
L’art. 12 LLCA énonce les règles professionnelles auxquelles l’avocat est soumis. Ce dernier doit notamment exercer sa profession avec soin et diligence (art. 12 let. a LLCA). Cette disposition constitue une clause générale qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession et qu’il s’abstienne de tout ce qui pourrait mettre en cause la fiabilité de celle-ci. Le devoir de diligence de l’avocat ne se limite pas aux rapports professionnels de celui-ci avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités, ainsi qu’avec le public. L’art. 12 let. a LLCA suppose l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession. Cependant, eu égard à la légèreté de la mesure la moins lourde parmi celles énoncées par la loi, à savoir l’avertissement (art. 17 al. 1 let. a LLCA), le manquement en question n’a pas à atteindre un haut seuil de gravité. Le Tribunal fédéral revoit librement le point de savoir s’il y a eu violation des règles professionnelles en fonction du comportement concret de la personne mise en cause, compte tenu de la situation qui se présentait à elle au moment des faits.
Selon la jurisprudence, l’avocat, qui peut se prévaloir de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), dispose d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice, pour autant qu’il le fasse dans le cadre de la procédure, que ce soit dans ses mémoires ou lors de débats oraux. Il y a en effet un intérêt public à ce qu’une procédure se déroule conformément aux exigences d’un Etat fondé sur le droit. En fonction de cet intérêt public, l’avocat a le devoir et le droit de relever les anomalies et de dénoncer les vices de la procédure. Si le prix à payer pour cette liberté revient à s’accommoder de certaines exagérations, la critique trouve ses limites là où elle quitte le terrain de l’objectivité et met en cause sans raison impérative l’intégrité des autorités. L’avocat agit ainsi contrairement à ses devoirs professionnels et, partant, de façon inadmissible, s’il formule des critiques de mauvaise foi ou dans une forme attentatoire à l’honneur, par exemple via des attaques personnelles, injurieuses ou purement polémiques, au lieu de se limiter à des allégations de fait et à des appréciations. En d’autres termes, la critique doit demeurer pertinente et se rapporter à des événements, manquements ou abus concrets qui doivent, dans la mesure du possible et de l’exigible, être démontrés. Si l’avocat considère de bonne foi que le comportement d’un confrère ou de magistrats est constitutif d’une infraction pénale ou d’une violation des règles professionnelles, il peut certes l’exprimer, mais il est tenu, sur la base de l’art. 12 let. a LLCA, de formuler ses griefs avec modération tant qu’il ne peut apporter la preuve de la véracité de ses reproches par la production d’un jugement pénal respectivement d’une décision judiciaire entré en force.
Une retenue particulière est attendue lorsque la critique est faite par écrit, vu le délai de réflexion accru consenti à son auteur pour peser ses mots et réfléchir à leur portée. Les déclarations publiques sont par ailleurs soumises à des exigences plus strictes et ne devraient être faites que si les circonstances le justifient, notamment lorsque l’avocat se heurte à d’importants dysfonctionnements des pouvoirs publics et ne peut obtenir par une autre voie légale qu’il y soit remédié.
A ainsi été sanctionné sous l’angle de l’art. 12 let. a LLCA le fait, pour un avocat, de publier sur le site internet d’une fondation dont il était l’unique membre du conseil, des articles portant des accusations sans objectivité de « mensonge », de « magouilles » et de « justice secrète » à l’encontre des autorités judiciaires (cf. arrêt 2C_665/2010 du 24 mai 2011 consid. 4). Il a également été considéré qu’était contraire à l’art. 12 let. a LLCA le fait pour un avocat d’alléguer – dans une lettre ouverte adressée non seulement à la Commission du barreau, mais également à des tiers non compétents comme un établissement bancaire, d’autres autorités et « certains autres tiers » – que des confrères utilisaient des méthodes qui violaient les règles professionnelles et qu’ils participaient à un groupe occulte de « renvoi d’ascenseur » notamment, sans être en mesure de prouver lesdites allégations (cf. arrêt 2A.191/2003 consid. 7.4).
En l’occurrence, les articles que le recourant [avocat VS] a publiés sur son blog sont, dans leur ensemble, rédigés dans un ton parfaitement inopportun et de nature à porter le discrédit sur toutes les autorités du canton du Valais. L’intéressé affirme en effet que ce canton ne respecte pas l’Etat de droit et accuse ses autorités, notamment pénales et administratives, d’agir au bénéfice de certains avocats en raison des liens d’amitié avec ceux-ci, tout en s’acharnant sur d’autres avocats, dont lui-même, et en bafouant des justiciables innocents. Il remet en outre en cause l’intégrité de la Chambre de surveillance en insinuant qu’elle se serait saisie de la cause uniquement parce que le Département auquel elle était rattachée nourrissait un désir de vengeance à son encontre à la suite d’articles qu’il avait publiés sur le chef dudit Département, dont deux collaborateurs avaient par ailleurs délibérément décidé d’ignorer un de ses recours. Enfin, il porte des accusations d’infractions pénales et de violation des devoirs professionnels de l’avocat à l’encontre d’un confrère, qu’il traite au demeurant de « filou ».
