
A, né en 1965 (ci-après : l’employé), a travaillé au service de B SA (ci-après : l’employeur) depuis le 14 août 1989.
Pour des faits de harcèlement sexuel, et ensuite d’une enquête interne, le 27 mai 2020, l’employeur a résilié le contrat de travail de l’employé pour le 31 août 2020 ; l’employé a été dispensé de son obligation de travailler avec effet immédiat. Le licenciement a été annoncé au sein de B SA par le biais d’un communiqué (en français et en allemand) du 27 mai 2020, placardé sur un tableau d’affichage de l’entreprise, qui indiquait ceci : « [E]n raison de graves infractions aux directives et valeurs de notre entreprise, les rapports de travail avec A ont été résiliés pour fin août 2020. Il quitte B à ce jour ».
Extraits des considérants : (consid. 5)
En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier ; le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO).
L’abus n’est pas obligatoirement inhérent au motif de la résiliation ; il peut également surgir dans ses modalités. La partie qui veut mettre fin au contrat, même pour un motif légitime, doit exercer son droit avec des égards et s’abstenir de tout comportement biaisé ou trompeur. L’employeur doit notamment veiller, dans le cadre d’une résiliation, à ne pas stigmatiser le comportement du travailleur, de manière inutilement vexatoire et au-delà du cercle des intéressés, sous peine de rendre le congé abusif, quand bien même les faits reprochés au travailleur sont exacts (arrêt du TF du 28.04.2017 [4A_485/2016] cons. 2.2.2).
N’importe quelle atteinte à la personnalité (art. 328 CO) ne justifie pas une indemnité, respectivement ne rend pas le licenciement abusif. L’atteinte doit revêtir une certaine gravité objective et doit être ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime de s’adresser au juge afin d’obtenir réparation (ATF 125 III 70 cons. 3a et les réf. cit.). La gravité de l’atteinte à la personnalité suppose en tout cas une atteinte extraordinaire, « dont l’intensité dépasse l’émoi ou le souci habituel, de telle sorte qu’elle peut fonder une prétention particulière contre son auteur, alors que la vie exige de chacun qu’il tolère de petites contrariétés » (arrêt de la Cour de justice du Tribunal cantonal genevois, Chambre des prud’hommes, du 19.05.2020 [CAPH/99/2020] cons. 3.1.2 et 3.2.1, confirmé par arrêt du TF du 01.12.2020 [4A_326/2020] ; cité par le Tribunal civil).
Le Tribunal fédéral a notamment considéré comme violant la personnalité le fait, pour un employeur, en l’occurrence un syndicat, d’évoquer les raisons de se séparer d’un collaborateur devant tous les employés, en les invitant à éviter tout contact avec le collaborateur licencié, et de s’exprimer dans la presse sur la procédure et les origines du licenciement, reprochant à son employé de lui avoir dissimulé son rôle dans la direction d’une secte, ainsi que son attachement à des partis politiques de droite (ATF 130 III 699, JT 2006 I 93).
La Cour de céans a jugé abusif le fait, pour un employeur, d’envoyer une lettre à tous les collaborateurs, les informant de « violations flagrantes et récurrentes » de la Loi sur le service de l’emploi de la part du collaborateur licencié, alors que ce collaborateur ne pouvait se voir imputer une quelconque responsabilité dans les déboires administratifs rencontrés par l’employeur (arrêt de la Cour de céans du 12.09.2017 [CACIV.2017.42]).
Le Tribunal cantonal vaudois a considéré que n’était pas abusif le licenciement d’un médecin accompagné d’un communiqué adressé à certains collaborateurs, qui disait : « [d]ans sa séance du 11 septembre 2004, le Conseil d’administration […] a mis fin, avec effet immédiat, aux activités de X. dans notre hôpital. Le Conseil d’administration a été amené à prendre cette décision sur la base d’un rapport médical externe établi par [un professeur], à propos de quatre cas opérés par X. Même si ce dernier conteste les conclusions de ce rapport qui a été demandé unilatéralement par [l’employeur], le Conseil d’administration est arrivé à la conclusion que X. ne pouvait répondre comme chirurgien-chef à la mission de notre hôpital ». Les juges ont retenu que ce communiqué ne constituait pas une violation des droits de la personnalité du demandeur, car il s’agissait d’une annonce sobre et factuelle du terme, avec effet immédiat, des activités du médecin (arrêt de la Cour Civile du Tribunal cantonal vaudois du 11.03.2011 [40/2011/PBH] cons. IV c/ca).
