Résiliation des rapports de service d’un fonctionnaire pour rupture du lien de confiance

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X.________ a été engagé par l’Etat de Neuchâtel en qualité d’expert fiscal OTI auprès du Service Service des contributions (ci-après : SCCO) à partir du 1er mai 2001, puis, nommé à cette fonction dès le 1er janvier 2003. En parallèle, il a par ailleurs œuvré bénévolement, dès 2008, auprès du club A.________ (ci-après : le club), d’abord en qualité de caissier puis de vice-président (dès mars 2016). Dans ce cadre, il s’occupait notamment du paiement des salaires et des cotisations sociales ainsi que de la retenue des impôts à la source des joueuses du club. En août 2019, il a appris que, dans le but d’obtenir le permis de travail pour certaines joueuses, le club avait conclu des doubles contrats l’un transmis au Service des migrations (SMIG) et l’autre utilisé comme base de paiement du salaire. Dans les contrats soumis au SMIG, les salaires étaient apparemment plus élevés que dans l’exemplaire remis aux joueuses. Sur ces entrefaites il a donné sa démission pour la fin de la saison. Dans le courant du mois de mars 2022, X.________ a, selon ses dires, été approché par une journaliste, qui lui aurait présenté des contrats de travail liant trois joueuses au club, dont il n’aurait pas eu connaissance et pour lesquels il n’aurait personnellement versé aucun salaire. L’intéressé, après avoir procédé à des vérifications sur le statut fiscal des trois joueuses concernées par ces contrats dans la base de données du A.________, a informé sa hiérarchie des pratiques problématiques du club A.________.

Le 22 juin 2022, X.________ a été entendu par le chef du A.________ ainsi que par la coordinatrice RH et budget de ce service. À cette occasion, il a admis avoir découvert en 2019 l’existence de la politique des doubles contrats, raison pour laquelle il avait, tout comme son épouse également membre du comité de l’association, démissionné du club pour la fin de la saison. À cet égard, il a précisé que l’impôt à la source avait été annoncé sur la base du contrat comprenant le salaire brut le plus élevé, soit celui qui avait été soumis au SMIG. S’agissant des trois contrats que la journaliste lui avait montrés, il a indiqué que seul l’un d’eux concernait la période où il était encore vice-président et que la présidente lui avait alors indiqué que la joueuse en question était payée par un tiers. Il n’avait pas vérifié si tout était en règle du côté de cet employeur. Il a enfin expliqué avoir immédiatement averti sa hiérarchie, après l’entretien avec la journaliste, pensant que l’existence des trois contrats précités pouvaient engendrer un problème au niveau fiscal. (…)

Par décision superprovisoire du 27 juin 2022, le Conseil d’Etat a suspendu l’intéressé avec effet immédiat, avec maintien du traitement. En bref, il a retenu une transgression des dispositions relatives aux activités accessoires, X.________ n’ayant pas annoncé à son chef de service l’activité qu’il exerçait auprès du club, et une violation crasse du devoir de diligence et de fidélité pour avoir tenté de cacher volontairement une pratique qui lui était apparue douteuse et pour avoir accepté la politique des doubles contrats. Il a également reproché à l’intéressé d’avoir outrepassé les règles en matière de contrôle fiscal pour avoir investigué personnellement, dans le cadre de ses fonctions, après avoir été informé par la journaliste de l’existence de contrats problématiques. (…)

Par décision du 22 mars 2023, le Conseil d’Etat a résilié les rapports de service au 30 juin 2023, libéré l’employé de son obligation de travailler et retiré l’effet suspensif à un éventuel recours. Il a considéré que le lien de confiance était rompu retenant que l’intéressé, en sa qualité de vice-président et membre du comité de A.________, avait participé à la pratique de rémunération de certaines joueuses étrangères ou à tout le moins toléré cette situation. Il a estimé qu’en tant que collaborateur exerçant au sein de l’entité « expertise et soustraction » auprès du A.________, celui-ci ne pouvait ignorer le fonctionnement de son club, dans lequel il a fonctionné pendant plus de dix ans en tant que membre du comité et dans lequel sa fille a été joueuse dans la première équipe. Il a estimé qu’il était impératif pour la crédibilité du A.________ qu’un expert fiscal de la soustraction, dont la tâche est justement de détecter les incohérences, conserve la distance et l’objectivité nécessaires à ses prises de décisions et que l’intéressé n’avait pas pris la mesure de ses obligations professionnelles. Le Conseil d’Etat doutait ainsi que X.________ soit en mesure d’adopter un comportement discipliné et exemplaire, qualité essentielle dans une activité sensible comme la sienne. Il a également retenu qu’une soustraction fiscale avait été commise, dans la mesure où l’intéressé n’avait pas déclaré de manière complète le revenu d’une joueuse soumise à l’impôt à la source. Il a enfin considéré qu’un avertissement préalable n’était en l’occurrence pas indispensable.

