Différencier le contrat de stage du contrat de travail

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La recourante se plaint de la qualification erronée de son contrat, lequel a été qualifié de stage non rémunéré et non de contrat de travail. Elle invoque une violation de l’art. 320 al. 2 CO en lien avec l’art. 18 al. 1 CO.

Il convient d’abord de qualifier le contrat conclu par les parties, puis d’examiner si celui-ci viole l’art. 320 al. 2 CO.

La qualification du contrat est une question de droit); le tribunal examine d’office quelles sont les règles applicables au contrat conclu par les parties et, en particulier, lesquelles sont impératives. La cour cantonale a établi la volonté réelle des parties au moment de l’échange des manifestations de volonté, le contexte général dans lequel cet échange a eu lieu ainsi que la manière dont les parties ont exécuté le contrat. 

 La cour cantonale a retenu que la recourante (1) ne disposait pas d’une expérience de 30 ans dans la comptabilité, (2) que selon les témoignages de son collègue D.________, elle n’effectuait pas de travail plus qualifié que les autres stagiaires, (3) qu’elle était même, durant les derniers mois de son activité, uniquement chargée d’effectuer du classement, (4) et qu’elle disposait d’une formation « assez faible » en matière de comptabilité, en tout cas pas supérieure à celle des stagiaires de la défenderesse, (5) qu’elle avait échangé avec un stagiaire de la défenderesse durant son engagement sur le fait qu’elle effectuait elle-même un stage non rémunéré, (6) qu’elle n’avait jamais réclamé un quelconque salaire durant les quelque quatorze mois de son activité, (7) qu’elle n’avait pas contesté son statut de stagiaire décrit dans son certificat de travail, (8) ni réclamé le paiement d’un salaire après la fin des rapports. 

 Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a retenu que les parties ont voulu conclure un contrat de stage ne comprenant pas de rémunération en espèces. 

La recourante se contente d’invoquer une violation de l’art. 18 CO alors que la volonté réelle des parties ressortit à l’établissement des faits (art. 97 al 1 LTF, art. 9 Cst.). Son grief tombe donc manifestement à faux.

 La recourante tente de remettre en question l’établissement de l’état de fait par la cour cantonale, en particulier lorsqu’elle affirme qu’elle disposait d’une expérience professionnelle qui devait conduire la cour cantonale à penser qu’elle n’aurait pu qu’accepter un contrat de travail rémunéré au vu de ses qualifications et non un stage non payé. 

La recourante ne démontre toutefois aucunement, ni même n’allègue, que la cour cantonale aurait versé dans l’arbitraire en retenant uniquement qu’elle avait déposé un curriculum vitae faisant état de diverses activités de comptable en Roumanie et d’une seule expérience professionnelle en Suisse au sein de l’entreprise de son mari. La cour cantonale s’étant effectivement fondée sur le curriculum vitae produit par la recourante elle-même, elle n’est pas tombée dans l’arbitraire en retenant que l’expérience professionnelle exposée n’était pas suffisante pour démontrer que la recourante aurait uniquement accepté de travailler auprès de l’intimée en échange d’un salaire.

Quoi qu’il en soit, dès lors que la cour cantonale a retenu d’autres faits témoignant de la volonté réelle de la demanderesse de conclure un contrat de stage non rémunéré, l’expérience professionnelle dont elle se prévaut ne suffit pas à elle seule à contrer la conclusion de la cour cantonale. Par conséquent, l’éventuelle admission du grief d’établissement manifestement inexact des faits sur ce point ne suffirait de toute façon pas à renverser ce qu’a constaté la cour cantonale en fait quant à la manière dont la demanderesse a exécuté le contrat après sa conclusion et qui a servi à l’établissement de la volonté réelle des parties.

Ainsi, insuffisamment motivé, son grief d’arbitraire est irrecevable (art. 106 al. 2 LTF).

Il reste à déterminer si l’employeuse pouvait conclure un contrat de stage non rémunéré avec la recourante, sans violer l’art. 320 al. 2 CO.

 La délimitation entre la qualification de contrat de stage non rémunéré et celle de contrat de stage soumis aux règles du contrat de travail et réalisé en contrepartie d’un salaire (art. 320 al. 2 CO) dépend de l’ensemble des circonstances du cas concret. La liberté des parties de convenir de la gratuité de la prestation du stagiaire est restreinte par l’art. 320 al. 2 CO. 

Un stage échappe au droit du travail lorsqu’il est effectué dans l’intérêt prépondérant du stagiaire, en vue de l’acquisition d’une expérience pratique; tant qu’il existe une justification objective à l’existence du stage et à son absence de rémunération, celui-ci doit être admis, et cela même si la durée est de l’ordre d’une année, voire plus selon les circonstances. En revanche, lorsque le maître de stage a un intérêt objectif à la prestation fournie par le stagiaire, l’art. 320 al. 2 CO s’applique: le stage relève alors du contrat de travail et donne droit à un salaire.

 En l’espèce, la cour cantonale a retenu que le stage effectué par la recourante permettait d’apporter une réelle plus-value à son parcours professionnel et qu’il lui avait permis de développer ses connaissances et d’augmenter ses chances d’être engagée ultérieurement. Ces retombées positives du contrat peuvent tout aussi bien résulter d’un contrat de travail. Cependant, la cour cantonale a également retenu que ce contrat avait permis à la recourante de se familiariser avec les pratiques comptables suisses, puisqu’elle n’avait que peu d’expérience pratique en Suisse hormis un emploi auprès de l’entreprise de son mari. Ce dernier critère indique que la recourante avait un intérêt prépondérant à l’exécution du contrat et qu’elle avait accepté un stage non rémunéré en vue de l’acquisition d’une expérience pratique en Suisse. 

La cour cantonale n’a donc pas violé l’art. 320 al. 2 CO en considérant que le contrat conclu étant un stage réalisé dans l’intérêt de la recourante, celui-ci pouvait ne pas être rémunéré.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_150/2023 du 30 novembre 2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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