Les décomptes d’heures supplémentaires de l’employé

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Selon l’art. 321c CO, si les circonstances exigent des heures de travail plus nombreuses que ne le prévoit le contrat ou l’usage, un contrat-type de travail ou une convention collective, le travailleur est tenu d’exécuter ce travail supplémentaire, dans la mesure où il peut s’en charger et où les règles de la bonne foi permettent de le lui demander (al. 1); l’employeur peut, avec l’accord du travailleur, compenser les heures de travail supplémentaires par un congé d’une durée au moins égale (al. 2); l’employeur est tenu de rétribuer les heures de travail supplémentaires qui ne sont pas compensées par un congé en versant un salaire normal majoré d’un quart au moins, sauf clause contraire d’un accord écrit, d’un contrat-type de travail ou d’une convention collective (al. 3).

Les heures supplémentaires, dont il est question à l’art. 321c CO, correspondent aux heures de travail accomplies au-delà de l’horaire contractuel, soit au-delà du temps de travail prévu par le contrat, l’usage, un contrat-type ou une convention collective (ATF 126 III 337 consid. 6a; 116 II 69 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_138/2023 du 12 juin 2023 consid. 4.1).

Selon la Convention collective nationale de travail sur l’hôtellerie et la restauration (CCNT; art. 357 CO; art. 1 LECCT), les heures supplémentaires sont des heures de travail faites en plus de la durée moyenne de la semaine de travail convenue. Ces dernières doivent être compensées, dans un délai convenable, par du temps libre de même durée ou rémunérées (art. 15 al. 4 CCNT). Elles doivent impérativement être payées à 125% du salaire brut si l’entreprise n’enregistre pas la durée du travail conformément à l’article 21 ou qu’elle ne communique pas chaque mois par écrit au collaborateur son solde d’heures supplémentaires ou encore que le paiement des heures supplémentaires a lieu après le dernier versement de salaire conformément à l’art. 14 (art. 15 al. 6 CCNT).

Conformément à l’art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC; RS 210), il appartient au travailleur de prouver qu’il a accompli des heures supplémentaires et, en plus, que celles-ci ont été ordonnées par l’employeur ou étaient nécessaires à la sauvegarde des intérêts légitimes de ce dernier. Le travailleur doit non seulement démontrer qu’il a effectué des heures supplémentaires au sens de l’art. 321c CO, mais également prouver la quotité des heures dont il réclame la rétribution. Lorsqu’il n’est pas possible d’en établir le nombre exact, le juge peut, par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO, procéder à une estimation. Si elle allège le fardeau de la preuve, cette disposition ne dispense pas le travailleur de fournir au juge, dans la mesure raisonnablement exigible, tous les éléments constituant des indices du nombre d’heures accomplies; la conclusion selon laquelle les heures supplémentaires ont été réellement effectuées dans la mesure alléguée doit s’imposer au juge avec une certaine force. Les documents librement confectionnés par l’une des parties au procès sont toutefois sujets à caution et n’ont a priori pas plus de valeur probante que de simples allégations de cette partie.

Lorsqu’il effectue spontanément des heures supplémentaires commandées par les circonstances, le travailleur doit en principe les déclarer dans un délai utile, afin de permettre à l’employeur de prendre d’éventuelles mesures d’organisation en connaissance du temps nécessaire à l’exécution des tâches confiées; à défaut, l’employé risque, sauf circonstances particulières, de voir son droit à la rémunération périmé. 

La CCNT institue un régime particulier quant au fardeau de la preuve de l’exécution d’heures supplémentaires. L’employeur est responsable de l’enregistrement de la durée du temps de travail effectué; cet enregistrement doit être signé au moins une fois par mois par le collaborateur (art. 21 al. 2 CCNT). L’employeur tient un registre des heures de travail et des jours de repos effectifs (art. 21 al. 3 CCNT). Si cette obligation n’est pas respectée, le contrôle de la durée du temps de travail tenu par le collaborateur sera admis comme moyen de preuve en cas de litige (art. 21 al. 4 CCNT). Il ne s’agit pas d’un renversement du fardeau de la preuve; toutefois, le juge pourra accorder une pleine valeur probante au décompte personnel de l’employé.

