
NB : il existe de très nombreuses décisions sur la protection spéciale dont jouirait le travailleur âgé et au bénéfice d’une grande ancienneté contre le licenciement. L’arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice [GE] CAPH/119/2023 du 13.11.2023 revient sur ce sujet de manière très… pédagogique :
L’appelante [=l’employeuse] conteste sa condamnation à payer à l’intimé [= l’employé] une indemnité nette de 15’000.- fr., avec suite d’intérêts, pour licenciement abusif ; l’intimé, de son côté, souhaitant porter la quotité de cette indemnité à 25’000.- fr.
Le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (article 335 al. 1 CO). En droit suisse du travail, la liberté de résiliation prévaut de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier. Le droit de chaque cocontractant de mettre fin au contrat unilatéralement est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif (articles 336 ss CO ). L’article 336 al. 1 et 2 CO énumère des cas dans lesquels la résiliation est abusive. Cette liste n’est pas exhaustive ; elle concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit. Un congé peut donc se révéler abusif dans d’autres situations que celles énoncées par la loi ; elles doivent toutefois apparaître comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément envisagées.
Ainsi, le caractère abusif du congé peut résider dans le motif répréhensible qui le sous-tend, dans la manière dont il est donné, dans la disproportion évidente des intérêts en présence ou encore dans l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but.
La jurisprudence du Tribunal fédéral a ainsi connu une évolution pour admettre de façon plus large de nouveaux cas de licenciements abusifs, tout en développant une motivation suffisamment restrictive pour ne pas rendre illusoire la liberté de résilier mais permettant de sanctionner des situations dans lesquelles la résiliation apparaît véritablement choquante (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4è éd., p. 808-809). Même si la jurisprudence en matière de cas innomés de licenciement abusif est abondante (DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2è éd., n°85 ad article 336 CO), il est malaisé de la synthétiser, dès lors que l’existence d’un abus de droit nécessite par essence de prendre en considération les circonstances particulières du cas concret (WYLER/HEINZER, loc. cit., p. 809). L’appréciation du caractère abusif d’un licenciement suppose ainsi l’examen de toutes les circonstances du cas d’espèce et il convient de se garder de se focaliser sur un seul élément du dossier sorti de son contexte (arrêt 4A_485/2016 du 28 avril 2017 consid. 3.2.4).
Le licenciement d’un travailleur proche de la retraite et bénéficiant d’une ancienneté au sein de l’entreprise a donné lieu à diverses décisions du Tribunal fédéral, pouvant peut-être apparaître disparates, qu’il est utile de rappeler. Ainsi, dans une décision de 2015, soumise à publication, le Tribunal fédéral avait jugé abusif le congé donné à un collaborateur âgé de 63 ans, bénéficiant de 44 années d’ancienneté (ATF 132 III 115 consid. 5).
Trois années plus tard, en 2008, le Tribunal fédéral retenait que n’était pas abusif le licenciement d’un collaborateur de 55 ans bénéficiant de 27 années de service, mais n’étant plus en mesure d’exécuter correctement ses tâches, ni d’assumer une autre occupation compatible avec ses ressources (ATF 4A_419/2007 du 29 janvier 2008). Par cette décision, la Cour suprême annulait une décision cantonale ayant appliqué la jurisprudence antérieure publiée (ATF 132 III 115) au motif que cet arrêt concernait un cas exceptionnel et extrême et qu’il fallait prendre en considération toutes les circonstances entourant un congé. Dans un arrêt de 2009, le Tribunal fédéral avait également jugé non abusif le congé d’un travailleur âgé de 63 ans bénéficiant de 25 années de service, mais présentant une mauvaise exécution du travail notamment due à des problèmes d’alcool (ATF 4A_60/2009 du 18 février 2013 consid. 3.2).