Le recourant soutient qu’il a agi de bonne foi, sans dessein de dire du mal d’autrui ou dans une forme attentatoire à l’honneur, et que sa démarche était dictée par un intérêt public à dénoncer médiatiquement les dysfonctionnements des autorités publiques – envers lesquelles il conteste avoir manqué de respect – en lien avec la vente de parcelles à la Commune de U.________. Quant aux soupçons d’infractions pénales et de violation des règles professionnelles de l’avocat émis à l’encontre de son confrère, ceux-ci reposeraient sur un faisceau d’indices suffisamment vraisemblables pour justifier l’ouverture de procédures pénales.
On ne voit manifestement pas en quoi le fait d’affirmer, sans aucune nuance, que l’Etat de droit n’est pas respecté dans le canton du Valais, en se fondant pour cela sur la seule allégation, du reste non démontrée, que toutes les autorités judiciaires et administratives dudit canton entretiennent des amitiés étroites avec certains avocats (dont il ne fait pas partie), constitue une critique admissible de l’administration de la justice protégée par la liberté d’opinion de l’avocat au sens de l’art. 16 Cst. Affirmer que de telles allégations auraient été proférées de bonne foi et sans dessein de nuire confine à la témérité. Il en va de même en ce que l’intéressé affirme que la justice pénale valaisanne est inefficiente et protège certaines personnes, dans une référence à peine voilée à son confrère B.________ dont il déclare qu’il est un proche ami du procureur général, et en tant qu’il soutient implicitement que la Chambre de surveillance ne serait pas impartiale du fait que le Département auquel elle est rattachée est mû par un sentiment de vengeance à son égard.
De telles accusations, qui ne reposent sur aucun contexte factuel – si ce n’est la référence à un recours de l’intéressé que des collaborateurs du Département précité auraient prétendument ignoré, sans qu’il ne précise de quel recours il s’agissait ni le contexte dans lequel celui-ci avait été déposé – ne sauraient en effet être comprises comme une critique du dysfonctionnement des pouvoirs publics ou une dénonciation de vices de procédure en lien avec une situation concrète, mais bien plutôt comme des déclarations à caractère purement polémique visant à discréditer les autorités ayant un jour ou l’autre eu affaire au recourant. Le fait que ce dernier ait tenu de tels propos non pas oralement mais par écrit, mode d’expression qui laisse en règle générale l’opportunité de la réflexion et de la mesure des mots employés, constitue une circonstance aggravante. Il n’est pas possible, dans ces conditions, de considérer que les critiques du recourant sont restées dans la mesure de l’acceptable, comme il le prétend. Sa longue argumentation relative à son rôle de lanceur d’alerte n’est, dans ce contexte, pas convaincante, ce d’autant moins qu’elle repose pour l’essentiel sur des faits qui ne ressortent pas de l’arrêt attaqué et qui sont donc irrecevables. Au demeurant, si l’intéressé avait des doutes objectivement fondés sur l’intégrité de certains magistrats à son égard, il lui aurait appartenu d’agir par les moyens appropriés, comme une demande de récusation, et non par des propos généraux et outranciers quittant le terrain de l’objectivité.
Enfin, il convient de souligner que les critiques litigieuses, diffusées dans un média librement accessible au public [un blog], sans raison impérative, sont de nature à saper la confiance dans les autorités et l’administration de la justice et, par extension, de porter atteinte à l’image de la profession d’avocat dans le public.
Quant aux critiques portées à l’encontre de son confrère B.________, celles-ci dépassent clairement les limites de ce qui peut être toléré dans les relations entre avocats. En effet, si le recourant était, sous réserve du principe de la bonne foi, libre de dénoncer les agissements de son confrère aux autorités compétentes et de saisir celles-ci, ce qu’il a a priori fait, on ne voit pas quelles circonstances justifiaient qu’il publiât ses griefs sur son blog internet et les diffuse ainsi auprès d’un nombre indéterminé de personnes non concernées, ce alors que le recourant ne pouvait se prévaloir, à ce stade, de décisions de justice confirmant la véracité de ses allégations. Cette façon de procéder apparaît d’autant moins tolérable que les publications litigieuses n’étaient pas le seul moyen pour le recourant de se défendre, dès lors qu’il existait des voies légales lui permettant de faire valoir ses griefs. Le comportement du recourant revient en réalité à anticiper des décisions judiciaires et à présumer un contenu favorable à sa cause.
Dans ces conditions, le Tribunal cantonal n’a pas méconnu le droit fédéral en considérant que le comportement du recourant était constitutif d’une violation du devoir de diligence de l’avocat au sens de l’art. 12 let. a LLCA.
(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_137/2023 du 26 juin 2023)
Addendum du 13.07.2023:
J’ai pu lire et résumer cet arrêt hier à sa publication sur le site internet du Tribunal fédéral.
On me dit aujourd’hui qu’il n’est plus consultable sous forme électronique, ce que confirme la consultation du site: https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza://26-06-2023-2C_137-2023&lang=fr&zoom=&type=show_document
C’est un peu curieux….
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)