Obtention illicite de prestations sociale

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En cas d’obtention illicite de prestations sociales, il existe trois niveaux d’infractions :

Celui qui trompe astucieusement l’aide sociale sera sanctionné du chef d’escroquerie (art. 146 CP). Lorsque, sans adopter un comportement astucieux, l’auteur aura induit l’aide sociale en erreur ou aura conforté celle-ci dans l’erreur, il sera puni en vertu de l’article 148a CP. Les infractions mineures seront sanctionnées par le droit pénal cantonal en matière d’aide sociale (42 et 73 LASoc ; 28 et 43a LiLAMal).

L’article 148a CP constitue une lex specialis par rapport aux éventuelles mesures pénales cantonales en matière d’aide sociale. Ces dernières demeurent toutefois pertinentes, notamment lorsque le champ d’application est plus large que celui de l’article 148a CP, ce qui est le cas, par exemple, lorsqu’elles répriment des infractions dont la réalisation n’est pas conditionnée au fait que le service qui dispense l’aide sociale ait été induit en erreur ou non.

Aux termes de l’article 146 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, a astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l’a astucieusement confortée dans son erreur et a de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers. Cette infraction se commet en principe par action. Tel est le cas lorsqu’elle est perpétrée par actes concluants.

L’assuré qui a l’obligation de communiquer à son assureur ou, selon le cas, à l’organe compétent, toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation (art. 31 LPGA), qui ne respecte pas cette obligation et continue à percevoir les prestations octroyées initialement à juste titre ne commet toutefois pas par-là d’acte de tromperie. En continuant à recevoir ces prestations sans commentaire, l’assuré n’exprime pas que sa situation serait demeurée inchangée. La perception de prestations d’assurance n’a ainsi pas valeur de déclaration positive par acte concluant. La situation est toutefois différente si cette perception est accompagnée d’autres actions qui permettent objectivement d’interpréter le comportement du bénéficiaire comme signifiant que rien n’a changé dans sa situation. On pense notamment à un silence qualifié de l’assuré à des questions explicites de l’assureur. Une escroquerie par actes concluants a également été retenue dans le cas du bénéficiaire de prestations d’assurance exclusivement accordées aux indigents, qui se borne à donner suite à la requête de l’autorité compétente tendant, en vue de réexaminer sa situation économique, à la production d’un extrait de compte déterminé, alors qu’il possède une fortune non négligeable sur un autre compte, jamais déclaré, ou dans le cas d’une personne qui, dans sa demande de prestations complémentaires, tait un mois de rente et plusieurs actifs et crée par les informations fournies l’impression que celles-ci correspondent à sa situation réelle.

Concrètement, en matière d’aide sociale, il est admis que le bénéficiaire adopte un comportement actif  lorsqu’il ressort des notes d’entretien rédigées par les assistants sociaux – ou lorsque le prévenu le reconnaît lui-même – que ceux-ci s’enquéraient régulièrement (en posant des questions précises) de sa situation (financière) et que le prévenu répondait, de manière tout aussi précise, en niant tout changement quant à ses rentrées d’argent (arrêt de la Cour pénale du 30.12.2020 [CPEN.2020.27] cons. 5.1).

Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas ; il faut encore qu’elle soit astucieuse. L‘astuce est réalisée lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire.

Lorsque l’acte litigieux consiste dans le versement par l’Etat de prestations prévues par la loi, il ne peut y avoir escroquerie consommée que si le fait sur lequel portait la tromperie astucieuse et l’erreur était propre, s’il avait été connu par l’Etat, à conduire au refus, conformément à la loi, de telles prestations. Ce n’est en effet que dans ce cas, lorsque les prestations n’étaient en réalité pas dues, que l’acte consistant à les verser s’avère préjudiciable pour l’Etat et donc lui cause un dommage.

Sur le plan subjectif, l’escroquerie est une infraction intentionnelle, l’intention devant porter sur tous les éléments constitutifs de l’infraction. L’auteur doit en outre avoir agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime correspondant au dommage de la dupe. Le dol éventuel suffit cependant .

