Le contenu du dossier médical

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L’objet du litige a trait à la violation de l’obligation relative à la tenue du dossier médical du patient et à la mesure disciplinaire infligée au recourant [= médecin], à savoir un avertissement.

Le recourant invoque une violation de l’art. 40 de la loi fédérale du 23 juin 2006 sur les professions médicales universitaires (loi sur les professions médicales, LPMéd; RS 811.11). Il estime avoir respecté son devoir relatif à la tenue du dossier médical et met en exergue l’ATF 141 III 363; il souligne que seules les données importantes doivent être inscrites dans le dossier médical et qu’à l’inverse les examens de contrôle n’ont pas à être signalés. Selon lui, le Doppler n’était pas un examen utile pour déterminer si la grossesse était intra ou extra-utérine. En outre, cet examen, effectué au cours de l’échographie endovaginale, représentait un contrôle réalisé par mesure de précaution. ll s’agissait donc d’un acte habituel et il n’y avait pas d’intérêt médical à consigner son résultat négatif dans le dossier médical, dès lors qu’il ne permettait pas d’exclure une grossesse extra-utérine.

 L’obligation de tenir un dossier médical représente un des aspects de la protection des droits des patients au sens de l’art. 40 let. c LPMéd (arrêt 2C_95/2021 du 27 août 2021 consid. 6.3.2). 

L’art. 52 al. 1 de la loi genevoise du 7 avril 2006 sur la santé (LS/GE; RS/GE K 1 03) prévoit que tout professionnel de la santé pratiquant à titre dépendant ou indépendant doit tenir un dossier pour chaque patient. Selon l’art. 53 LS/GE, le dossier comprend toutes les pièces concernant le patient, notamment l’anamnèse, le résultat de l’examen clinique et des analyses effectuées, l’évaluation de la situation du patient, les soins proposés et ceux effectivement prodigués, avec l’indication de l’auteur et de la date de chaque inscription. Ces dispositions, qui précisent les obligations professionnelles découlant de l’art. 40 let. c LPMéd, en énumérant ce que doit contenir un dossier médical, sont compatibles avec le principe de la primauté du droit fédéral qu’il sert ici à interpréter (ATF 149 II 109 consid. 7.3.1 et 12.1 et les arrêts et auteurs cités).

Le présent cas relève ainsi du droit fédéral et les dispositions de droit cantonal citées ci-dessus sont prises en considération dans l’interprétation du droit fédéral. Le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral reste libre (ATF 149 II 109 consid. 7.3.2).

Au surplus, l’obligation de tenir un dossier figure à l’art. 12 al. 1 du code de déontologie du 12 décembre 1996 de la Fédération des médecins suisse.

 Le devoir de tenir un dossier médical vise plusieurs objectifs. Le dossier consiste, tout d’abord, en un aide-mémoire essentiel pour le médecin qui veut offrir des soins de qualité à son patient et lui assurer un suivi efficace au fil du temps. Il a, en outre, pour but la communication des informations entre professionnels de la santé habilités à y accéder. Sa lecture permet aussi de se forger une image des compétences du médecin et donc d’évaluer la qualité de l’exercice professionnel de celui-ci. Enfin, le dossier médical joue souvent un rôle essentiel dans le cadre de procédures mettant en cause l’activité du médecin déployée envers un patient (ATF 149 II 109 consid. 12.2). 

La Cour de justice a considéré que tout examen réalisé et le résultat de celui-ci devaient être consignés dans le dossier médical; même s’il s’agissait d’un examen qui en confirmait un premier, cela devait être noté dans le dossier. 

