Assistance judiciaire en appel : devoir de collaboration du justiciable

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Le recourant reproche au juge cantonal de lui avoir refusé l’assistance judiciaire pour la procédure de deuxième instance et invoque la violation des art. 119 al. 5 CPC et 9 et 29 al. 3 Cst.

Le juge cantonal a considéré que l’intéressé, qui était assisté d’un mandataire professionnel, n’avait pas rempli en appel son devoir de collaboration, dès lors qu’il s’était borné à mentionner que, par décision du 17 mars 2021, il avait obtenu l’assistance judiciaire en première instance, et à affirmer que, sauf instruction complémentaire que l’autorité de recours pourrait ordonner, l’on devait retenir que sa situation économique et personnelle n’avait subi aucune modification depuis la décision précitée. Or, selon le juge cantonal, au vu de la jurisprudence, de telles formulations n’étaient pas suffisantes sous l’angle du devoir de collaboration découlant de l’art. 119 al. 2 CPC s’agissant d’un plaideur assisté d’un mandataire professionnel. A cela s’ajoutait que la décision d’assistance judiciaire de première instance n’était pas suffisamment récente – ayant été prononcée il y a plus d’une année – pour que l’on puisse admettre un allègement du devoir de motivation de la condition de l’indigence devant l’autorité de recours. Enfin, l’intéressé étant assisté d’un avocat, il avait manifestement connaissance des conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance judiciaire et des obligations de motivation lui incombant. Partant, il ne pouvait pas, dans ces circonstances, se voir octroyer un délai supplémentaire pour compléter sa requête d’assistance judiciaire. 

En vertu de l’art. 117 CPC – qui concrétise les principes que le Tribunal fédéral a dégagés de l’art. 29 al. 3 Cst., une personne a droit à l’assistance judiciaire si elle ne dispose pas de ressources suffisantes (let. a) et si sa cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès (let. b). 

Une personne est indigente lorsqu’elle n’est pas en mesure d’assumer les frais de la procédure sans porter atteinte au minimum nécessaire à son entretien et à celui de sa famille. Pour déterminer l’indigence, il convient de prendre en considération l’ensemble de la situation financière du requérant au moment où la demande est présentée, celui-ci devant indiquer de manière complète et établir autant que faire se peut ses revenus, sa situation de fortune et ses charges.

Dans la procédure de recours, l’assistance judiciaire doit à nouveau être demandée (art. 119 al. 5 CPC) – et ses conditions d’octroi réexaminées -, la juridiction de recours n’étant pas liée dans l’évaluation de l’indigence par la décision de première instance ou par une décision rendue dans d’autres procédures.

 Applicable à la procédure portant sur l’octroi ou le refus de l’assistance judiciaire, la maxime inquisitoire est limitée par le devoir de collaborer des parties. Ce devoir de collaborer ressort en particulier de l’art. 119 al. 2 CPC qui prévoit que le requérant doit justifier de sa situation de fortune et de ses revenus et exposer l’affaire et les moyens de preuve qu’il entend invoquer. L’autorité saisie de la requête d’assistance judiciaire n’a pas à faire de recherches approfondies pour établir les faits ni à instruire d’office tous les moyens de preuve produits. Elle ne doit instruire la cause de manière approfondie que sur les points où des incertitudes et des imprécisions demeurent, peu importe à cet égard que celles-ci aient été mises en évidence par les parties ou qu’elle les ait elle-même constatées.

Le juge doit inviter la partie non assistée d’un mandataire professionnel dont la requête d’assistance judiciaire est lacunaire à compléter les informations fournies et les pièces produites afin de pouvoir vérifier si les conditions de l’art. 117 CPC sont remplies. Ce devoir d’interpellation du tribunal, déduit des art. 56 et 97 CPC, vaut avant tout pour les personnes non assistées et juridiquement inexpérimentées. Il est en effet admis que le juge n’a pas, de par son devoir d’interpellation, à compenser le manque de collaboration qu’on peut raisonnablement attendre des parties pour l’établissement des faits, ni à pallier les erreurs procédurales commises par celles-ci. Or, le plaideur assisté d’un avocat ou lui-même expérimenté voit son obligation de collaborer accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance judiciaire et des obligations de motivation qui lui incombent pour démontrer que celles-ci sont remplies. Le juge n’a de ce fait pas l’obligation de lui octroyer un délai supplémentaire pour compléter sa requête d’assistance judiciaire lacunaire ou imprécise. Le fait de ne pas accorder un délai supplémentaire à la partie assistée pour compléter sa demande n’est pas constitutif de formalisme excessif. Lorsque le requérant assisté ne satisfait pas suffisamment à ses incombances, la requête peut être rejetée pour défaut de motivation ou de preuve du besoin.