En 2013, le Tribunal fédéral a admis le caractère abusif d’un congé d’un travailleur âgé de 64 ans présentant 12 années de service, ayant exécuté ses tâches avec diligence et bénéficiant d’une évaluation satisfaisante. Dans une décision de 2014, le Tribunal fédéral a considéré comme abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 59 ans et bénéficiant de 11 années de service et rappelé à cet égard que l’employeur doit informer préalablement le travailleur de la mesure envisagée, lui donner l’occasion de se déterminer et rechercher des solutions permettant le maintien des rapports de travail (ATF 4A_384/2014 du 12 novembre 2014 consid. 4.2.1 et 4.2.2). Sur la base de cette jurisprudence, la Haute Cour a également confirmé le caractère abusif du licenciement d’un travailleur âgé de 59 ans et bénéficiant de 24 années de service pour lequel une solution de remplacement ou de dernière chance n’avait pas été offerte à l’intéressé (ATF 4A_31/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2 et 3).
En 2021, le Tribunal fédéral semble avoir fait marche arrière en considérant que le licenciement d’un travailleur occupant une position de direction générale, âgé de 60 ans et bénéficiant de 37 années de service, présentant au demeurant des conflits avec ses collaborateurs, n’était pas abusif nonobstant l’absence d’audition préalable et de recherche de solutions alternatives (ATF 4A_44/2021 du 2 juin 2021 consid. 4.2.3 ; cf. le commentaire de cet arrêt par Sattiva SPRING, Le bouclier de l’âge sous les coups du TF, Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_44/2021 du 2 juin 2021 in Newsletter DroitDuTravail.ch, septembre 2021). Cette autrice relève que la Cour paraît avoir compris que la rédaction de sa décision du 12 novembre 2014 était peut-être excessive ou maladroite et qu’il fallait probablement faire marche-arrière pour revenir à une application du droit qui corresponde mieux aux principes du Code des obligations fondés sur la liberté contractuelle, mêmes s’ils sont tempérés à de nombreux égards dans les relations de travail. Et de conclure que « la Haute Cour a été désormais extrêmement prudente puisqu’elle souligne l’obligation accrue de l’employeur d’une certaine protection dans la résiliation des contrats de travail d’employés âgés en poste de longue date, tout en relevant que le congé doit être examiné sur la base d’une évaluation globale des circonstances ». En l’espèce, le Tribunal fédéral avait considéré qu’il n’y avait pas de nécessité de protéger un directeur général disposant d’un pouvoir de décision considérable et bénéficiant d’un salaire relativement élevé. Dans une décision ultérieure du 1er février 2022 (ATF 4A_390/2021), le Tribunal fédéral a cassé l’arrêt de l’autorité cantonale qui avait jugé abusif le licenciement d’un collaborateur de 63 ans bénéficiant de 14 années de service. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle que le cas de l’ATF 132 III315 est exceptionnel, voire extrême et qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances du cas particulier et non s’en tenir au seul âge du collaborateur pour décider du caractère abusif ou non d’une résiliation. Et de préciser que les principes découlant de l’ATF 132 III 315 ne sauraient faire systématiquement obstacle au licenciement d’un collaborateur d’un certain âge, ayant œuvré durant de longues années au service du même employeur, lorsque le rendement du travailleur diminue à un tel point qu’il n’est plus en mesure d’exécuter à satisfaction les tâches qui lui sont confiées, ni d’assumer une autre occupation compatible avec ses ressources (arrêt 4A_390/2021 consid. 3.1.2). Et de préciser encore que le Code des obligations ne prévoit pas d’obligation d’un entretien préalable avant de prononcer un licenciement ou une mise en garde de l’employé à cet égard, de même qu’il n’existe pas d’obligation générale de soumettre le licenciement envisagé à un contrôle de proportionnalité. Dans ce cas d’espèce, la Haute Cour a considéré que, bien que l’employée n’était qu’à 10 mois de l’âge légal de la retraite, il n’était pas abusif pour l’employeuse de la licencier, faute notamment de savoir quand elle pourrait regagner son poste après plus de six mois d’arrêt maladie et en l’absence de toute information sur ce point de la part de l’employée. Dans une décision ultérieure de 2022, le Tribunal fédéral a considéré comme non abusif le licenciement d’un travailleur occupant une fonction élevée âgé de 54 ans et bénéficiant de 14 années d’ancienneté, en présence d’un changement d’organisation dans l’entreprise (ATF 4A_186/2002 consid. 4.3). Dans cet arrêt, la Haute Cour a pris en considération la fonction de cadre de l’intéressé.
