Les loups comme parties à une procédure de recours?

A.a. Par décision du 27 novembre 2023, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a approuvé, sous certaines conditions, la régulation proactive de la meute de loups du Calfeisental (au moins 8 loups) demandée par le canton de Saint-Gall le 16 novembre 2023. Le même jour, l’OFEV a également ordonné la régulation proactive des meutes de loups dans les cantons des Grisons, du Valais, de Vaud et du Tessin (ci-après « décisions d’approbation »). Par des décisions complémentaires du 18 décembre 2023, l’OFEV a retiré l’effet suspensif à tous les recours éventuels contre les décisions d’approbation du 27 novembre 2023 qui n’avaient pas été contestées devant le Tribunal administratif fédéral à cette date. [Dans le sabir fédéral, la « régulation proactive » c’est l’autorisation de tirer…]

A.b. Le 22 décembre 2023, A.________ a demandé à l’OFEV l’accès à toutes les décisions d’approbation de l’OFEV rendues sur la base de la modification de l’ordonnance sur la chasse du 1er novembre 2023. Elle a également demandé à pouvoir s’exprimer dans le cadre d’une procédure de consultation en bonne et due forme sur la révision de l’ordonnance sur la chasse du 1er novembre 2023. Enfin, elle a demandé que les autorisations de tir déjà accordées pour la régulation proactive des loups, qui se fondent sur la révision de l’ordonnance sur la chasse du 1er novembre 2023, soient annulées.

A.c. Dans une lettre adressée à l’OFEV le 22 janvier 2024, A.________ a réitéré les demandes formulées le 22 décembre 2023 et a notamment demandé qu’il soit constaté que l’élimination de meutes de loups sans procédure de consultation régulière, sans examen de mesures moins contraignantes et sans évaluation des conséquences réglementaires, était disproportionnée et violait le droit fédéral et international. Elle a en outre demandé l’effet suspensif du « recours » ainsi que la clarification de la compétence de l’OFEV pour les « griefs pour violation du droit de consultation » et de sa légitimité à former recours à cet égard. Enfin, elle a demandé une décision susceptible de recours et l’examen de la représentation légale des loups dans la vallée de Calfeisen.

A.d. Le 23 janvier 2024, l’OFEV a transmis à A.________ toutes les décisions non contestées devant le Tribunal administratif fédéral concernant la régulation proactive des meutes de loups. Dans le même temps, il lui a refusé l’accès aux décisions contestées, notamment en indiquant que ces documents faisaient partie d’une procédure judiciaire.

A.e. Le 24 janvier 2024, A.________ s’est à nouveau adressée à l’OFEV et a réaffirmé l’urgence de sa demande. Le 25 janvier 2024, l’OFEV a informé A.________ par courrier électronique qu’il n’envisageait pas de modifier les réglementations actuellement en vigueur. Il n’y aurait pas non plus de changement concernant l’effet suspensif.

B.a. Par requête du 25 janvier 2024, A.________ a formé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral en son nom propre, au nom des loups de la meute du Calfeisental et en tant que leur représentante. Elle demande principalement que les décisions de l’OFEV du 27 novembre 2023 et du 18 décembre 2023 relatives à la régulation proactive du loup dans le canton de Saint-Gall (demande n° 2) ainsi que dans les cantons des Grisons, Valais, Vaud et Tessin (demande n° 3) soient annulées, réexaminées ou abrogées et renvoyées à l’instance précédente. En outre, les « décisions de l’OFEV du 23 janvier 2024 et du 25 janvier 2024 » doivent être annulées et renvoyées à l’instance précédente conformément aux considérants (demande n° 4). Sur le plan procédural, elle a demandé à titre superprovisoire d’interdire la régulation de la meute de loups dans la vallée de Calfeisen (demande n° 6) et d’accorder l’effet suspensif au recours (demandes n° 5 et n° 7 [superprovisoire]). Elle a également demandé que la représentation légale de la meute de loups dans la vallée de Calfeisen soit examinée (demande n° 8). Enfin, elle a demandé qu’une mesure préventive soit ordonnée afin d’interdire l’élimination des loups abattus dans un centre de traitement des cadavres d’animaux ou à l’Institut pour la santé des poissons et des animaux sauvages de l’Université de Berne (demande n° 9). En ce qui concerne la répartition des frais, elle a demandé qu’aucun frais de procédure ne soit prélevé et, à titre subsidiaire, que l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite soit examiné (demande n° 10).

