Congé abusif en raison du double jeu de l’employeur

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Le contrat signé par les parties le 29 septembre 2015 est un contrat de droit administratif. Les dispositions du Code des obligations sur le contrat de travail sont applicables à titre de droit supplétif (cf. art. 6 de la Loi sur le personnel de l’État du Valais du 19 novembre 2010 [RS/VS 172.2]; art. 2 al. 2 du Règlement général pour le personnel de l’administration communale adopté par le conseil municipal de Sion en séance des 27 novembre 1980 et 17 décembre 1987). Les rapports de service entre la recourante (l’employée) et l’intimée (employeuse) sont donc soumis au droit public, les règles des art. 319 à 343 CO ne pouvant s’appliquer qu’à titre de droit cantonal supplétif respectivement de droit communal supplétif.

Le litige porte sur le caractère abusif ou non de la résiliation des rapports de service avec effet au 31 août 2016. Dans la mesure où le droit communal et cantonal ne prévoit pas de disposition à cet égard, c’est l’art. 336 CO qui s’applique à titre de droit public supplétif.

Chaque partie peut décider unilatéralement de mettre fin à un contrat de travail de durée indéterminée (art. 335 al. 1 CO). Ce droit est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). L’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère des cas dans lesquels la résiliation est abusive; cette liste n’est toutefois pas exhaustive et une résiliation abusive peut aussi être admise dans d’autres circonstances, en application de l’art. 2 al. 2 CC. Il faut cependant que ces autres situations apparaissent comparables, par leur gravité, aux cas expressément envisagés par l’art. 336 CO.

Le caractère abusif d’une résiliation peut découler non seulement de ses motifs, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit. Même lorsqu’elle résilie un contrat de manière légitime, la partie doit exercer son droit avec des égards. En particulier, elle ne peut pas se livrer à un double jeu, contrevenant de manière caractéristique au principe de la bonne foi. Ainsi, une violation grossière du contrat, par exemple une atteinte grave au droit de la personnalité (cf. art. 328 CO) dans le contexte d’une résiliation, peut faire apparaître le congé comme abusif.

 Lorsque la résiliation par une partie est fonction du refus par l’autre partie d’accepter une modification des conditions de travail, on est en présence d’un congé-modification (Änderungskündigung). Le congé-modification au sens étroit se caractérise par le fait qu’une partie résilie le contrat, mais accompagne sa déclaration de l’offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées. En revanche, dans le congé-modification au sens large, les deux actes juridiques ne sont pas immédiatement couplés; une partie reçoit son congé parce qu’elle n’a pas accepté une modification des obligations contractuelles. En principe, le congé-modification n’est pas abusif, mais il peut l’être dans certaines circonstances.

 Les effets de l’offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées qui accompagne le congé-modification sont régis par les dispositions générales sur la conclusion des contrats (art. 1 à 10 CO). L’auteur d’une offre (ou le pollicitant) est lié à son destinataire par une obligation légale qui lui impose d’attendre que celui-ci ait accepté ou refusé son offre et, partant, lui interdit de retirer ou de modifier sa communication pendant un certain laps de temps. L’effet obligatoire de l’offre se justifie au regard de la sécurité des affaires et sert à protéger la confiance du destinataire. Le pollicitant peut toutefois en limiter la portée en précisant que son offre est formulée sous réserve de retrait (Antrag mit Widerrufsvorbehalt), ce qui lui permet de retirer son offre aussi longtemps qu’il n’a pas reçu d’acceptation. L’effet obligatoire de l’offre peut en outre prendre fin de manière anticipée si le destinataire refuse celle-ci avant le délai fixé par l’employeur ou s’il propose des modifications sur des points essentiels, ce qui constitue un refus, assorti éventuellement d’une contre-offre.

Si, dans le cadre d’un congé-modification, le travailleur n’accepte pas l’offre et donc la modification proposée, les rapports de travail prendront fin à l’échéance du délai de préavis. Si en revanche le travailleur accepte les nouvelles conditions proposées, le contrat est conclu et les rapports de travail se poursuivront. Si l’employeur refuse sa prestation, l’employé pourra alors agir en exécution du contrat ou faire valoir les droits qui découlent de son inexécution.

En l’espèce, la cour cantonale a constaté que l’intimée (l’employeuse), après avoir signifié à la recourante son licenciement pour le 31 août 2016, lui avait, dans le même temps, proposé, sans mise au concours extérieure, le nouveau poste de secrétaire à 30 % créé auprès du cycle d’orientation de C.________, en lui impartissant un délai au 30 juin 2016 pour se décider. Elle a considéré qu’il s’agissait là d’une résiliation du contrat de travail pour sa prochaine échéance contractuelle, assortie d’une offre de poursuivre les rapports de travail à des conditions modifiées, soit la définition même du congé-modification au sens étroit. La modification proposée portait sur le taux d’activité, puisque le poste de travail de la recourante passait d’un taux de 90 % à un taux de 30 %, et sur le salaire, puisque le traitement de base qui lui était proposé était celui de la classe 19 de l’échelle salariale de la ville de Sion au lieu de la classe 18. Concernant le caractère abusif ou non du congé-modification, la cour cantonale a retenu que si la résiliation avait bien été utilisée pour imposer à la recourante des clauses contractuelles moins favorables, c’étaient des raisons économiques qui avaient motivé cette façon de faire, de sorte que le congé-modification n’était pas d’abusif, à tout le moins dans ses motifs. Il ne l’était pas davantage dans ses modalités, qui devaient s’apprécier au moment où le congé-modification était signifié.