Dans un arrêt de 2023 (ATF 4A_316/2022 du 18 janvier 2023 consid. 4), le Tribunal fédéral a confirmé le caractère abusif d’un licenciement jugé par la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice genevoise d’un travailleur âgé de 62, bénéficiant de 30 années d’ancienneté et ceci afin de diminuer l’effectif du personnel. La Haute Cour a considéré que la notification d’un tel licenciement à une employée qui avait fait preuve de loyauté et d’un travail irréprochable dénote un manque d’égards à son endroit et l’employeur aurait dû procéder à un entretien préalable et rechercher des solutions alternatives au licenciement. Enfin, dans un autre arrêt de 2023 (ATF 4A_117/2023 du15 mai 2023), le Tribunal fédéral a jugé abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 64 ans et bénéficiant d’une ancienneté de 30 ans, en rappelant que l’appréciation du caractère abusif du licenciement du travailleur âgé ayant une grande ancienneté, et le devoir de protection corrélatif pesant sur l’employeur, doivent se faire au regard des circonstances du cas particulier.
C’est à l’aune de tous ces principes qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de la critique de l’appelante à l’endroit du jugement entrepris.
La Chambre des prud’hommes relève que, engagé en 2001 en qualité de boulanger, B______ bénéficiait au moment de son licenciement d’une ancienneté de 19 années. De plus, né en 1958, il était âgé de 62 ans au moment de la prise de décision de son employeur. Les certificats de travail qui lui ont été remis témoignent d’une grande satisfaction de l’employeur sur l’exécution des tâches de son subordonné, qui s’est montré compétent, assidu et ponctuel. Les certificats de travail remis à ce sujet sont ainsi largement positifs. S’agissant de l’activité de l’intéressé, ce dernier a été principalement affecté au laboratoire de C______ de 2001 à 2016, puis au laboratoire de D______ de 2016 à 2017, puis à nouveau au laboratoire de C______ à compter de 2017 jusqu’à la fermeture pour cause de pandémie en mars 2020, pour être enfin à nouveau affecté au laboratoire de D______ afin d’y effectuer son préavis qu’il a réalisé jusqu’à son incapacité pour cause de maladie.
L’employeuse invoque la fermeture du laboratoire de C______ pour raisons économiques comme motif du licenciement notifié à son travailleur âgé et bénéficiant d’une ancienneté. Quelle que soit la légitimité de ce motif, il convient d’apprécier, s’agissant d’un travailleur âgé bénéficiant d’une ancienneté, si un devoir de protection corrélatif de l’employeur s’imposait au regard de l’ensemble des circonstances du cas concret. Cet examen doit être effectué à l’aune des critères jurisprudentielles rappelés ci-dessus, en prenant toujours en considération les circonstances du cas concret.
Il découle de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral énoncée ci-dessus que le caractère abusif d’un licenciement d’un collaborateur âgé bénéficiant d’une ancienneté n’a pas été retenu essentiellement au regard d’une position élevée du collaborateur (ATF 4A_186/2002 ; ATF 4A_44/2021) ou lorsque le collaborateur était absent et que cette situation nécessitait une réorganisation de l’entreprise (ATF 4A_390/2021) ou encore les prestations du collaborateur étaient jugées mauvaises ou insuffisantes (ATF 4A_419/2007 ; ATF 4A_60/2009).
S’agissant des décisions jurisprudentielles les plus récentes, le Tribunal fédéral a admis le caractère abusif d’un licenciement d’un collaborateur âgé de 62 ans et disposant de 39 ans d’ancienneté qui avait fait preuve de loyauté et d’un travail irréprochable en considérant que, même si les motifs invoqués par l’employeur pour diminuer l’effectif du personnel pouvaient être légitimes, l’employeur aurait dû procéder à un intérêt préalable et rechercher des solutions alternatives au licenciement (ATF 18 janvier 2023 4A_307/2022). Dans un arrêt ultérieur du 15 mai 2023, le Tribunal fédéral a jugé abusif le licenciement d’un travailleur âgé de 64 ans, ayant une ancienneté de 30 ans, en considérant que le devoir de protection corrélatif pesant sur l’employeur doit se faire au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier (TF arrêt du 15 mai 2023 4A_117/2023).