X.________ recourt contre cette décision devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal (….)

Selon l’article 45 al. 1 LSt, si des raisons d’inaptitude, de prestations insuffisantes, de manquements graves ou répétés aux devoirs de service ou d’autres raisons graves ne permettent plus la poursuite des rapports de service, l’autorité qui a nommé peut ordonner le renvoi d’un titulaire de fonction publique. Aux termes de l’article 46 al. 1 LSt, lorsque les faits reprochés au titulaire de fonction publique dépendent de sa volonté ou lorsque les exigences de la fonction ne sont pas remplies à satisfaction, le chef de service doit en avertir par écrit l’intéressé après l’avoir entendu et lui fixer un délai raisonnable pour s’améliorer ; il lui en suggère autant que possible certains moyens. L’avertissement préalable prévu par l’article 46 LSt n’est toutefois pas indispensable lorsque de justes motifs de renvoi sont fondés sur le seul intérêt du service. Dans de telles circonstances, le renvoi peut être prononcé sans avertissement préalable. Il en va de même lorsque, compte tenu de la fonction en cause, de la nature des faits reprochés au titulaire et de la personnalité de celui-ci, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le comportement incriminé ou les prestations insuffisantes s’améliorent, de manière à assurer durablement la bonne marche du service.

L’article 15 LSt dispose que les titulaires de fonctions publiques doivent se montrer dignes de la confiance que leur situation officielle exige (al. 1) et accomplir leurs tâches avec engagement, fidélité, honnêteté et impartialité, dans le respect des instructions reçues (al. 2). Cette disposition exprime un devoir général de fidélité qui, de façon comparable à ce qui est demandé aux travailleurs du secteur privé (cf. art. 321a CO), impose au fonctionnaire, de même qu’à l’employé d’une collectivité publique, de faire tout ce qui est conforme aux intérêts de l’employeur et de s’abstenir de tout ce qui lui porte préjudice. Plusieurs obligations découlant du devoir de fidélité se rapportent à l’intégrité des agents publics. L’agent public doit agir avec honnêteté et respecter la loi, en particulier ne pas transgresser la loi pénale. Il doit en outre sauvegarder l’autorité et l’intégrité de l’administration et, à cette fin, préserver son indépendance, son impartialité et son objectivité. Enfin, il ne doit pas, par ses actes, faire preuve d’indignité et jeter le discrédit sur l’ensemble des fonctionnaires. En d’autres termes, les agents publics doivent se comporter de manière à ce que la population puisse avoir confiance dans l’administration publique, en témoignant d’une moralité et d’une intégrité particulières. Il résulte de cette description générale du devoir d’intégrité que l’apparence joue un rôle important. En effet, l’administration doit non seulement être, mais aussi paraître intègre. Un comportement intègre implique donc non seulement de ne pas transgresser des règles légales, mais également de se comporter d’une manière qui ne donne pas l’apparence d’une administration corrompue. Il convient, en d’autres termes, de ne pas agir en favorisant ses propres intérêts et, par ailleurs, d’éviter toute situation de conflit d’intérêts – situation qui, en elle-même, peut déjà donner une mauvaise image de l’administration.

Les justes motifs de renvoi des fonctionnaires ou d’employés de la collectivité publique peuvent procéder de toutes circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, excluent la poursuite des rapports de service, même en l’absence de faute ; de toute nature, ils peuvent relever d’événements, de circonstances que l’intéressé ne pouvait éviter, ou au contraire d’activités, de comportements ou de situations qui lui sont imputables. Les conditions justifiant une résiliation ne se déterminent pas de façon abstraite ou générale, mais dépendent concrètement de la position et des responsabilités de l’intéressé, de la nature et de la durée des rapports de travail ainsi que du genre et de l’importance des griefs en cause. Peuvent être considérées comme justes motifs toutes les circonstances qui, d’après les règles de la bonne foi, font admettre que l’autorité qui nomme ne peut plus continuer les rapports de service (cf. par analogie art. 337 CO).