Ces principes sont applicables lorsque l’assistance judiciaire est requise pour la procédure de recours (art. 119 al. 5 CPC).

 Le recourant expose que, conformément à l’art. 119 al. 5 CPC, il a renouvelé sa demande d’assistance judiciaire en appel, en précisant que sa situation n’avait pas changé. Il explique avoir procédé de la sorte pensant de bonne foi que le juge cantonal lui fixerait un délai s’il estimait que les pièces attestant de sa situation financière actuelle étaient nécessaires. 

Selon lui, tel n’était pas le cas  » eu égard aux particularités du cas d’espèce « . Sa situation était en effet différente des cas où il avait ordinairement été exigé des requérants qu’ils actualisent les données financières. Dans son cas, d’une part, la procédure n’avait à ce stade pour objet que des questions préjudicielles de prescription et d’intérêt à agir et ne portait pas sur une remise en question complète de tout le litige. D’autre part, son indigence ressortait du dossier au fond lequel était en mains de l’autorité cantonale. Il n’avait ainsi pas à la démontrer à l’occasion de sa requête d’assistance judiciaire. A tout le moins, le juge cantonal aurait dû lui demander des précisions complémentaires s’il l’estimait nécessaire. Le cas contraire relèverait selon lui d’un formalisme excessif, dès lors que les considérations du juge cantonal n’aurait trait qu’à la forme, sans égard à sa situation matérielle. Dans son cas, cela tombait sous le sens qu’il n’était pas en mesure d’assumer des émoluments judiciaires et des honoraires d’avocat totalisant plusieurs dizaines de milliers de francs comme le prévoit la loi cantonale lorsque la valeur litigieuse est de 600’000 francs

Se référant ensuite à la décision du 16 octobre 2023 par laquelle le juge cantonal a déclaré irrecevable sa nouvelle requête d’assistance judiciaire, il expose que la décision entreprise serait d’autant plus choquante que le renouvellement de sa requête serait subordonné à l’existence de nova.

En tant qu’il ressort de la jurisprudence que le justiciable assisté d’un avocat voit son obligation de collaboration accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance judiciaire, le juge cantonal n’a nullement violé le droit fédéral – en particulier n’a pas fait preuve de formalisme excessif – en refusant d’octroyer un délai supplémentaire au recourant pour compléter sa requête lacunaire. Il ne peut ainsi rien tirer, y compris sous l’angle du principe de la bonne foi, du fait qu’il pensait qu’il serait interpellé le cas échéant par le juge pour produire en deuxième instance des pièces actualisées. En se bornant implicitement à renvoyer le juge cantonal à la décision d’assistance judiciaire rendue en première instance il y a plus d’une année et aux pièces y relatives, le recourant n’a pas, à l’instar de ce que le juge a estimé, rempli le devoir de collaboration qui lui incombait. Sa critique doit ainsi être rejetée. 

Quant aux circonstances particulières invoquées par le recourant qui justifieraient selon lui un allégement de son obligation de motiver sa requête en deuxième instance – à savoir que la procédure d’appel pour laquelle l’assistance judiciaire a été requise porterait sur des questions préjudicielles -, elles ne reposent sur aucune base légale ou jurisprudentielle; l’argument doit donc être rejeté.

S’agissant de son indigence qui ressortirait du dossier au fond, le simple fait de l’affirmer, sans désigner de manière précise les pièces du dossier susceptibles de confirmer ce qu’il allègue ni détailler leur contenu, est à l’évidence insuffisant; il n’appartient en effet pas au Tribunal fédéral de fouiller le dossier cantonal pour vérifier la véracité de ces allégations. Partant, cette critique, insuffisamment motivée, est irrecevable.

Enfin, en tant que le recourant – se référant à la décision du 16 octobre 2023 par laquelle le juge cantonal n’est pas entré en matière sur sa nouvelle requête d’assistance judiciaire faute de nova invoqués – qualifie d’arbitraire la décision entreprise, sa critique outrepasse l’objet de la présente contestation tel qu’il est déterminé par la décision déférée, de sorte qu’elle est irrecevable.

En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les conclusions du recourant étaient manifestement vouées à l’échec, de sorte que sa requête d’assistance judiciaire doit être également rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n’y a pas lieu d’allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).

(Arrêt du Tribunal fédéral 5A_836/2023 du 10 janvier 2024, consid. 3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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