L’article 148a al. 1 CP, entré en vigueur le 1er octobre 2016, vise quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale (Obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale).

Selon l’article 121 al. 3 Cst. féd., le législateur a reçu le mandat d’édicter de nouvelles infractions pénales pour réprimer l’obtention abusive de prestations fournies par les assurances sociales et les services sociaux. Avec l’article 148a CP, le législateur a codifié dans une loi fédérale le devoir pour le bénéficiaire d’annoncer aux assurances sociales et aux services sociaux tout fait pertinent pour l’allocation de prestations sociales. Cette disposition légale couvre les cas dans lesquels l’infraction d’escroquerie n’est pas réalisée, parce que l’auteur n’agit pas astucieusement. Sont ainsi comprises toutes les formes de tromperie, soit en principe lorsque l’auteur fournit des informations fausses ou incomplètes, dissimule sa situation financière ou personnelle réelle ou passe certains faits sous silence. On observe un tel comportement passif lorsque quelqu’un omet de signaler que sa situation financière s’est améliorée par exemple (Message du Conseil fédéral du 26.06.2013, FF 2013 5432). Le simple fait de taire des rentrées d’argent (alors que celles-ci auraient dû être déclarées) suffit à réaliser l’infraction, sans qu’il soit nécessaire que les assistants sociaux aient posé explicitement des questions spécifiques sur la situation financière du bénéficiaire de l’aide sociale (arrêt du TF du 04.12.2019 [6B_1015/2019] cons. 4.5.6).

Il s’agit d’une infraction intentionnelle. Le dol éventuel suffit. L’intention nécessite la connaissance du devoir d’annonce ainsi que la portée de celui-ci, étant précisé qu’il s’étend à tous les faits pertinents pour l’allocation de la prestation dans un système social fondé sur la solidarité et la loyauté et non sur la surveillance.

S’agissant d’une infraction contre le patrimoine, le Message indique, en référence à l’article 172ter CP, que le « cas de peu de gravité » est réalisé lorsque l’infraction ne portait que sur une prestation d’un « faible montant » ou, plus précisément, lorsque l’auteur ne visait qu’un « élément patrimonial de faible valeur » pour reprendre les termes de la disposition précitée. La loi ne définit pas le cas de peu de gravité au sens de l’alinéa 2. Le Tribunal fédéral (arrêt du TF du 30.11.2020 [6B_1030/2020] cons. 1.1.3, rappelé aussi dans [6B_797/2021]) a précisé qu’il ne fallait pas se fonder uniquement sur un seuil fixe, mais qu’il fallait envisager le comportement répréhensible dans son ensemble et tenir compte de la culpabilité du prévenu eu égard à la période durant laquelle il avait agi – une courte période étant plutôt un élément plaidant pour une faible culpabilité – et à l’énergie criminelle dont il avait fait preuve, un montant supérieur à 3’000 francs pouvant encore entrer dans la catégorie des actes réprimés par l’article 148a /2 CP. Le Message et une partie de la doctrine relèvent que la définition du cas de peu de gravité est conforme à l’article 172ter CP en ce que l’auteur visait un élément patrimonial de faible valeur. La Conférence des procureurs de Suisse a proposé un montant de 3’000 francs, comme limite du cas de peu gravité, étant précisé que toutes les prestations perçues indûment doivent être comptabilisées (prestations en espèce ou financement de loyers, primes d’assurances, etc. ; recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse concernant l’expulsion des personnes étrangères condamnées [art. 66a à 66d CP] du 24 novembre 2016, chiffre 4). Selon la jurisprudence cantonale (RJN 2019 p. 399 et arrêt de la Cour cantonale zurichoise du 03.10.2019 [SB190071] cons. 4.4.1), il convient également de tenir compte de l’ensemble des éléments qui peuvent conduire à diminuer la responsabilité (but poursuivi par l’auteur, énergie criminelle moindre, durée pendant laquelle les prestations indues ont été versées).

(Extrait de : Arrêt de la Cour pénale du Tribunal cantonal (NE) du 16.08.2022 [CPEN.2021.71]

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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