Enregistrement des appels téléphoniques avec la clientèle, minimisation des données

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La société KG COM exploite plusieurs sites web afin de proposer à ses clients des consultations de voyance par chat ou par téléphone. Elle emploie six salariés.

L’article 5, paragraphe 1, c) du RGPD dispose que les données à caractère personnel doivent être  » adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) « .

La société enregistre systématiquement l’intégralité des appels téléphoniques passés entre les téléopérateurs et les prospects, ainsi qu’entre les voyants et les clients, à des fins de contrôle de la qualité du service, de preuve de la souscription du contrat et dans la perspective de réquisitions judiciaires. La rapporteure considère que cela conduit à collecter des données non limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités poursuivies.

La formation restreinte [de la CNIL] note que la société ne donne pas de justification concernant la nécessité d’enregistrer systématiquement l’intégralité des conversations téléphoniques, d’une part, entre les téléopérateurs et les prospects, et d’autre part, entre les voyants et les clients, à des fins de contrôle qualité, de preuve de la souscription du contrat et dans la perspective de réquisitions judiciaires.

Or, un responsable de traitement ne peut pas mettre en place un traitement de données à caractère personnel sans s’assurer que celui-ci est nécessaire à ses besoins, a fortiori lorsqu’il repose sur un dispositif particulièrement intrusif pour les salariés.

S’agissant de l’enregistrement intégral et systématique des appels téléphoniques à des fins de contrôle de la qualité du service, la formation restreinte considère que la finalité visant à contrôler la qualité du service fourni par les téléopérateurs et les voyants peut être atteinte par un moyen moins intrusif.

À cet égard, elle relève que la mise en place d’un enregistrement ponctuel et aléatoire de seulement quelques conversations téléphoniques permet à la personne chargée du suivi du contrôle qualité de disposer des éléments nécessaires à l’évaluation de la qualité des services proposés par la société.

Dès lors que le contrôle de la qualité du service peut être réalisé par échantillonnage, la formation restreinte considère que l’instauration d’un dispositif d’enregistrement systématique des appels téléphoniques passés, d’une part, entre les téléopérateurs et les prospects, et d’autre part, entre les voyants et les clients, est excessive au regard de la finalité poursuivie.

La formation restreinte rappelle qu’elle a déjà considéré, dans sa délibération n°SAN-2020-003 du 28 juillet 2020, à l’égard d’une société qui procédait à l’enregistrement des conversations téléphoniques reçus par les salariés du service clients d’une société à des fins de formation que  » la société ne justifie pas de la nécessité d’enregistrer l’intégralité des conversations téléphoniques passées par le service client, au regard de la finalité du traitement, à savoir la formation des salariés. (…) Si le nombre d’enregistrements peut varier en fonction de chaque salarié et des circonstances, en particulier des besoins de formation de celui-ci, (…) la société ne démontre pas avoir mis en place, pour le passé et l’avenir, un enregistrement des conversations téléphoniques des salariés limité à ce qui est nécessaire au regard de la finalité poursuivie. Or, un responsable de traitement ne peut mettre en place un traitement de données à caractère personnel sans s’assurer que celui-ci est nécessaire à ses besoins, a fortiori lorsqu’il repose sur un dispositif particulièrement intrusif pour les salariés. La formation restreinte considère donc, au vu de ces éléments, qu’un manquement à l’article 5-1-c) du RGPD est constitué « .

S’agissant de l’enregistrement intégral et systématique des appels téléphoniques à des fins de de preuve de la souscription du contrat, la formation restreinte relève qu’en l’espèce, les prospects communiquent leurs numéros de téléphone à la société via l’un des sites web qu’elle édite afin d’obtenir des renseignements sur les prestations de voyance proposées. À la suite de cette demande d’information, les téléconseillers de la société appellent les prospects afin de leur fournir ces informations et le cas échéant, fixer un rendez-vous avec un voyant.

La formation restreinte considère qu’un responsable du traitement qui souhaite enregistrer des conversations téléphoniques à des fins probatoires doit démontrer qu’il ne dispose pas d’autres moyens moins intrusifs pour prouver que le contrat conclu à distance a bien a été conclu avec la personne concernée.

La formation restreinte considère qu’en l’espèce, l’existence du contrat conclu à distance peut être prouvée par un autre moyen moins intrusif.

En effet, l’article L.221-16 du code de la consommation prévoit que, lorsque le professionnel contacte un consommateur par téléphone en vue de conclure un contrat portant sur la vente d’un bien ou sur la fourniture d’un service, ce dernier n’est engagé par cette offre qu’après l’avoir signée et acceptée sur un support durable.