Récemment, la Cour de céans a considéré que le licenciement ordinaire, avec libération immédiate de l’obligation de travailler, n’était pas abusif quand l’employeur avait informé les collaborateurs du département concerné, lors d’une séance au cours de laquelle la responsable du département leur avait indiqué que le licenciement de leur collègue était intervenu pour violation des politiques internes de l’entreprise, respectivement pour non-respect de la politique d’intégrité de l’entreprise ou pour avoir « violé deux procédures », et que l’employé concerné avait été immédiatement libéré de son obligation de travailler (arrêt de la Cour de céans du 24.06.2025 [CACIV.2025.25] cons. 6.4).
5.2. a) Le Tribunal civil a d’abord rappelé que le licenciement du demandeur avait été annoncé par le biais d’un communiqué placardé sur les panneaux d’affichage de l’entreprise, mentionnant de « graves infractions aux directives et valeurs de [l’]entreprise » et précisant que « les rapports de travail […] ont été résiliés pour fin août 2020. Il quitte B.________ à ce jour ». Pour le premier juge, l’information transmise aux collaborateurs avait un caractère tout général ; quand bien même le communiqué mentionnait de « graves » infractions, il ne faisait référence qu’aux « directives », ce qui était suffisamment vague car les directives d’une entreprise regroupaient un large éventail d’éléments. Il en allait de même des « valeurs ». Il était ainsi douteux qu’en soi, ce communiqué atteignait la gravité objective nécessaire pour constituer une atteinte à la personnalité et ainsi rende le congé abusif. Le communiqué à lui seul ne permettait pas d’incriminer outre mesure le demandeur. Il précisait la date de fin du contrat de travail et la défenderesse n’avait dès lors pas laissé entendre que le licenciement aurait été immédiat.
On retiendra que si le communiqué mentionnait certes des « graves infractions », ce n’était qu’en rapport avec les « directives et valeurs de [l]’entreprise », sans que puisse naître chez le lecteur un tant soit peu attentif le sentiment que les reproches faits à l’employé licencié pourraient avoir un caractère pénal. La formulation choisie par l’intimée excluait même implicitement des reproches relevant du droit pénal, ce qui était d’ailleurs avantageux pour l’appelant, puisque certains des griefs résultant du rapport d’enquête ne relevaient pas forcément du seul droit civil. Il est donc faux de prétendre que le texte du communiqué aurait sciemment dirigé le lecteur vers des infractions pénales et même les plus graves de celles-ci (vols, viols, harcèlement sexuel, etc.). Cela étant, parler de « graves infractions aux directives et valeurs de [l]’entreprise » n’était en tout cas pas factuellement inexact puisque, selon le rapport d’enquête, l’appelant avait commis trois agressions sexuelles, proféré des propos, plaisanteries et insultes répétés à connotation sexuelle ou sexiste, présenté une photographie d’exhibition d’une partie génitale et exercé du mobbing. La formulation utilisée était certes vague et pouvait laisser la porte ouverte à certaines spéculations, mais il aurait été beaucoup plus destructeur pour l’appelant que l’intimée expose concrètement quels griefs lui étaient faits. À l’inverse, l’absence totale de motivation du licenciement, dans le communiqué, aurait laissé la place à encore plus de spéculations, qui n’auraient pas été à l’avantage de l’employé. Si le communiqué affiché le 27 mai 2020 mentionnait que l’appelant quittait l’entreprise le jour même, il disait aussi que « les rapports de travail avec A.________ ont été résiliés pour fin août 2020 », ce qui, dans une annonce de quelques lignes, ne pouvait pas échapper aux lecteurs. Ces derniers voyaient donc immédiatement que ce n’était pas un licenciement avec effet immédiat qui avait été prononcé, mais bien un licenciement ordinaire. Cela devait les amener à considérer que les faits reprochés à l’appelant, s’ils étaient « graves », ne l’étaient pas suffisamment pour justifier un licenciement immédiat.
