
Le Tribunal a considéré que, pour les employés payés à l’heure, comme l’intimée, le salaire horaire de base était déterminant pour examiner si le salaire minimum légal était respecté, à l’exclusion du salaire horaire calculé à la fin du mois en fonction des heures effectuées. Pendant le « temps d’attente » de l’intimée, rémunéré à 10 fr. de l’heure, celle-ci devait faire des travaux de nettoyage et de rangement pour son employeur. Ces heures auraient dû être rémunérées à hauteur de 23 fr. de l’heure. Un montant supplémentaire de 4’232 fr. 50 bruts lui était dès lors dû à ce titre pour la période de novembre 2020 à mai 2021.
L’appelante [= l’employeuse] fait valoir qu’il faut tenir compte de la moyenne des heures effectuées par l’intimée. Se référant à un tableau établi par ses soins, elle soutient que, calculé sur une base mensuelle, le salaire horaire de l’intimée a varié entre 28 fr. 25 et 23 fr. 50 au cours de la période considérée, ce qui est conforme à la LIRT.
La loi introduisant le salaire minimum est entrée en vigueur le 1er novembre 2020 pour le Canton de Genève.
A teneur de l’article 39 K al. 1 LIRT, le salaire minimum légal est fixé à 23 fr. de l’heure pour les mois de novembre et décembre 2020. Par arrêté du 28 octobre 2020, le Conseil d’Etat a fixé le salaire minimum brut visé à l’article 39K de la LIRT à 23 fr.14 par heure au 1er janvier 2021.
Il ressort de l’arrêté du Conseil d’Etat du 27 février 2019 relatif à la validité de l’initiative législative ayant conduit à l’adoption de cette disposition que la méthode de calcul pour parvenir à un salaire brut horaire de 23 fr. se fonde sur une activité à plein temps de quarante-et-une heures hebdomadaires.
Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d’assurance-vieillesse et survivants, à l’exclusion d’éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés (art. 39K al. 4 LIRT). Conformément à l’article 39L LIRT, si le salaire prévu par un contrat individuel, une convention collective ou un contrat-type est inférieur à celui fixé à l’article 39K, c’est ce dernier qui s’applique.
L’article 56F al. 2 du règlement d’application genevois de la LIRT (ci-après RIRT) prévoit que le versement de la rémunération conforme au salaire horaire minimum doit s’effectuer sur une base mensuelle; seul le versement du 13ème salaire peut intervenir de manière différée.
En effet, le principe veut que le salaire soit payé mensuellement à la fin de chaque mois, comme le prévoit l’article 323 al. 1 CO. Du moment où le salaire minimum constitue un élément du salaire, il doit par conséquent respecter l’échéance prévue par cet article, sous peine de faire supporter à l’employé le risque d’entreprise et le risque économique s’agissant de la part afférente au salaire minimum. Cette situation n’empêche toutefois pas l’employeur de différer le paiement par les parts variables du salaire dépassant la part du salaire minimum inscrit dans la LIRT, ce que l’article 56F al. 2 RIRT permet expressément pour le 13ème salaire (arrêt de la Chambre constitutionnelle genevoise ACST/35/2021 du 21 octobre 2021).
Selon un document intitulé « exemples d’application du salaire minimum genevois » établi par l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après OCIRT) en janvier 2023, en cas de salaire mensuel, les travailleurs perçoivent la même rémunération mensuelle tout au long de l’année, y compris pendant leurs périodes de vacances. Dans ce cas de figure, on divise le salaire mensuel brut par le nombre d’heures mensuelles prévu contractuellement pour vérifier la conformité de la rémunération au salaire minimum. S’agissant des employés payés à l’heure, sans treizième salaire prévu contractuellement, le salaire de base, hors indemnités pour vacances et jours fériés, est déterminant. Ce dernier doit être égal au salaire minimum. On ajoute ensuite seulement les indemnités pour vacances et jours fériés éventuels, calculées sur la base du salaire minimum (https://www.ge.ch/document/25381/telecharger).
En l’espèce, l’appelante fait valoir « qu’il n’est pas juste de faire (…) abstraction de [sa] méthode de calcul (…) qui respecte chaque mois (…) le salaire minimum » car si l’intimée avait été « rémunérée uniquement sur la base du salaire minimum, son salaire » aurait été « inférieur ». Le mécanisme salarial mis en place par ses soins visait à privilégier les masseuses travaillant davantage, à l’instar d’une prime d’encouragement, ce qui était conforme aux buts de la LIRT.
Cette argumentation ne saurait être suivie. La méthode de calcul retenue par le Tribunal, sur la base des indications fournies par l’OCIRT, est correcte et conforme à la ratio legis. Il n’y a aucune raison de s’écarter du texte clair de l’art. 39K al. 1 LIRT qui prévoit que le salaire minimum était de 23 fr. l’heure en novembre et décembre 2020 et de 23 fr. 14 par la suite. En l’absence d’indication expresse dans le texte légal selon laquelle le calcul du salaire horaire doit se faire sur une base mensuelle, il n’y a pas lieu de retenir une interprétation s’écartant de la lettre de la loi.
Le salaire de 10 fr. de l’heure prévu contractuellement ne respecte de toute évidence pas la limite légale. La solution proposée par l’appelante, qu’elle présente comme tendant à privilégier les masseuses qui souhaitent travailler davantage, revient en réalité à reporter sur les employés le risque économique de l’entreprise, ce qui n’est pas conforme au but de la loi.
La thèse de l’appelante ne trouve pas non plus d’assise dans les considérants de l’arrêt de la Chambre constitutionnelle du 21octobre 2021 (ACST/32/2021) dont elle se prévaut. Cet arrêt concernait une question différente de celle qui se pose en l’espèce, à savoir celle de la constitutionnalité de l’art. 56F al. 2 RIRT. Dans cette affaire, les recourants souhaitaient que la conformité de la rémunération au salaire minimum légal puisse être examinée sur une base annuelle, ce que la Chambre constitutionnelle a considéré comme non admissible. L’art. 56F al. RIRT ne concerne au demeurant pas la manière de calculer le salaire minimum horaire mais la date d’exigibilité de la rémunération de l’employé.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, il n’est pas « aberrant » de la contraindre à revoir sa grille de rémunération et une telle révision ne conduirait pas forcément à une péjoration de la situation de ses employés. L’appelante peut parfaitement modifier la rémunération de ceux-ci de manière à respecter les dispositions légales, tout veillant à ce que la nouvelle formule ne conduise pas à une baisse de leur rémunération globale.
L’appelante ne formule par ailleurs aucune critique à l’encontre du calcul du montant supplémentaire dû à l’intimée effectué par le Tribunal, de sorte que le jugement querellé sera confirmé sur ce point.
(Arrêt de la Chambre des rud’hommes de la Cour de justice [GE] CAPH/132/2023 du 18.12.2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)