 Toute l’argumentation du recourant est fondée sur l’ATF 141 III 363. Cet arrêt ne concerne pas une procédure disciplinaire à l’encontre d’un médecin, mais a trait à la responsabilité contractuelle du médecin; dans ce cadre, il détermine, en se fondant essentiellement sur la doctrine, l’étendue de l’obligation de documentation du médecin. Outre qu’il ne fait pas mention de l’art. 40 LPMéd, cet arrêt ne prend pas en considération le droit cantonal genevois qui doit l’être dans le présent cas. Or, l’art. 53 LS/GE définit de façon très large ce que doit contenir le dossier médical, puisqu’il précise que toutes les pièces concernant le patient doivent s’y trouver; à titre d’exemples, il cite les analyses effectuées et l’évaluation de la situation du patient. A n’en pas douter, un Doppler effectué en complément à une échographie, afin de poser un diagnostic (présence ou absence de grossesse, intra ou extra-utérine), en fait partie. D’ailleurs, le dossier de la patiente fait état de l’échographie et des observations que l’intéressé en a tirées. L’exigence exposée ci-dessus, qui impose de relater « toutes les pièces » au dossier, dictait de procéder de la même façon pour le Doppler. Le fait qu’il ait été négatif ne change rien à ce constat. En effet, il renseignait sur le fait qu’il n’y avait pas de « flux ». Au demeurant, le recourant a bien noté au dossier les renseignements « négatifs » qui découlaient de l’échographie, à savoir « pas d’anomalie annexielle visible; pas d’épanchement dans le Douglas ». Il devait en aller de même pour le Doppler avec une note « Doppler non significatif » ou « Doppler non relevant », comme l’indique l’arrêt attaqué. Quant à l’utilité de cet examen, que le recourant remet lui-même en cause alors qu’il l’a effectué, elle importe peu à partir du moment où l’examen a été réalisé. De toute façon, déterminer si un examen est utile ou pas relève des faits et le recourant ne soulève pas de grief relatif à la constatation des faits par les juges précédents.

 En conclusion, c’est à bon droit que la Cour de justice a estimé que le recourant n’avait pas respecté son obligation en matière de tenue du dossier médical de sa patiente et qu’elle a conclu à une violation de l’art. 40 let. c LPMéd. 

Le recourant a donc manqué à un de ses devoirs professionnels ce qui peut constituer le fondement pour une sanction prononcée sur la base de l’art. 43 LPMéd, dans la mesure où le comportement de la personne concernée est fautif. La faute peut être commise sans intention, par négligence, par inconscience et donc également par simple méconnaissance d’une règle (ATF 149 II 109 consid. 9.2; 148 I 1 consid. 12.2). En omettant d’inscrire l’examen effectué et le résultat obtenu dans le dossier de la patiente, le recourant a commis une faute, ne serait-ce que par négligence. Preuve en est que la Commission de surveillance a déduit de l’absence de référence à cet examen dans le dossier médical que l’intéressé n’avait pas procédé à un Doppler. Le médecin devait d’autant plus être attentif à y relater un maximum d’informations que la patiente s’était initialement rendue en urgence à l’Institut et qu’elle y a été reçue, lors de ses différentes consultations, par des gynécologues différents. De plus, la patiente pouvait demander son dossier médical en tout temps, afin de le transmettre à un gynécologue qui ne pratiquait pas à l’Institut.

Selon l’art. 43 al. 1 LPMéd, en cas de violation des devoirs professionnels, des dispositions de la loi sur les professions médicales ou de ses dispositions d’exécution, l’autorité de surveillance peut prononcer les mesures disciplinaires suivantes: a. un avertissement, b. un blâme, c. une amende de 20’000 fr. au plus, d. une interdiction de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle pendant six ans au plus (interdiction temporaire), e. une interdiction définitive de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle pour tout ou partie du champ d’activité. 

En l’espèce, la faute est légère, puisque le recourant a uniquement omis de faire état du Doppler réalisé dans le dossier de la patiente. Il ne ressort, en outre, pas du dossier que le recourant aurait des antécédents. En confirmant l’avertissement, qui est la sanction la plus faible énoncée à l’art. 43 LPMéd, on ne saurait considérer que les juges précédents ont fait un usage insoutenable de leur marge d’appréciation. 

(Arrêt du Tribunal fédéral 2C_347/2023 du 8 janvier 2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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