En l’espèce, il ressort des certificats de travail établis par l’employeur que l’intimé a travaillé à l’entière satisfaction de A______, qu’il s’était acquitté de ses tâches avec sérieux, rigueur et ponctualité, qu’il était un excellent professionnel, toujours présent à son poste de travail et apprécié de ses collègues et de ses supérieurs. Certes, l’intimé avait fait l’objet de deux avertissements en 2010 et 2016 pour des faits mineurs et un troisième avertissement sur lequel il a eu l’occasion de s’exprimer, la juridiction n’ayant pas été informée du sort qui avait été donné à sa contestation de cette mesure, qui ne semble toutefois pas avoir altéré la satisfaction sur les tâches de son subordonné, comme en témoignent les deux certificats de travail qui ont été produits à la procédure. L’employeur ne peut donc invoquer une quelconque défaillance liée à la qualité des prestations de son subordonné pour justifier un licenciement et l’appelante ne le fait d’ailleurs pas.
Il ressort de la procédure que le travailleur a été licencié le 27 mai 2020, dès la reprise du travail à la fin du chômage technique lié à la situation de la pandémie covid-19, qui avait obligé l’entreprise à cesser son activité le 18 mars 2020. Aucune solution alternative ne fut discutée ni lors de l’entretien de licenciement du 27 mai 2020 au cours duquel l’employé s’est vu remettre une lettre qu’il a été invité à signer, ni ultérieurement, notamment lorsque l’employé s’est opposé au licenciement par courrier du 15 août 2020, en sollicitant les motifs de la décision de mettre fin aux rapports de service, motifs qui lui ont été communiqués par courrier du 19 août 2020. Dans cette communication, il était indiqué que la production de la marchandise ayant diminué, eu égard à la baisse de la fréquentation des points de vente, la décision avait été prise de fermer le laboratoire de C______. Cette décision n’était toutefois pas définitive puisque l’employeur indiquait que, à sa connaissance, le laboratoire de C______ ne rouvrirait pas avant plusieurs mois. Ainsi l’employé s’est trouvé définitivement licencié en raison de la fermeture, à l’époque provisoire, du lieu de travail dans lequel il évoluait.
Il importait que l’employeur puisse discuter avec son employé de la restructuration (provisoire) qu’il envisageait, d’examiner avec le travailleur de possibles solutions alternatives – qui, au demeurant, existaient en l’espèce – et de lui montrer un peu d’empathie. Or, il ressort de la procédure que l’appelante a sèchement congédié le travailleur le jour même du retour d’un chômage technique imposé par la pandémie covid-19, situation qui a beaucoup choqué B______ qui produit à la procédure des certificats médicaux démontrant une souffrance psychologique liée à cette situation. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu le manque d’égards à l’endroit de l’employé. La jurisprudence retient que l’abus n’est pas obligatoirement inhérent au motif de la résiliation ; il peut également surgir dans les modalités et peut découler, en outre, de la manière dont le congé a été donné (ATF 136 III 513 ; ATF 131 III 535). La Chambre des prud’hommes relève au demeurant que le manque d’égards à l’endroit de l’intimé s’est également manifesté après la notification du licenciement. Alors que le collaborateur licencié avait effectué la quasi-totalité de son préavis, il fut instruit, après plus de trois mois de maladie, d’effectuer le solde de son préavis au motif que l’assurance perte de gains avait, dans un premier temps, considéré qu’une reprise de l’activité au 1er décembre 2020 pouvait être envisagée.
Compte tenu de l’âge de B______ et d’un accomplissement sans critique de ses tâches pendant de nombreuses années, la Chambre des prud’hommes considère que l’employeur avait, au sens de la jurisprudence précitée, un devoir de protection à l’endroit de son collaborateur âgé, bénéficiant d’une ancienneté. Ce devoir de protection pouvait se concrétiser en l’espèce par la recherche d’une solution alternative ou autre mesure de reclassement qui pouvait être retenue. Sur ce point, le Tribunal rappelle judicieusement que B______ avait, pendant la fermeture du laboratoire de C______, travaillé dans le laboratoire de D______, tout d’abord en 2016 à l’occasion des travaux de la C______, puis en 2020 pour y effectuer le préavis de licenciement au motif que le laboratoire de C______, était « provisoirement » fermé. En invitant son collaborateur à effectuer son préavis dans le laboratoire de D______, l’employeuse a démontré qu’une solution alternative pouvait être trouvée par l’affectation de son collaborateur à l’atelier de fabrication de D______ dans lequel il avait déjà évolué lorsque le laboratoire de C______ avait été fermé. Le Tribunal relève d’ailleurs avec raison que les boulangers de l’entreprise travaillaient alternativement à l’atelier de D______ et au laboratoire de C______, les employés pouvant être ponctuellement affectés à l’un ou l’autre des deux laboratoires. Enfin, avec pertinence, les premiers juges ont retenu qu’un nouveau boulanger avait été engagé au début du mois de mars 2020 au laboratoire de D______ en remplacement d’un salarié qui avait quitté l’entreprise, employé qui n’avait que très peu d’ancienneté au regard des quasiment 20 ans dont bénéficiait l’intimé.
C’est donc à juste titre que l’instance précédente a retenu une disproportion manifeste des intérêts en jeu et le licenciement doit ainsi être qualifié d’abusif.
Dans un appel joint, l’intimé conclut au paiement d’une indemnité nette de 25’000.- fr., en lieu et place de 15’000.- fr. alloués par le Tribunal, au regard du préjudice important causé par cette situation et de la faute grave qui peut être reprochée à l’employeuse.
L’indemnité en raison du congé abusif a une double finalité, punitive et réparatrice. Cette indemnité n’a pas un caractère salarial et est due même si le travailleur n’a subi et éprouvé aucun dommage ou préjudice. Elle revêt ainsi un caractère sui generis et s’apparente à une peine conventionnelle. L’indemnité est fixée par le juge compte tenu de toutes les circonstances (article 335a al. 2 CO). Le juge jouit ainsi d’un large pouvoir d’appréciation (article 4 CC) et n’est limité que dans la mesure où il ne peut allouer au maximum qu’un montant correspondant à six mois de salaire. Les critères devant être pris en considération pour fixer l’indemnité sont ainsi très divers et la jurisprudence a notamment retenu une dizaine de critères, tels la gravité de la faute de l’employeur, la manière dont s’est déroulée la résiliation, la gravité de l’atteinte à la personnalité du travailleur, l’intensité et la durée des rapports de travail, les effets économiques du licenciement, l’âge et la situation personnelle du travailleur, les éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique, l’éventuelle faute concomitante du travailleur licencié.
La Chambre des prud’hommes n’entend pas minimiser le désarroi que le licenciement a suscité chez la personne de B______ et des effets psychologiques qui sont venus s’ajouter à une autre circonstance dramatique. Toutefois, au regard de toutes les circonstances du cas d’espèce, l’indemnité de licenciement abusif retenu par les premiers juges ne souffre pas de critique et est conforme à la jurisprudence relative à l’article 336a al. 2 CO. La faute de l’employeuse ne peut en effet être qualifiée de très grave, ainsi que l’invoque l’intimé à l’appui de son appel-joint. En effet, l’entreprise, même si elle n’a pas manifesté beaucoup d’égards à l’endroit de son collaborateur licencié, a pris une décision managériale en décidant de fermer un poste de fabrication qui, à ses yeux, l’autorisait à mettre fin aux rapports de travail avec le collaborateur qui officiait dans ce lieu de fabrication, sans certes rechercher si une solution alternative pouvait être trouvée. On ne voit pas dans ce comportement une faute très grave qui justifierait la réforme du jugement du Tribunal sur ce point.
(Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice [GE] CAPH/119/2023 du 13.11.2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)