(…)

B.e. Par arrêt du 5 août 2024, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable. Le Tribunal administratif fédéral a nié la légitimation de A.________ en ce qui concerne les décisions d’approbation, car elle n’était pas particulièrement concernée et n’avait en outre pas d’intérêt actuel à agir. Dans cette mesure, il n’a pas donné suite au recours. Dans la mesure où le recours contestait le refus d’accès à des documents officiels, le Tribunal administratif fédéral est entré en matière sur le recours et l’a rejeté sur ce point.

Par recours en matière de droit public du 16 septembre 2024, A.________ (ci-après la recourante) saisit le Tribunal fédéral en son nom propre et au nom des loups de la meute du Calfeisental. Elle demande principalement l’annulation des décisions attaquées, à savoir l’arrêt du 5 août 2024 et les décisions incidentes du 29 janvier 2024 et du 18 mars 2024 du Tribunal administratif fédéral ainsi que les décisions de l’OFEV, et le renvoi de l’affaire à l’instance précédente. Elle demande en outre « l’accès aux documents officiels ». Sur le plan procédural, elle demande l’assistance d’un avocat gratuit avant de présenter sa réplique, ainsi que la renonciation aux frais de justice, ou à titre subsidiaire, l’examen de l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite.  (…)

1.5. Conformément à l’art. 89, al. 1, LTF, est habilité à former un recours quiconque a pris part à la procédure devant l’instance précédente, est particulièrement touché par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit modifiée ou annulée.

La recourante est la destinataire du jugement attaqué. Elle est donc habilitée à former recours, tant en ce qui concerne le rejet de la demande d’accès aux documents officiels qu’en ce qui concerne l’irrecevabilité du recours contre les décisions d’approbation (cf. ATF 145 II 168 consid. 2).

Les loups n’ont pas la capacité d’ester en justice, raison pour laquelle ils ne sont pas légitimés à recourir au sens de l’art. 89 LTF (cf. à ce sujet les considérants E. 4.3.1 ss ci-après). Ils ne doivent donc pas être mentionnés dans le dispositif de l’arrêt du Tribunal fédéral. (…)

3.

La présente procédure porte d’une part sur la question de savoir si la recourante et les loups de la meute du Calfeisental sont habilités à former recours contre les décisions d’approbation de l’OFEV (ci-après consid. 4). D’autre part, la question est de savoir si l’instance précédente a refusé à juste titre à la recourante l’accès à des documents officiels (ci-après E. 5).

4.

4.1. L’instance précédente n’a pas donné suite au recours contre les décisions d’approbation de l’OFEV du 27 novembre 2023 et du 18 décembre 2023, car la recourante ne remplissait pas les conditions d’un intérêt particulier au sens de l’art. 48, al. 1, let. b PA et d’un intérêt actuel à agir au sens de l’art. 48, al. 1, let. c PA, et que les loups n’avaient pas la capacité d’ester en justice (jugement attaqué E. 2. et E. 5).

La recourante estime en revanche qu’elle-même et les loups sont habilités à former recours. Elle invoque une application erronée de l’art. 48 PA et de l’art. 9 de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus ; RS 0.814.07). Il convient donc d’examiner en premier lieu si la recourante est habilitée à former recours (ci-après E. 4.2), puis si les loups sont légitimés à former recours ou si la recourante est habilitée à les représenter (ci-après E. 4.3).

(…)

4.2.3. Selon les constatations de l’instance précédente, qui sont contraignantes pour le Tribunal fédéral (art. 105, al. 1, LTF), la recourante est une personne privée qui n’a pas participé à la procédure devant l’OFEV et qui est donc considérée comme un tiers (arrêt attaqué, consid. 2.5). L’instance précédente a considéré que la recourante n’avait pas pu rendre vraisemblable qu’elle serait plus fortement touchée par les décisions d’approbation que le grand public. Elle a estimé qu’elle invoquait principalement dans son recours des intérêts publics généraux et qu’elle ne pouvait pas démontrer un préjudice concret la touchant directement, ses arguments ne dépassant pas le stade de simples suppositions (arrêt attaqué, consid. 2.6).

