Imposition d’un gain immobilier : gain en capital privé exonéré ou bénéfice commercial imposable?

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Le litige a trait à la qualification du gain immobilier réalisé par les recourants à la suite de la vente, le 28 décembre 2018, de l’immeuble qu’ils détenaient à ******** (parcelle n°********). L’autorité intimée a considéré, en substance, que ce gain était imposable au titre du revenu d’une activité lucrative indépendante de commerçant d’immeubles. Les recourants font valoir que le bien aliéné faisait partie de la fortune privée des recourants, de sorte que cette vente génère la perception de l’impôt spécial sur les gains immobiliers.

Les recourants contestent l’attribution à leur fortune commerciale de l’immeuble vendu. 

La détermination du revenu imposable des personnes physiques en matière d’impôt fédéral direct est réglée aux art. 16 ss LIFD. L’art. 16 LIFD prévoit que l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques. En lien avec la liste exemplative des art. 17 à 23 LIFD, cette disposition exprime, pour l’imposition du revenu des personnes physiques, le concept de l’accroissement du patrimoine, respectivement de l’imposition du revenu global net (Reinvermögenszugangstheorie), ainsi que la règle selon laquelle tous les revenus du contribuable sont en principe imposables, y compris les bénéfices en capital provenant de l’aliénation, de la réalisation ou de la réévaluation comptable d’éléments de la fortune commerciale (art. 18 al. 2 LIFD). Selon l’art. 16 al. 3 LIFD, les gains en capital réalisés lors de l’aliénation d’éléments de la fortune privée ne sont en revanche pas imposables. Cela signifie qu’un gain en capital n’est soumis à l’impôt fédéral direct que lorsque le bien aliéné fait partie de la fortune commerciale du contribuable, non pas lorsqu’il se rapporte à sa fortune privée

L’art. 8 al. 1 et 2 LHID, repris à l’art. 21 al. 2 <LI, correspond à l’art. 18 al. 2 LIFD, de sorte que les développements qui suivent s’appliquent sans distinction aussi bien à l’impôt fédéral direct qu’à l’impôt cantonal et communal.

La distinction entre un gain privé en capital (non imposable sur le revenu) et un bénéfice commercial en capital provenant de l’exercice d’une activité lucrative indépendante (imposable sur le revenu), dépend des circonstances concrètes du cas. La notion d’activité lucrative indépendante s’interprète largement, de telle sorte que sont seuls considérés comme des gains privés en capital exonérés de l’impôt sur le revenu ceux qui sont obtenus par un particulier de manière fortuite ou dans le cadre de la simple administration de sa fortune privée. En revanche, si l’activité du contribuable excède ce cadre relativement étroit et est orientée dans son ensemble vers l’obtention d’un revenu, l’intéressé est réputé exercer une activité lucrative indépendante dont les bénéfices en capital sont imposables. Une telle qualification peut se justifier, selon les cas, même en l’absence d’une activité reconnaissable pour les tiers et/ou organisée sur le modèle d’une entreprise commerciale, et même si cette activité n’est exercée que de manière accessoire ou temporaire, voire même ponctuelle. 

C’est avant tout en lien avec les transactions effectuées par les particuliers sur des immeubles ou sur des titres que la jurisprudence a été amenée à dégager des critères permettant de tracer la limite entre les gains (privés) en capital et les bénéfices (commerciaux) en capital. Elle a notamment considéré que valent comme indices d’une activité lucrative indépendante dépassant la simple administration de la fortune privée les éléments suivants: le caractère systématique et/ou planifié des opérations, la fréquence élevée des transactions, la courte durée de possession des biens avant leur revente, la relation étroite entre l’activité indépendante (accessoire) supposée et la formation et/ou la profession (principale) du contribuable, l’utilisation de connaissances spécialisées, l’engagement de fonds étrangers d’une certaine importance pour financer les opérations, le réinvestissement du bénéfice réalisé ou encore la constitution d’une société de personnes. Chacun de ces indices peut conduire, en concours avec les autres voire même – exceptionnellement – isolément s’il revêt une intensité particulière, à la reconnaissance d’une activité lucrative indépendante. En tout état, les circonstances concrètes du cas sont déterminantes, telles qu’elles se présentent au moment de l’aliénation.