En l’espèce, les parties s’accordent à dire qu’avant l’installation de la timbreuse en juillet 2018, le responsable hiérarchique de l’appelant devait reporter sur le logiciel y relatif les horaires planifiés du collaborateur, qu’il devait les modifier en fonction des horaires réellement réalisés, que l’appelant recevait une feuille « navette » chaque mois – qui comportait, notamment, les horaires comptabilisés par le supérieur hiérarchique, ainsi que les heures supplémentaires dues, compensées et restant à compenser -, qu’il devait contrôler les heures recensées et qu’il était invité à signaler les éventuelles erreurs constatées et à en demander les corrections. L’intimée [l’employeur]  a produit l’ensemble des feuilles « navettes » de l’appelant [l’employè] de 2012 jusqu’à 2019. Certains mois, plusieurs feuilles avaient été établies pour tenir compte des corrections requises. L’appelant avait signé une feuille « navette » tous les mois. Les modifications demandées étaient apportées le mois suivant.

Remettant en cause l’exactitude et la force probante de ces feuilles « navettes », l’appelant a produit son propre décompte manuscrit de ses horaires journaliers entre décembre 2016 et mars 2019, dont il n’est pas contesté qu’il n’a jamais été remis à son ancienne employeuse.

Comme l’a, à raison, relevé le Tribunal, ledit décompte manuscrit ne tient compte d’aucune pause (contrairement aux feuilles « navettes »), ce qui apparaît peu vraisemblable, compte tenu du fait que les journées de travail de l’ancien employé oscillaient entre 9 et 12 heures, que, dans sa demande, il a allégué qu’il bénéficiait généralement d’une pause de trente minutes à midi et qu’il ne faisait pas partie des employés pour lesquels des manquements avaient été relevés, cités dans le courrier de l’IPE du 14 novembre 2019. Ce décompte comporte également des contradictions avec les modifications que l’ancien employé avait lui-même demandées sur les feuilles « navettes » en 2017, incohérences sur lesquelles il n’a fourni aucune explication.

S’agissant de ses critiques à l’égard des feuilles « navettes », l’appelant allègue qu’il avait fini par renoncer à demander des modifications, dans la mesure où ses demandes étaient refusées. Ceci n’est toutefois confirmé ni par les feuilles « navettes », sur lesquelles apparaissent les corrections sollicitées, ni par les témoignages recueillis. L’appelant remet également en cause le système de comptabilisation des heures, qui n’était, selon lui, ni objectif ni fiable, puisque son supérieur hiérarchique avait tout intérêt à ce que les collaborateurs soient performants à moindre coût et que la prise en considération des heures supplémentaires dépendait de la bonne entente entre l’employé et son responsable. Rien ne permet toutefois de retenir que le responsable n’aurait délibérément pas tenu compte d’heures supplémentaires, dans une optique de performance.

L’appelant ne saurait non plus être suivi lorsqu’il allègue que les employés subissaient des pressions pour voir leurs heures supplémentaires réduites et pour signer les feuilles « navettes », voire faisaient l’objet de menaces de licenciement. Aucun élément n’atteste d’une politique de l’intimée tendant à remettre en cause les heures supplémentaires effectuées par ses employés.

L’appelant considère, par ailleurs, que l’augmentation de ses heures supplémentaires depuis l’installation de la timbreuse en juillet 2018 est révélateur de l’activité réelle qu’il avait déployée tout au long de son activité pour l’intimée. L’appelant ne saurait tirer argument du fait qu’un système de comptabilisation des heures effectuées, plus simple et plus fiable, avait été mis en place par l’intimée. S’agissant du nombre d’heures supplémentaires effectuées dès juillet 2018, il ressort des feuilles « navettes » que celles-ci ont considérablement augmenté (non pas dès juillet 2018, comme le prétend l’appelant), mais dès octobre 2018, date qui coïncide avec l’officialisation du projet d’un nouveau restaurant, ouvert en mars 2019, et avec la prise de ses nouvelles responsabilités pour le service du petit-déjeuner et du déjeuner au début de l’année 2019.

Ainsi, il ressort de ce qui précède que c’est à raison que les premiers juges ont considéré que l’appelant n’était pas parvenu à remettre en cause la force probante des feuilles « navettes » et qu’il avait, par conséquent, échoué à apporter la preuve de la réalisation des heures supplémentaires non compensées ou rémunérées qu’il alléguait avoir effectuées.

(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice CAPH/115/2023 du 08.11.2023, consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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