lorsqu’elles refusent de prêter le concours qu’on peut attendre d’elles, l’autorité peut statuer en l’état du dossier (al. 2). 

 6.4.2. Les art. 28 à 30 LPA/VD consacrent le principe de la maxime inquisitoire, qui prévoit que l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés, sans que cela ne dispense pour autant les parties de collaborer à l’établissement des faits, en particulier ceux qu’elles sont le mieux à même de connaître (cf. ATF 148 II 465 consid. 8.3; 140 I 285 consid. 6.3.1). Il en va ainsi de ceux qui ont trait spécifiquement à la situation personnelle, le devoir de collaboration des parties étant alors spécialement élevé (cf. ATF 148 II 465 consid. 8.3 et la référence citée). En l’absence de collaboration de la partie concernée par de tels faits et d’éléments probants au dossier, l’autorité qui met fin à l’instruction du dossier en considérant qu’un fait ne peut être considéré comme établi ne tombe ni dans l’arbitraire ni ne viole l’art. 8 CC relatif au fardeau de la preuve (ATF 148 II 465 consid. 8.3; 140 I 285 consid. 6.3.1). Il peut en effet arriver que le défaut de collaboration de l’administré empêche l’autorité d’accomplir son devoir d’instruction pour des raisons d’ordre pratique, surtout lorsqu’elle n’est pas en mesure d’établir les faits que la partie est seule à connaître ou à pouvoir dévoiler. Dans cette hypothèse, l’autorité n’a simplement d’autre choix que de statuer en l’état du dossier (cf. ATF 148 II 645 consid. 8.4 et la référence citée). 

 6.5. Dans son arrêt, le Tribunal cantonal a en substance retenu que, d’après l’expérience de la Police cantonale depuis l’entrée en vigueur de la LArm en 1999, il existait un risque potentiel plus grand d’usage auto- voire hétéro-agressif des armes chez les personnes relativement jeunes qui demandaient pour la première fois un permis d’acquisition d’armes, et que rien ne permettait de remettre en doute ce constat. Dès lors que la recourante entrait dans cette catégorie de personnes et que le seul contenu de sa demande de permis d’acquisition d’armes ne permettait pas, selon la Police cantonale, de suffisamment connaître la situation personnelle de l’intéressée dans le but d’évaluer un risque d’utilisation abusive de l’arme, les moyens de preuves envisagés – à savoir l’audition de la recourante, voire l’inspection de son domicile et plus particulièrement de sa chambre à coucher – étaient pertinents et adéquats. L’éventuelle inspection domiciliaire devrait dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité, dès lors qu’il s’agissait, selon la Police cantonale, non pas de procéder à une fouille détaillée de la chambre de la recourante mais uniquement d’observer les lieux, afin de constater d’éventuels signes incompatibles avec la détention d’une arme, comme l’exposition d’emblèmes nazis, une insalubrité ou un syndrome de Diogène, ou encore des indices d’une consommation de stupéfiants ou d’une consommation abusive d’alcool. En tout état de cause, une telle observation, qui serait par ailleurs effectuée par une personne de sexe féminin, serait limitée par l’accord de l’intéressée qui conserverait la possibilité de refuser l’accès à certains lieux. 

Or, puisque la recourante avait refusé toute mesure d’instruction qui allait au-delà du dépôt de sa demande de permis d’acquisition d’armes, il fallait retenir qu’elle n’avait pas satisfait à son obligation de collaborer à l’établissement des faits dans la mesure que l’on pouvait exiger d’elle. La Police cantonale était partant, dans ces conditions, fondée à considérer que les éléments disponibles au dossier étaient insuffisants pour lui permettre d’établir un pronostic quant à l’absence de risque d’utilisation abusive de l’arme par l’intéressée et de déterminer si les exigences légales pour la délivrance du permis sollicité étaient réunies. Il s’ensuivait que la Police cantonale n’avait pas excédé son large pouvoir d’appréciation en refusant d’accorder le permis demandé en l’état du dossier.