La constitution d’une société de personnes constitue un indice d’une activité lucrative indépendante dépassant la simple administration de la fortune privée. Ce critère ne s’avère déterminant que lorsque le contribuable ne gère pas lui-même l’opération immobilière ; dans le cas contraire, le critère en question devient secondaire. La notion de « société de personnes ». doit en l’occurrence être comprise dans un sens large qui inclut les sociétés simples. En présence d’une société simple, il y a lieu de présumer l’existence d’une activité lucrative indépendante lorsque le contribuable, aux fins de réaliser une opération immobilière déterminée (par exemple dans un consortium de construction), s’associe avec une autre personne qui agit dans le cadre de son activité professionnelle et, d’entente avec lui, assume la direction pour le compte des associés. Dans une telle situation, celui qui contribue au but commun seulement par un apport en capital doit se laisser opposer l’activité que son associé disposant de connaissances professionnelles déploie pour le compte de l’ensemble des participants, comme s’il s’agissait de sa propre activité lucrative. Le fait qu’aucun des associés ne participe à la société simple dans l’exercice de son activité professionnelle n’exclut d’ailleurs pas l’existence d’une activité lucrative indépendante. Dans cette situation, la formation de la société simple et le fait que les membres de celle-ci ont éventuellement recouru à des professionnels qui constituent alors des auxiliaires dont les connaissances et le savoir-faire est attribué aux associés doivent également être pris en compte dans l’examen de l’ensemble des circonstances.

S’agissant de la casuistique, fournie, il a ainsi été jugé par le Tribunal fédéral qu’une procédure planifiée s’étendant sur plusieurs années dépassait le cadre de la simple gestion de fortune privée (arrêt TF 2C_298/2019 du 18 août 2020 consid. 3.5). Ainsi, trois opérations immobilières sur des lots PPE en l’espace de sept ans dépassent la simple gestion de la fortune privée, même si la constitution d’une PPE pour faciliter la revente ne constitue pas en elle-même un indice déterminant de commerce professionnel (arrêt TF 2C_1276/2012 et 2C_1277/2012 du 24 octobre 2013). Le commerce professionnel a été reconnu lors de la vente d’un chalet d’habitation construit par le contribuable, au vu de la courte durée de possession des biens avant leur vente, de la relation étroite entre l’opération immobilière et la profession antérieure du contribuable (carreleur), de l’utilisation de connaissances spécialisées acquises grâce son ancien métier, l’engagement de fonds étrangers d’une certaine importance (construction financée à raison de 82% par des prêts bancaires) et le réinvestissement du bénéfice réalisé dans la rénovation d’un nouveau bien immobilier; le fait que l’opération en cause soit unique et ne relève pas d’une activité systématique et planifiée n’a cependant pas été jugé déterminant (arrêt TF 2C_218/2012 et 2C_819/2012 du 21 mars 2013, RDAF 2013 II p. 392 consid. 6.3/6.5). Le haut degré de financement de deux acquisitions d’immeubles locatifs par des fonds étrangers parle clairement contre l’acceptation d’une simple gestion de la fortune privée (arrêts TF 2C_1276/2012 et 2C_1277/2012 du 24 octobre 2013 consid. 4.3.2; voir aussi arrêt TF 2C_228/2015 du 7 juin 2016 consid. 6.4.2). Il en va ainsi d’une opération financée à 90% par des fonds étrangers, ce d’autant qu’avant même d’obtenir l’autorisation de construire le projet modifié, les constructeurs, dont l’un était ingénieur, ont d’emblée procédé à la constitution d’une propriété par étage en vue d’en faciliter la vente future (arrêt TF 2C_18/2018 du 18 juin 2018 consid. 3.2; v. aussi 2C_550/2016 du 8 mars 2017 consid. 3.2). Un contribuable qui se lance dans une opération immobilière qu’il présente comme tendant à l’acquisition de son propre domicile et poursuivant des buts liés à la prévoyance vieillesse, opération financée quasi entièrement par des fonds étrangers, n’est pas réputé gérer sa fortune privée, mais plutôt avoir une activité commerciale (arrêt TF 2C_1156/2012 du 19 juillet 2013 consid. 8.2.2). 

