
A teneur de l’art. 127 al. 4 CPP, les parties peuvent choisir pour conseil juridique toute personne digne de confiance, jouissant de la capacité civile et ayant une bonne réputation ; la législation sur les avocats est réservée. L’autorité en charge de la procédure statue d’office et en tout temps sur la capacité de postuler d’un mandataire professionnel. En effet, l’interdiction de postuler dans un cas concret – à distinguer d’une suspension provisoire ou définitive – ne relève en principe pas du droit disciplinaire, mais du contrôle du pouvoir de postuler de l’avocat. Dans les règles relatives aux conseils juridiques, l’art. 127 al. 4 CPP réserve la législation sur les avocats.
L’art. 12 LLCA énonce les règles professionnelles auxquelles l’avocat est soumis.
Selon l’art. 12 let. a LLCA, il doit exercer sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession. Sa portée n’est pas limitée aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités.
L’art. 12 let. b LLCA prévoit notamment que l’avocat exerce son activité professionnelle en toute indépendance. L’indépendance est un principe essentiel de la profession d’avocat et doit être garantie tant à l’égard du juge et des parties, que du client. Celui qui s’adresse à un avocat doit pouvoir admettre que celui-ci est libre de tout lien, de quelque nature que ce soit et à l’égard de qui que soit, qui pourrait restreindre sa capacité de défendre les intérêts de son client, dans l’accomplissement du mandat que ce dernier lui a confié.
Quant à l’art. 12 let. c LLCA, il prescrit à l’avocat d’éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Même si cela ne ressort pas explicitement du texte légal, l’art. 12 let. c LLCA impose aussi d’éviter les conflits entre les propres intérêts de l’avocat et ceux de ses clients. Un avocat ne doit donc pas accepter un mandat, respectivement s’en dessaisir, quand les intérêts du client entrent en collision avec ses propres intérêts. Ainsi, en cas de conflit personnel d’une certaine importance avec un confrère qu’il sait assister la partie adverse, un avocat ne doit pas accepter le mandat, dès lors qu’il sait qu’il ne pourra pas le remplir en toute indépendance et sans conflit d’intérêts.
L’interdiction de plaider en cas de conflit d’intérêts se trouve en lien avec la clause générale de l’art. 12 let. a LLCA précité, selon laquelle l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu’avec l’obligation d’indépendance rappelée à l’art. 12 let. b LLCA.
Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l’avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d’intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s’assurant qu’aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l’un de ses clients. Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n’est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l’avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client. Dès que le conflit d’intérêts survient, l’avocat doit mettre fin à la représentation.
Celui qui, en violation des obligations énoncées à l’art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense alors qu’il existe un tel risque de conflit doit se voir dénier par l’autorité la capacité de postuler. L’interdiction de plaider est, en effet, la conséquence logique du constat de l’existence d’un tel conflit.
En aucune mesure, l’avocat ne doit se laisser influencer par ses intérêts personnels et ne saurait accepter un mandat dans lequel il pourrait se trouver impliqué à titre personnel ou voir ses propres intérêts potentiellement en jeu, auquel cas il convient de se montrer particulièrement sévère dans l’appréciation du risque de conflit d’intérêts.
En l’espèce, par courrier daté du 14 septembre 2023, D.________ a déposé une plainte pénale à l’encontre du recourant pour tentative de contrainte. Il estime en substance que le courrier du 17 juillet 2023 qui a été adressé à Me F.________ – lequel représente notamment la société E.________ SA, et non D.________ personnellement – est constitutif d’une telle infraction, étant donné que dans ce courrier, le recourant laissait entendre qu’il serait dans son (= D.________) intérêt d’entamer des négociations dans le cadre du litige civil qui les opposait, faute de quoi le recourant pourrait transmettre aux autorités fiscales des informations le concernant desquels il ressortirait la commission d’une infraction pénale. La Chambre relève que le courrier du 17 juillet 2023 a été rédigé et signé par Me B.________, pour le compte du recourant et que la question de savoir qui a élaboré, respectivement formulé le courrier litigieux – question pourtant essentielle, entre autres, afin de déterminer si le recourant s’est rendu coupable ou non de cette infraction –, n’est actuellement pas claire et devra précisément être instruite. Dans ces conditions, il est manifeste que les intérêts de Me B.________ et ceux du recourant [son client] sont en conflit. En effet, suivant les résultats de l’instruction menée à l’encontre du recourant, on ne peut pas exclure que Me B.________ doive être entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, voire de prévenu de tentative de contrainte, en tant qu’il a rédigé le courrier litigieux. Il demeure ainsi une possibilité (concrète) que le recourant et Me B.________ soient considérés comme des coprévenus, lesquels auraient alors tout intérêt à rejeter la faute sur l’autre, en déclarant que c’est l’autre qui a élaboré et formulé le courrier litigieux, à l’exclusion de lui-même.
Ainsi que le retient le Ministère public, le conflit d’intérêts apparaît suffisamment concret – ce qui ne signifie pas encore qu’il s’est effectivement réalisé – pour que l’avocat doive mettre fin à la représentation de son client, dans le cadre de l’instruction pénale ouverte à l’encontre du recourant pour tentative de contrainte.
(Arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal [FR] 502 2023 275 du 21.12.2023, consid. 2.3)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onenns (VD)