6.6. Le raisonnement du Tribunal cantonal ne prête pas le flanc à la critique et ne trahit aucune application arbitraire du droit cantonal. 

Le constat selon lequel, depuis l’entrée en vigueur de la LArm, il a été observé que les jeunes primo-demandeurs d’un permis d’acquisition d’armes présentent un risque accru d’utilisation d’armes d’une manière dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui est un fait qui, à défaut d’avoir été contesté sous l’angle de l’arbitraire par la recourante, lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF; cf. supra consid. 2.2). Sur cette base, il n’était pas insoutenable, pour les juges précédents, de retenir que la Police cantonale pouvait vouloir se renseigner plus en avant sur la situation personnelle de la recourante, afin d’évaluer la probabilité d’un risque d’utilisation abusive d’une arme par celle-ci, et cela malgré le fait qu’elle avait répondu par la négative aux questions posées dans sa demande pour l’acquisition d’armes, soit l’existence d’une procédure pénale en cours, d’une mesure de protection ou d’une maladie pouvant accroître les risques d’utilisation abusive d’une arme.

S’agissant du recours à une inspection du domicile de la recourante, et en particulier de sa chambre à coucher, pour établir un pronostic sur la fiabilité de l’intéressée sous l’angle de la LArm, l’autorité précédente pouvait également, sans verser dans l’arbitraire, retenir que ce moyen restait proportionné au but visé. D’une part, cette visite n’aurait pas été ordonnée d’emblée, dès lors qu’elle supposait l’audition préalable de la recourante. Elle aurait donc été subsidiaire à une mesure d’instruction moins attentatoire aux intérêts privés de l’intéressée. D’autre part, ladite visite n’aurait pas été automatique mais, comme cela ressort des explications de la Police cantonale reprises dans l’arrêt attaqué (art. 105 al. 1 LTF), « éventuelle ». Il faut sur ce point comprendre des explications fournies par la Police cantonale que la visite litigieuse n’aurait été effectuée que si l’audition de l’intéressée n’avait pas permis de connaître suffisamment sa situation personnelle et de fonder un pronostic quant au risque d’utilisation abusive de l’arme sollicitée. Les constatations cantonales ne permettent en effet pas de retenir une quelconque volonté de la Police cantonale de procéder à une visite domiciliaire indépendamment du résultat de l’audition de la recourante. Il faut au contraire considérer que ce n’est que si des doutes sur la fiabilité de l’intéressée au regard de la LArm étaient apparus lors de son audition ou avaient subsisté après celle-ci, qu’une inspection à son domicile aurait été diligentée – de façon justifiable – afin d’exclure ou de confirmer lesdits doutes. Enfin, comme l’ont relevé les juges précédents, la visite aurait dans tous les cas été subordonnée à l’accord de la recourante, tant sur son principe que sur son étendue, et effectuée par une femme.

 6.7. En définitive, c’est sans arbitraire que le Tribunal cantonal a retenu qu’en refusant de donner suite aux mesures d’instruction nécessaires – et par ailleurs proportionnées – pour l’examen de sa demande, la recourante avait manqué à son devoir de collaboration prévu à l’art. 30 al. 1 LPA/VD, qui était d’autant plus élevé en l’espèce qu’il s’agissait d’élucider des faits ayant trait à sa situation personnelle et qu’elle était le mieux à même de connaître. 

Il s’ensuit que c’est également sans arbitraire que le Tribunal cantonal a conclu que, faute de collaboration de l’intéressée, la Police cantonale était fondée à statuer en l’état du dossier en vertu de l’art. 30 al. 2 LPA/VD et à retenir que les éléments disponibles étaient insuffisants pour lui permettre un pronostic quant à l’absence de risque d’utilisation abusive d’une arme par la recourante et, partant, d’admettre que les exigences pour la délivrance d’un permis d’acquisition d’armes étaient remplies.

 6.8. En conclusion, en tant que la recourante invoque une application arbitraire et disproportionnée de la loi vaudoise sur la procédure administrative et de la maxime inquisitoire, le grief est rejeté. 

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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