Dans le cas d’espèce :

On remarque en premier lieu qu’il n’est pas contesté que les recourants ne disposent pas de connaissances particulières dans le domaine de l’immobilier. Les recourants n’ont pas non plus de formation qui pourrait être directement utile dans le monde du commerce d’immeubles. Ces éléments plaident contre la reconnaissance d’une activité lucrative indépendante.

Est en revanche litigieuse la question de la constitution d’une société de personnes. L’autorité intimée estime que les recourants se seraient – si ce n’est formellement du moins matériellement – associés aux propriétaires des parcelles voisines pour vendre conjointement leurs parcelles, tous étant au surplus en contact avec un collaborateur de l’entreprise immobilière G.________. Or, il n’en est rien. Il convient en effet d’admettre que les recourants ont acquis l’immeuble litigieux puis l’ont revendu sans s’associer à une tierce personne. Ils ont en effet simplement accepté l’offre d’achat formulée par l’acquéreur. Certes, le prix d’achat proposé tenait compte de ce que les ventes déjà conclues avec les propriétaires voisins étaient conditionnées à la vente par les recourants de leur parcelle que l’acheteur souhaitait acquérir simultanément. Il n’est toutefois pas établi que les recourants se soient entendus avec leurs voisins pour tenter de maximiser le gain réalisé. Ainsi, si les recourants ont eu des contacts avec des personnes actives dans le domaine immobilier au moment de la vente, on ne saurait retenir qu’ils s’y sont associés, comme le retient l’autorité intimée. Le seul fait de vendre simultanément des parcelles avec d’autres propriétaires, en l’absence d’autres indices d’une concertation préalable, ne suffit pas encore pour admettre l’existence d’une société simple. La jurisprudence a bien plutôt retenu un gain commercial lorsque le vendeur profitait d’une certaine manière des connaissances d’un associé lors de la mise en commun de moyens et de travail. Tel n’est pas le cas ici. Il y a lieu de retenir que les recourants ne se sont pas associés à des professionnels de l’immobilier pour effectuer la vente litigieuse ni n’ont constitué de société avec les autres propriétaires de parcelles distinctes. Ces éléments plaident également contre la reconnaissance d’une activité indépendante.

Pour ce qui est de la durée de possession, avec l’autorité intimée, il convient certes de retenir que la courte durée de possession du bien-fonds plaide plutôt en faveur d’une qualification commerciale. Le Tribunal fédéral a en effet déjà eu l’occasion de constater l’existence d’une activité immobilière commerciale alors même que l’immeuble avait été détenu pendant dix-sept années (cf. arrêt TF 2C_834/2012 du 19 avril 2013 consid. 5.6.2), ou que des immeubles avaient été acquis au titre de prévoyance professionnelle (cf. arrêt TF 2C_996/2012 du 19 avril 2013 consid. 5.2) ou en vue d’un placement sur une longue durée (cf. ATF 126 II 473 consid. 5a p. 478). L’immeuble a été conservé durant un peu plus de quatre ans entre 2014 et 2018. Il résulte cependant du dossier et en particulier des travaux effectués durant cette période sur la parcelle finalement vendue et le contrat d’hypothèque à taux bloqué sur une plus longue durée, que les recourants avaient comme intention de conserver la parcelle plus longtemps. Force est ainsi de constater que si la durée de détention est plutôt courte pour un immeuble, ce facteur est expliqué non tant par la volonté de maximiser le nombre d’opérations, leur fréquence et par conséquent les gains, mais par l’opportunité qui s’est offerte aux recourants à ce moment-là. La Cour retiendra au final s’agissant de cet indice qu’il est neutre du point de vue de la qualification du gain commercial.