La formation restreinte considère donc que, dès lors que la preuve de la souscription d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique, peut être apportée par la confirmation écrite de l’offre, l’enregistrement des conversations téléphoniques, passées entre les téléopérateurs et les prospects, à des fins de preuve de la formation du contrat, n’apparaît pas nécessaire.

Par ailleurs, la formation restreinte note qu’aucun contrat n’est conclu lors des appels téléphoniques passés entre les voyants et les clients, de sorte que l’enregistrement de ces conversations n’est pas justifié à des fins de preuve de la souscription d’un contrat.

S’agissant de l’enregistrement intégral et systématique des appels téléphoniques dans la perspective de réquisitions judiciaires, la formation restreinte relève que s’il est nécessaire que les responsables du traitement fassent droit aux réquisitions judiciaires qu’ils reçoivent concernant les données qu’ils traitent pour leurs propres besoins, ils n’ont en revanche pas à organiser, à l’avance, la collecte de données à caractère personnel dans la perspective de répondre à une potentielle réquisition judiciaire.

Dès lors, la formation restreinte considère que l’enregistrement [systématique] des appels téléphoniques passés, d’une part, entre les téléopérateurs et les prospects, et d’autre part, entre les voyants et les clients, afin de répondre à des réquisitions judiciaires, n’est pas justifié.

La formation restreinte considère donc, au vu de ces éléments, qu’un manquement à l’article 5, paragraphe 1, c) du RGPD est constitué.

La rapporteure relève également que lors des appels téléphoniques entre les téléopérateurs et les clients, ces derniers sont invités à communiquer leurs coordonnées bancaires. Elle considère que l’enregistrement sonore de la partie de la conversation relative à la collecte des données bancaires des clients ne saurait être justifié à des fins de suivi de la démarche qualité ou à des fins probatoires.

La formation restreinte relève qu’au jour des contrôles, la société enregistrait les appels passés entre les téléopérateurs et les prospects à des fins de suivi de la démarche qualité ou à des fins probatoires (souscription du contrat et réquisitions judiciaires). Lors de ces appels téléphoniques, les téléopérateurs collectaient les données bancaires des prospects (numéro de carte bancaire, date d’expiration et cryptogramme) et leur indiquaient que cette collecte leur permettait de  » participer à la sécurisation de la ligne pour un euro symbolique seulement « .

La formation restreinte relève que la société n’a pas mis en place de mesure spécifique permettant d’interrompre l’enregistrement de la conversation téléphonique lors de la collecte des données bancaires des clients. Or, elle considère que l’enregistrement sonore des données bancaires des clients n’est pas utile pour la société dans le cadre du contrôle qualité, à des fins probatoires ou de sécurité.

À titre d’exemple, la formation restreinte rappelle qu’elle a déjà considéré, dans sa délibération n°SAN-2020-003 du 28 juillet 2020, à l’égard d’une société qui, lors de l’enregistrement de conversations téléphoniques à des fins de formation, enregistrait les coordonnées bancaires des clients qui passaient des commandes par téléphone que  » les coordonnées bancaires sont des données qui compte tenu de leur nature et des risques de fraude associés doivent faire l’objet d’une protection renforcée de la part des responsables de traitement. (…) leur utilisation par des tiers non autorisés, dans le cadre de paiement frauduleux, est susceptible d’entraîner un préjudice pour les personnes concernées. La formation restreinte constate que la société enregistrait et conservait des données dont elle n’avait aucun usage au regard de la finalité poursuivie par le traitement en cause, à savoir la formation des salariés. Elle considère donc, au vu de ces éléments qu’un manquement à l’article 5-1-c) du RGPD est constitué « .

Par ailleurs, la formation restreinte considère que l’enregistrement sonore des données bancaires n’est pas non plus pertinent au regard des finalités invoquées par la société lors de la procédure : la réservation de rendez-vous avec un voyant, la simplification du règlement des consultations ultérieures, le paiement d’abonnements et la lutte contre la fraude.

Par conséquence, elle considère, au vu de ces éléments, qu’un manquement à l’article 5, paragraphe 1, c) du RGPD est constitué, dès lors que la société collecte des données excessives au regard des finalités poursuivies.

Texte du RGPD : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32016R0679

(CNIL, Délibération SAN-2023-008 du 8 juin 2023, nos 16-46)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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