La recourante invoque une violation de l’art. 336 CO et fait valoir que le congé-modification serait abusif dans ses modalités. Elle critique le raisonnement des juges cantonaux en tant qu’ils ont examiné le caractère abusif ou non du congé-modification en tenant compte des modalités seulement jusqu’au moment où le congé-modification avait été signifié, soit en l’occurrence le 24 mai 2016, sans tenir compte des lettres consécutives. Cela reviendrait, selon les dires de la recourante, à laisser tout pouvoir en main de l’employeur et lui aurait permis de revenir sur sa parole et de décider finalement, malgré l’acceptation de l’employée, de mettre fin au contrat. 

Les parties s’entendent à qualifier le congé, qui a été signifié à la recourante, d’abord oralement le 23 mai 2016, puis confirmé par écrit le 24 mai 2016, de congé-modification, dès lors que la résiliation des rapports de service avec effet au 31 août 2016 était assortie d’une offre d’emploi à des conditions modifiées et comportait un délai de réflexion jusqu’au 30 juin 2016. En revanche, il y a un désaccord entre les parties sur la qualification des événements qui se sont déroulés entre le moment de la notification du licenciement (24 mai 2016) et l’échéance du délai de réflexion (30 juin 2016). La recourante soutient que l’employeur aurait agi de manière abusive en retirant son offre d’emploi avant l’échéance du délai de réflexion, alors que l’intimée est d’avis que la recourante aurait renoncé à l’offre avant l’échéance du délai, si bien qu’elle n’était plus liée. Il convient donc d’examiner si l’employeur était lié par l’effet – en principe obligatoire – de son offre ou s’il existait au contraire des motifs qui lui permettaient d’y mettre fin de manière anticipée.

On ne saurait suivre la cour cantonale en tant qu’elle fonde l’examen du caractère abusif ou non du licenciement sur le moment où le congé-modification est signifié à son destinataire, sans tenir compte des faits qui se sont produits jusqu’à l’échéance du délai de réflexion. En effet, dans l’arrêt 4C.282/2006 du 1er mars 2007, sur lequel s’appuient les juges cantonaux, le litige portait sur le caractère abusif ou non d’un congé-modification au sens large (arrêt 4C.282/2006 du 1er mars 2007 consid. 4.4). 

Cela étant, en présence d’un congé-modification au sens étroit [comme en l’espèce], la finalité du congé (conclusion d’un contrat modifié ou licenciement) est encore incertaine au moment de sa notification à l’employé et dépendra du comportement de celui-ci, lequel acceptera ou refusera l’offre de l’employeur, voire lui présentera une contre-offre qu’il pourra à son tour refuser ou accepter. Or, dans la mesure où le caractère abusif d’une résiliation peut non seulement découler de ses motifs, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit, il y a également lieu de tenir compte des faits qui se sont produits postérieurement à la résiliation.

En l’espèce, l’intimée n’a pas prévu de réserve de retrait à son offre, si bien qu’elle était liée par son effet obligatoire jusqu’à l’échéance du délai fixé par ses propres soins au 30 juin 2016. Par ailleurs, il est constant que la recourante n’a pas proposé des modifications sur des points essentiels de l’offre. En effet, on rappellera que dans son courriel du 17 juin 2016, la recourante s’est contentée de demander à l’intimée les motifs du déclassement de son salaire. En outre, le fait qu’elle ait refusé le cahier des charges proposé par l’intimée dans le cadre des pourparlers, comme l’a constaté la cour cantonale, constitue tout au plus un indice qu’elle entendait refuser le poste. Cela étant, on ne saurait déduire des actes de la recourante qu’elle a refusé le nouveau poste de travail, puisqu’elle l’a au contraire explicitement accepté par courrier du 27 juin 2016, soit dans le délai imparti.

En définitive, le caractère abusif du congé-modification découle de la façon dont l’intimée a mis fin aux rapports de service avec la recourante. En lui fixant un délai pour dire si elle acceptait le nouvel emploi proposé, sans toutefois en attendre l’échéance avant de résilier les rapports de service de manière définitive, elle s’est livrée à un double jeu, contrevenant de manière caractéristique au principe de la bonne foi. En niant le caractère abusif du licenciement prononcé dans ces circonstances, les juges cantonaux sont tombés dans l’arbitraire.

Au vu de ce qui précède, le recours doit être partiellement admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour qu’elle fixe l’indemnité au sens de l’art. 336a CO.

(Arrêt du Tribunal fédéral 8C_637/2022 du 2 juin 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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