Certes, la jurisprudence a retenu que « selon l’expérience générale de la vie, le licenciement assorti d’une libération immédiate de l’obligation de travailler, restitution immédiate des clés avec interdiction d’accéder aux locaux, mesures de surveillance pour récupérer les effets personnels et interdiction de prendre contact avec le personnel est de nature à faire naître chez les autres employés le soupçon que le licenciement se fonde sur des motifs graves, à tout le moins lorsque, comme en l’espèce, il n’y a pas de raisons particulières liées par exemple à des données sensibles ou à un risque de perte de clientèle » (arrêt du TF du 04.10.2017 [4A_92/2017] cons. 2.5.2). En l’occurrence toutefois, le communiqué permet clairement de comprendre que le licenciement est ordinaire et que si libération de l’obligation de travail il y a eu, elle n’a pas été assortie de toute la série de mesures évoquées par le Tribunal fédéral. En effet, l’employeur n’a nullement interdit à l’employé de prendre contact avec ses collègues (il l’a d’ailleurs fait en évoquant ouvertement les griefs qui lui étaient faits) et il y avait ici de sérieuses raisons de ne pas maintenir l’appelant dans les locaux, afin d’apaiser le plus rapidement possible une forme de sérénité, ce qui ne laissait pas parallèlement entendre des motifs d’une gravité telle que le licenciement aurait été immédiat. Les griefs émis envers l’appelant étaient ainsi relativisés, par le fait même que le licenciement était clairement ordinaire et non assorti de mesures particulières, autres que la libération immédiate de l’obligation de travailler, ordinairement souhaitée également par l’employé visé par le licenciement et dont on n’infère pas – dans tous les cas – que les motifs du licenciement auraient atteint la gravité pouvant justifier un licenciement immédiat et que le licenciement n’aurait été qu’ordinaire pour préserver l’employeur d’une contestation en lien avec les justes motifs. L’intimée avait le droit d’aviser son personnel qu’un responsable de département, qui avait des employés sous ses ordres, avait été licencié avec un préavis de trois mois et quittait l’entreprise le jour même. Elle l’a fait dans des termes mesurés et en mentionnant des éléments factuellement exacts. Rien, dans le texte du communiqué qui ne contient aucune outrance, ne permet de retenir – comme l’appelant le voudrait – une intention dolosive de la part de l’intimée à ce sujet ; l’argumentation de l’appelant à ce sujet est purement spéculative et se heurte d’ailleurs aux éléments concrets du dossier, en particulier au texte même du communiqué.
Le Tribunal civil a retenu que l’affichage d’un communiqué semblait être la manière usuelle d’annoncer les « départs » au sein de la défenderesse et que cela n’avait pas été fait uniquement pour le demandeur. Le texte avait été retiré rapidement de l’affichage. La défenderesse ne l’avait donc pas négligemment laissé affiché plus que nécessaire. Elle était en outre dans son bon droit en communiquant à son personnel la fin des rapports de travail d’un employé qui occupait un poste à responsabilité et avait des collaborateurs sous ses ordres. Par ailleurs, le demandeur ne démontrait pas que d’autres personnes, externes à l’entreprise, auraient eu connaissance du communiqué.
Le Tribunal civil a retenu que le communiqué avait été affiché et que le demandeur ne démontrait pas que d’autres personnes, externes à l’entreprise, en auraient eu connaissance.
L’affichage du communiqué dans les locaux de l’entreprise, pour un temps assez bref et sans que des personnes externes à l’entreprise en aient connaissance, était un moyen adéquat d’aviser les collaborateurs du licenciement d’un responsable de département, dans une entreprise comme celle de l’intimée, qui procédait ainsi de la manière qui lui était habituelle. Même si le fait qu’elle affichait tous les départs ne rend pas le procédé en soi licite, cela démontre une volonté de ne pas faire différemment pour l’appelant que dans d’autres situations, ce dont on déduit une absence de stigmatisation. Un tel licenciement devait sans doute être annoncé : les collaborateurs auraient bien vu que l’appelant n’était, du jour au lendemain, plus dans les locaux de l’entreprise et l’absence d’annonce aurait forcément conduit à la propagation de certaines rumeurs nuisibles à l’appelant, par exemple au sujet d’un éventuel licenciement avec effet immédiat. Le grief de l’appelant est infondé.
(Cour d’appel civile du tribunal cantonal [NE] CACIV.2025.34 du 08.09.2025)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM