L’employé qui fouine dans les dossiers RH

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Dans une note de mai 2017, A.________ s’est vu reprocher de s’être rendu à plusieurs reprises et sans prise de contact préalable dans les locaux de l’administration E.________ (ci-après: l’administration E.________) au motif de vouloir rendre service à F.________, cheffe de groupe coordinatrice et adjointe au service du contentieux de l’administration E.________, en congé maladie. Il lui a été demandé de ne plus se rendre dans les locaux précités et ses supérieurs l’ont reçu en entretien. 

 Le 13 décembre 2018, les directeurs des ressources humaines (ci-après: RH) du DT et du département des finances et des RH (ci-après: DF) ont adressé un courriel à A.________ et F.________ au sujet de leur présence commune répétée dans les toilettes des hommes ou des femmes du DF. Ce message a été versé dans leur dossier respectif, ce à quoi les intéressés se sont opposés par courriel commun. 

 Le 19 février 2019, le directeur des RH du DF a été informé qu’un nettoyeur avait noté la présence de A.________ dans les locaux de la direction des RH du DF le soir du 18 février 2019. Le même jour, il a entendu l’équipe de nettoyage. Selon les déclarations recueillies, le 18 février 2019, A.________ avait emprunté un badge à un nettoyeur, pénétré dans les bureaux de la direction des RH du DF, en était ressorti avec des documents et en avait fait des photocopies. A l’issue de l’audition, le responsable de secteur RH du DF a constaté que les échanges de courriels de décembre 2018 versés dans le dossier personnel de F.________ avaient disparu. Le 20 février 2019, le « log » de la photocopieuse de l’office D.________ et le journal d’utilisation du badge du nettoyeur ont été vérifiés. Les données coïncidaient avec les faits relatés par l’équipe de nettoyage. 

Le Conseil d’Etat a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de A.________. Il a confié l’enquête à un magistrat de la Cour de justice. Il a par ailleurs ratifié la libération provisoire de l’obligation de travailler et a suspendu l’employé de ses fonctions. 

 Le 5 juin 2019, l’enquêteur a rendu son rapport et conclu qu’une faute disciplinaire était établie. L’intrusion indue et subreptice de A.________ dans les archives des RH du DF le 18 février 2019 devait être qualifiée de faute grave. Elle avait été précédée d’une déambulation préoccupante dans les locaux des ressources humaines du DF le 17 décembre 2018, pouvant être comprise comme une tentative ou des repérages avant l’occasion favorable. 

 Le Conseil d’Etat a révoqué A.________ de ses fonctions avec effet immédiat, ce qui a été confirmé par la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève.

Le litige porte sur le point de savoir si c’est à bon droit que la cour cantonale a confirmé la révocation du recourant avec effet immédiat.

 Selon l’art. 16 al. 1 de la loi générale du canton de Genève du 4 décembre 1997 relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux (LPAC; RS/GE B 5 05), les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l’objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes: 

a) prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie:

1° le blâme;

b) prononcées, au sein de l’administration cantonale, par le chef du département ou le chancelier d’Etat, d’entente avec l’office du personnel de l’Etat; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par le secrétaire général du pouvoir judiciaire; au sein de l’établissement, par le directeur général:

2° la suspension d’augmentation du traitement pendant une durée déterminée,

3° la réduction de traitement à l’intérieur de la classe;

c) prononcées, à l’encontre d’un fonctionnaire, au sein de l’administration cantonale, par le Conseil d’Etat; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par la commission de gestion du pouvoir judiciaire; au sein de l’établissement par le conseil d’administration:

4° le retour au statut d’employé en période probatoire pour une durée maximale de 3 ans,

5° la révocation.

 Selon la jurisprudence de la Cour de justice (cf. ATA/56/2019 consid. 11), il faut distinguer deux types de licenciement s’agissant de la résiliation des rapports de service d’un membre du personnel: la résiliation pour des motifs objectifs liés au bon fonctionnement de l’administration, ou licenciement pour motif fondé (art. 22 LPAC), qui est une mesure administrative, et le licenciement pour violation des devoirs de service ou révocation, lequel est une sanction disciplinaire (art. 16 al. 1 let. c ch. 5 LPAC). Le recours contre une sanction disciplinaire est traité à l’art. 30 LPAC, tandis que celui contre une décision de résiliation des rapports de service l’est à l’art. 31 LPAC.

C’est sans arbitraire que la cour cantonale s’est fondée sur le rapport de l’enquêteur du 5 juin 2019 et a tenu pour établi que le recourant s’était introduit dans les bureaux des archives des RH du DF sans autorisation. A l’instar de l’autorité intimée, les juges cantonaux ont considéré que cette intrusion s’était faite par le biais de l’emprunt du badge d’un nettoyeur et constituait une violation grave des devoirs de service du recourant. Aussi, elle justifiait une rupture du lien de confiance entre l’autorité intimée et son employé qui devait être sanctionnée par une révocation avec effet immédiat.

A titre subsidiaire, le recourant se plaint d’une violation du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) en lien avec l’art. 16 LPAC. La cour cantonale n’aurait pas procédé à un examen sous l’angle de la proportionnalité et les actes reprochés au recourant ne léseraient pas d’intérêt public suffisant pour justifier la fin des rapports de service après dix ans de services loyaux et compétents. Une mesure moins sévère, comme l’éloignement du recourant de F.________ et du DF combiné avec une sanction, aurait suffi à éviter toute récidive et permis la continuation des rapports de travail. 

Une mesure viole le principe de la proportionnalité notamment si elle excède le but visé et qu’elle ne se trouve pas dans un rapport raisonnable avec celui-ci et les intérêts, en l’espèce publics, compromis. Le principe de la proportionnalité, bien que de rang constitutionnel, ne constitue pas un droit constitutionnel avec une portée propre. Aussi, lorsque, comme en l’espèce, ce principe est invoqué en relation avec l’application du droit cantonal (en dehors du domaine de protection d’un droit fondamental spécial), le Tribunal fédéral n’intervient-il, en cas de violation du principe de la proportionnalité, que si la mesure de droit cantonal est manifestement disproportionnée et qu’elle viole simultanément l’interdiction de l’arbitraire; autrement dit le grief se confond avec celui de l’arbitraire. 

 Le choix du type et de la gravité de la sanction doit répondre au principe de la proportionnalité. Il doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. 

Dans le domaine des mesures disciplinaires, la révocation est la sanction la plus lourde. Elle implique une violation grave ou continue des devoirs de service. Il peut s’agir soit d’une violation unique spécialement grave, soit d’un ensemble de transgressions dont la gravité résulte de leur répétition. L’importance du manquement doit être appréciée à la lumière des exigences particulières qui sont liées à la fonction occupée. Toute violation des devoirs de service ne saurait cependant être sanctionnée par la voie de la révocation disciplinaire. Cette mesure revêt en effet l’aspect d’une peine et présente un caractère plus ou moins infamant. Elle s’impose surtout dans les cas où le comportement de l’agent démontre qu’il n’est plus digne de rester en fonction.

Lorsque l’autorité choisit la sanction disciplinaire qu’elle considère appropriée, elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation, lequel est toutefois subordonné au respect du principe de la proportionnalité. Son choix ne dépend pas seulement des circonstances subjectives de la violation incriminée ou de la prévention générale, mais aussi de l’intérêt objectif à la restauration, vis-à-vis du public, du rapport de confiance qui a été compromis par la violation du devoir de fonction.

 En l’espèce, sans remettre en cause ses compétences professionnelles et l’absence d’antécédents disciplinaires, les juges cantonaux ont considéré que le comportement du recourant lors des faits qui lui étaient reprochés ne relevaient pas de l’exécution fidèle et diligente des tâches professionnelles, mais de son lien de confiance avec l’employeur. En raison d’incidents passés, le recourant avait déjà été avisé du fait qu’il n’avait pas à pénétrer dans les locaux de l’autre département occupant le même bâtiment que le sien lorsqu’il n’y était pas invité ou convoqué. Il s’était aussi engagé à ne pas se rendre dans un endroit où il n’était pas autorisé à être. En dépit de cela, il avait procédé à des repérages quelques mois auparavant, demandé au nettoyeur s’ils étaient seuls, pris la précaution de se renseigner sur comment il pourrait sortir du bâtiment au-delà des heures d’ouverture sans utiliser son badge. Il avait en outre créé l’apparence d’avoir quitté le lieu de travail à 18h56, avait accédé aux bureaux non seulement en dehors des heures de travail, mais encore avec un badge emprunté à un nettoyeur, et avait ainsi voulu tromper son employeur. A l’issue de l’enquête administrative ouverte à son encontre, le recourant n’avait pas montré qu’il avait compris la gravité de son comportement et entendait s’amender. Au contraire, il avait dénigré les témoins et minimisé les faits qui lui étaient reprochés. Son intrusion non autorisée dans les archives du personnel des RH du DF comportant des informations sensibles des collaborateurs avait par ailleurs eu des conséquences sur le bon fonctionnement du département. La révocation du recourant avec effet immédiat permettait ainsi d’éviter toute éventuelle réitération du comportement répréhensible et était dès lors conforme au droit. 

 Ce raisonnement résiste à l’examen sous l’angle du principe de la proportionnalité: la révocation avec effet immédiat n’apparaît pas manifestement disproportionnée et ne viole pas l’interdiction de l’arbitraire. En effet, pour les motifs soigneusement exposés par la cour cantonale, la violation par le recourant de ses devoirs de service est particulièrement grave. Aussi, compte tenu des faits constatés par la cour cantonale, il n’apparaît pas arbitraire de considérer que le lien de confiance entre l’autorité intimée et son employé est rompu. Enfin, le recourant échoue également à démontrer le caractère arbitraire de l’appréciation de la cour cantonale en alléguant qu’il aurait suffi, à titre de sanction disciplinaire, de l’éloigner de F.________. Par cette argumentation, il semble méconnaître que ce ne sont pas les faits rapportés dans les courriels du 13 décembre 2018 versés aux dossiers personnels du recourant et de F.________ qui ont fondé sa révocation avec effet immédiat, mais son intrusion planifiée le soir du 18 février 2019 dans les bureaux des archives des RH du DF, auxquels il avait été interdit d’accès et qui comportaient des informations sensibles sur les collaborateurs. Aussi bien, la cour cantonale n’a-t-elle pas abusé de son large pouvoir d’appréciation en considérant que la révocation avec effet immédiat était conforme au droit. 

 (Arrêt du Tribunal fédéral 8C_530/2020 du 1er juin 2021)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VDF)

A propos Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M. (Tax), Genève et Yverdon.
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