Selon la jurisprudence, l’autorité décide librement, dans les limites de son pouvoir d’appréciation dont elle devra néanmoins user de façon consciencieuse, si la fin des rapports de service est justifiée. L’existence d’un juste motif, autorisant le renvoi, même immédiat, n’a pas besoin d’être démontrée. Il suffit que le licenciement entre dans le pouvoir d’appréciation de l’autorité et apparaisse, au regard des prestations, du comportement de l’intéressé et des exigences de service, comme une mesure défendable. En outre, selon l’article 33 let. a et d LPJA, la Cour de céans examine uniquement si l’autorité a abusé de son pouvoir d’appréciation ou l’a excédé ; elle n’est pas habilitée à contrôler l’opportunité de la décision puisque aucun texte légal ne lui en donne la compétence.

En l’espèce, la décision de l’intimé invoque une rupture du rapport de confiance et met en évidence le fait que la collectivité publique, tenue vis-à-vis de l’ensemble de la population d’assurer ses tâches, doit pouvoir s’en remettre sans hésitation au fonctionnaire chargé de les accomplir. L’intimé rappelle aussi que l’intéressé, employé au sein de l’unité « expertise et soustraction » est amené à expertiser des dossiers des contribuables neuchâtelois liés à la fraude. Il estime que les contribuables et les responsables hiérarchiques, tout comme les autorités doivent pouvoir compter sur l’impartialité et la probité d’un tel fonctionnaire.

Dans le cas présent, bien que le dossier ne contienne pas les contrats de travail remis par la journaliste au printemps 2022, ni les échanges de mails entre le A.________, le SMIG et la CCNC, ce qui est regrettable, on peut toutefois déduire de ses déclarations, lors de l’entretien du 22 juin 2022, que le recourant a vu des contrats de travail rémunérés pour des joueuses qui n’avaient pas été annoncées aux autorités compétentes. (…)

Quoi qu’il en soit, dans la situation la plus favorable au recourant, il peut lui être reproché d’avoir toléré des joueuses étrangères dans la première équipe de A.________ sans connaître leur statut légal, en particulier sans savoir si un assujettissement à l’impôt à la source ou à des assurances sociales était nécessaire. En tant que vice-président du club de surcroît chargé de la gestion salariale et de la comptabilité, il ne pouvait pas se satisfaire des réponses lacunaires qu’il avait obtenues de la présidente en lien avec l’absence de versement de salaires aux joueuses étrangères. En sa qualité d’expert fiscal au sein d’un pôle sensible de l’administration fiscale, il ne pouvait fermer les yeux sur cette question et renoncer à examiner si et, le cas échéant comment, les joueuses pour lesquelles il admet n’avoir jamais vu aucun versement de salaire, étaient rétribuées. Il le pouvait d’autant moins, qu’il soupçonnait la présidente, en septembre 2019, d’établir de faux contrats. Il aurait dès lors dû se montrer plus insistant auprès de la présidence du club pour lever les doutes légitimes qu’il nourrissait au sujet du statut financier et légal de ces sportives, et cela dès le moment où il a constaté que des professionnelles évoluaient au sein du club, mais dont les salaires ne figuraient pas dans la comptabilité gérée par lui. Le recourant en savait manifestement trop pour garder une position passive compte tenu du fait que les pratiques douteuses du club pouvaient être constitutives de soustraction fiscale ou violer d’autres dispositions légales, en particulier celles en matière d’assurances sociales, de séjour des étrangers et de droit du travail. À cet égard, le dépôt de sa démission du club en septembre 2019 pour la fin de la saison (printemps 2020) constituait une réaction ni suffisante ni assez réactive. On doit dès lors admettre que ce comportement, émanant qui plus est d’un fonctionnaire occupé au service des soustractions fiscales et duquel une certaine exemplarité peut être attendue, pouvait justifier un licenciement.

La décision de résiliation peut paraître sévère, compte tenu d’une part du fait que le recourant a toujours donné satisfaction à son employeur – les objectifs fixés par le service tant au niveau qualitatif que quantitatif ayant notamment toujours été atteints (cf. entretiens d’évaluation de l’intéressé) – et, d’autre part, du fait, qu’à ce stade, le dossier n’établit pas que l’intéressé aurait joué un rôle actif dans les pratiques du club. Elle se tient cependant dans les limites du pouvoir appréciateur de l’intimé. Le fait qu’un expert fiscal, chargé de traquer les fraudes fiscales, puisse tolérer des situations aussi problématiques que celles décrites ci-dessus, est en effet à même de mettre en péril la crédibilité du service concerné de sorte que l’incidence du comportement de l’intéressé peut être appréciée plus sévèrement. L’intimé était objectivement fondé à estimer que le lien de confiance nécessaire pour continuer les rapports de travail avec l’employé était rompu et que l’intérêt public au bon fonctionnement du service, en écartant le recourant de ses fonctions, était prépondérant par rapport à l’intérêt privé de celui-ci à conserver sa place.

(Arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal [NE] CDP.2023.153)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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