Pour ce qui est de l’utilisation de fonds étrangers dans le cadre de l’acquisition, force est de constater un niveau d’endettement plutôt faible, s’élevant à moins de 50% du prix d’achat. Le Tribunal fédéral a en particulier considéré qu’une activité lucrative indépendante ne pouvait être reconnue en se fondant exclusivement sur le critère du financement par des emprunts hypothécaires, dès lors qu’il s’agissait en principe de la règle dans tout investissement immobilier (arrêt TF 2C_455/2011 du 5 avril 2012 consid. 5.3). L’investissement des recourants visait en outre à première vue le placement de capitaux et l’obtention d’un revenu locatif. Il devait en particulier offrir des locaux à la société dont les recourants sont les associés gérants et qui occupait environ 20% de la surface des biens dont ils sont propriétaires. En ne finançant l’acquisition de la parcelle qu’à hauteur de 50% par des fonds étrangers, les recourants montrent en outre avoir voulu placer des fonds dont ils disposaient et ne pas avoir voulu, au contraire, prendre des risques financiers en maximisant les profits possibles. Au final, on reconnaîtra que l’examen de cet indice tend à montrer qu’il n’y a pas eu d’exercice d’une activité indépendante.

L’autorité intimée voit en outre dans la mise en valeur du bien un indice de sa nature commerciale. Il est vrai que, depuis l’acquisition du bien immobilier en cause, les recourants ont consenti d’importantes dépenses et ont déposé trois demandes de permis de construire. Ces démarches, dont les coûts ont été partiellement pris en charge par la locataire D.________, paraissent usuelles dans le contexte de la location de locaux commerciaux. Les dépenses consenties, à hauteur de 172’742,10 fr., ne paraissent pas résulter d’une intense activité de mise en valeur en vue d’une potentielle plus-value. Au contraire, il apparaît clairement que ces démarches étaient en lien avec la mise en location des locaux, plaidant ainsi plutôt également pour une simple administration de la fortune privée.

Enfin, s’il est vrai que le gain réalisé par les recourants est considérable, il ne relève pas d’une activité systématique et planifiée. Il sied en effet d’emblée de constater, et ce n’est pas ici litigieux, que les recourants n’ont jamais fait d’opération immobilière auparavant. Tout porte au contraire à croire, sur le vu des pièces du dossier, que les recourants ont profité de manière fortuite de l’offre qui leur a été faite, sans que ne soit établie une volonté des recourants de maximiser le profit réalisé. C’est en effet selon toute vraisemblance le montant proposé par l’acquéreur qui a décidé les recourants à céder la parcelle litigieuse en dépit de son utilité pour les besoins de la société qu’ils détiennent.

En définitive, compte tenu d’une appréciation globale de l’ensemble des indices, les bénéfices réalisés par les recourants lors de la vente de l’immeuble litigieux doivent être qualifiés de gain en capital privé, obtenu de manière fortuite dans le cadre de la simple administration de la fortune privée. L’autorité intimée a, partant, qualifié à tort l’opération litigieuse de commerciale.

La décision de l’autorité intimée, retenant l’exercice d’une activité lucrative indépendante des recourants en relation avec le commerce d’immeubles, doit ainsi être annulée, le dossier lui étant renvoyé pour nouveau calcul des éléments imposables des recourants et calcul de l’impôt sur les gains immobiliers.

(Arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal [VD] FI.2022.0058 du 21.09.2023)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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