4.2.4. Les arguments avancés par la recourante ne conduisent pas à une autre appréciation. Le fait que le DETEC ne lui ait pas délivré de décision concernant la procédure de consultation relative à la révision partielle de l’ordonnance sur la chasse (cf. arrêt 2C_273/2024 du 18 juin 2025 E. 1.3.3) ne saurait justifier, dans le présent contexte, que la recourante soit personnellement concernée. Il en va de même du fait que la recourante souhaite, contrairement à d’autres personnes, participer à une telle consultation. Le fait que la recourante émette des réserves et des objections à l’égard de la révision partielle de l’ordonnance sur la chasse et, en particulier, de la possibilité d’abattre de manière proactive des loups, telle qu’approuvée par l’OFEV dans ses décisions d’autorisation, ne distingue pas la recourante d’autres tiers qui partagent son opinion. L’autorisation accordée par l’OFEV d’abattre un ou plusieurs loups d’une meute n’a pas d’incidence sur la sphère juridique de la recourante et ne la concerne pas plus que le grand public, de sorte que ses arguments équivalent à un recours populaire irrecevable.

4.2.5. Dans la mesure où la recourante fait également valoir qu’elle dispose d’une grande expérience dans le domaine de l’environnement, qu’elle est « gardienne de la nature » et qu’elle s’engage à titre privé et professionnel dans le domaine de la biodiversité, cela ne conduit pas non plus à une autre appréciation, à savoir que les décisions d’autorisation n’affectent pas la sphère juridique personnelle de la recourante. Aussi intéressée et engagée que soit la recourante dans la protection de l’environnement en général et des espèces animales protégées en particulier, cela ne justifie pas qu’elle soit personnellement concernée. La recourante fait ainsi valoir uniquement des intérêts publics, à savoir la protection de la nature et de l’environnement (cf. ATF 146 I 145 consid. 5.5 ; arrêt 1C_437/2007 du 3 mars 2009 consid. 2.6). Seules les organisations mentionnées à l’art. 12 de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN ; RS 451) sont habilitées à former recours dans ces affaires ; la recourante, en tant que personne privée, ne fait pas partie de ces organisations, comme l’a constaté à juste titre l’instance précédente. En l’absence d’un intérêt particulier, la recourante n’est pas légitimée à former recours (art. 48, al. 1, let. b, PA ; art. 89, al. 1, let. b, LTF).

(…)

4.3. Il convient ensuite d’examiner si les loups ont qualité pour recourir ou si la recourante est habilitée à les représenter.

4.3.1. Conformément à l’art. 6 PA, sont considérées comme parties les personnes dont les droits ou les obligations sont affectés par la décision, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d’un recours contre la décision. Le droit de recours prévu à l’art. 48 PA et à l’art. 89 LTF présuppose donc que la personne qui forme le recours ait la capacité d’être partie (ATF 142 II 80 consid. 1.4.4 ; arrêt 2C_622/2013 du 11 avril 2014, consid. 2.2 avec référence ; DONZALLAZ, op. cit., n° 6 ad art. 89 LTF ; cf. arrêts 2C_23/2024 du 12 mars 2025, consid. 3.2.2.1 ; 2C_495/2023 du 22 février 2024 consid. 5.3). La capacité d’ester en justice est régie par le droit civil. Elle correspond à la capacité d’agir en son propre nom en tant que partie dans une procédure. Est capable d’ester en justice toute personne qui a la capacité juridique. La capacité d’ester en justice est une condition préalable à la capacité d’ester en justice, c’est-à-dire la capacité de mener soi-même un procès ou de désigner un représentant (arrêts 2C_636/2023 du 18 juillet 2024 E. 7.1 ; 2C_684/2015 du 24 février 2017 E. 1.2 ; 2C_736/2010 du 23 février 2012, consid. 1.2 ; 2C_859/2010 du 17 janvier 2012, consid. 1.3 ; 2C_303/2010 du 24 octobre 2011, consid. 2.3).

4.3.2. Conformément à l’art. 11 CC (RS 210), toute personne a la capacité juridique ; tout être humain a la capacité d’avoir des droits et des obligations. Selon l’art. 641a CC, les animaux ne sont pas des choses ; toutefois, en l’absence de réglementation particulière, les dispositions applicables aux choses s’appliquent à eux. Les animaux ne sont donc pas titulaires de droits subjectifs (ATF 147 I 183 E. 8.3 ; arrêt 2C_151/2025 du 18 juin 2025 E. 4.4 ; cf. toutefois une exigence correspondante dans la doctrine STUCKI SASKIA, Die « tierliche Person » als Tertium datur, dans : Ammann Christoph/Christensen Birgit/Engi Lorenz/Michel Margot (éd.), Würde der Kreatur, Zurich/Bâle/Genève 2015, p. 287 ss, p. 305 ss avec références).

4.3.3. Il n’existe aucune norme juridique accordant la capacité juridique aux loups (cf. à ce sujet ATF 147 I 183 E. 8.2). Le fait que les loups, en tant que partie intégrante de la nature et de l’environnement, soient protégés par l’ordre juridique (cf. art. 1 let. d LPN ; art. 2, let. b, en relation avec l’art. 7, al. 1, et l’art. 5 LChP [RS 922.0]), ne leur confère pas pour autant des droits et des obligations. En l’absence de lex specialis, la règle générale selon laquelle seule l’être humain a la capacité juridique s’applique. Les loups n’étant pas des êtres humains, ils n’ont pas la capacité juridique. Ils n’ont donc pas non plus la capacité d’ester en justice. Ils ne remplissent donc pas les conditions requises pour être admis à former un recours (cf. ci-dessus E. 4.3.1). L’instance précédente a donc pu nier la capacité d’ester en justice des loups (jugement attaqué E. 5) sans violer le droit fédéral.

4.3.4. Sans capacité d’ester en justice, il n’est pas possible de se faire représenter dans un procès (ci-dessus E. 4.3.1). Par conséquent, la recourante ne peut pas non plus mener le procès au nom des loups en tant que leur représentante. L’appréciation correspondante de l’instance précédente s’avère conforme au droit fédéral (jugement attaqué E. 5). Il en va de même pour la recourante en tant que représentante des intérêts des loups (jugement attaqué E. 2.6). Comme mentionné précédemment (ci-dessus E. 4.2.5), seules les organisations désignées par le Conseil fédéral conformément à l’art. 12 LPN peuvent prétendre à ce statut ; la recourante n’en fait pas partie.

4.4. Par souci d’exhaustivité, il convient en outre de noter que le fait que la recourante, en tant que personne privée, ne soit pas admise à former un recours au nom de l’intérêt général n’est pas contraire à la Convention d’Aarhus, comme l’a déjà relevé à juste titre l’instance précédente (jugement attaqué E. 2.6) . L’article 9 de la Convention d’Aarhus ne prévoit pas de recours populaire et n’impose pas non plus aux États membres l’obligation d’en instaurer un (ATF 146 I 145 E. 5.5 ; 141 II 233 consid. 4.3.3 ; arrêts 1C_555/2020 du 16 août 2021 consid. 5.3.2 ; 2C_206/2019 du 25 mars 2021 consid. 20.2). Le jugement contesté ne constitue pas une violation de la Convention d’Aarhus, pour autant qu’elle ait été invoquée de manière juridiquement valable (cf. consid. 2.1 ci-dessus).

Le refus d’admettre le recours de la recourante ne constitue pas non plus un déni de justice au sens de l’art. 29, al. 1, Cst. Il n’y aurait déni de justice que si l’autorité compétente refusait d’examiner et de traiter la demande dûment déposée, alors qu’elle serait tenue de se prononcer à son sujet. Une décision de non-entrée en matière rendue en violation des règles de procédure équivaut également à un déni de justice formel (ATF 149 II 209 consid. 4.2 ; 149 I 72 consid. 3.2.1 ; 144 II 184 consid. 3.1 ; arrêt 2C_80/2023 du 6 février 2024 consid. 6.1). L’instance précédente a traité le recours qui lui a été soumis et a confirmé à juste titre la décision de non-entrée en matière. Le fait que l’instance précédente soit parvenue à une conclusion avec laquelle la recourante n’est pas d’accord ne constitue pas un déni de justice.

Pour les mêmes raisons, il n’y a pas violation de la garantie de l’accès au juge au sens de l’art. 29a Cst. La garantie de l’accès au juge n’interdit pas de subordonner l’entrée en matière sur une demande, un recours ou une action aux conditions habituelles de jugement au fond, telles que la légitimation en l’espèce (arrêt 2C_23/2024 du 12 mars 2025, consid. 3.6 avec renvois). L’instance précédente ayant à juste titre nié la légitimation de la recourante et des loups, l’arrêt attaqué ne viole pas l’art. 29a Cst.

(TF 2C_458/2024 du 15.09.2025, traduction libre de l’Allemand ; voir aussi l’arrêt concernant les abeilles : https://droitdutravailensuisse.com/2025/05/12/les-abeilles-sont-elles-des-citoyennes-comme-les-autres/)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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