
Se rend coupable de contrainte au sens de l’art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.
La menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l’auteur, sans toutefois qu’il soit nécessaire que cette dépendance soit effective ni que l’auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace.
Il peut également y avoir contrainte lorsque l’auteur entrave sa victime « de quelque autre manière » dans sa liberté d’action. Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N’importe quelle pression de peu d’importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d’un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action. Il s’agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi. La contrainte peut être réalisée par une accumulation de comportements distincts de l’auteur, par exemple lorsque celui-ci importune sa victime par sa présence de manière répétée pendant une période prolongée.
Lorsque l’auteur importune la victime de manière répétée durant une période prolongée, chaque acte devient, au fil du temps, susceptible de déployer, sur la liberté d’action de la victime, un effet d’entrave comparable à celui de la violence ou de la menace (au sujet de la notion de stalking ou de harcèlement obsessionnel, v. ATF 141 IV 437 et 129 IV 262 consid. 2.3 à 2.5). Toutefois, en l’absence d’une norme spécifique réprimant de tels faits en tant qu’ensemble d’actes formant une unité, l’art. 181 CP suppose, d’une part, que le comportement incriminé oblige la victime à agir, à tolérer ou à omettre un acte et, d’autre part, que cela puisse être appréhendé comme le résultat d’un comportement de contrainte plus précisément circonscrit. Selon la jurisprudence, si le simple renvoi à un ensemble d’actes très divers commis sur une période étendue par l’auteur, respectivement à une modification par la victime de ses habitudes de vie, ne suffit pas, faute de mettre en évidence de manière suffisamment précise quel comportement a pu entraîner quel résultat à quel moment (ATF 129 IV 262 consid. 2.4; arrêts 6B_598/2022 précité consid. 2.1.1; 6B_191/2022 précité consid. 5.1.2), l’intensité requise par l’art. 181 CP peut néanmoins résulter du cumul de comportements divers ou de la répétition de comportements identiques sur une durée prolongée (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.2).
Selon la jurisprudence, la contrainte n’est contraire au droit que si elle est illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu’un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1; 134 IV 216 consid. 4.1).
Savoir si la restriction de la liberté d’action constitue une contrainte illicite dépend ainsi de l’ampleur de l’entrave, de la nature des moyens employés à la réaliser et des objectifs visés par l’auteur.
Dans son raisonnement, la cour cantonale a exposé que la présente espèce se caractérisait par le cumul de comportements récurrents, à savoir par des épisodes remontant aux 18 novembre 2018, 3 septembre 2019, 17 et 19 septembre 2020. Une telle durée devait être qualifiée de prolongée au sens de la jurisprudence. La recourante avait importuné à plusieurs reprises les intimés par des comportements irrationnels, obsessionnels ou inadéquats.
En outre, les actes en cause procédaient tous du dessein exclusif de nuire aux intimés, de sorte que le but poursuivi était illicite. Ils avaient constitué un stress quotidien pour la famille B.________. Leurs effets durables ressortaient notamment du fait que la situation perdurait de longue date au vu des condamnations antérieures de la recourante. Ils avaient eu un impact sur la santé psychique de l’intimé, ce qui avait rendu nécessaire la mise en place d’un suivi psychologique depuis juin 2019 déjà, c’est-à-dire entre les deux premiers actes incriminés. Les agissements répétés de la recourante avaient notamment contraint les intimés à la filmer à plusieurs reprises pour préserver des preuves, ainsi qu’à faire fréquemment appel aux forces de l’ordre et à installer un toit sur leur terrasse afin de ne plus être exposés à la vue de leur voisine.
Qui plus est, les époux avaient été conduits à se faire du souci pour leurs enfants, dont ils craignaient sans cesse qu’ils soient interpellés ou invectivés par la recourante. Ils s’étaient ainsi vus contraints de les encadrer dans une mesure supérieure à l’exercice courant de leurs tâches parentales, notamment en leur donnant pour instruction de ne jamais répondre à leur voisine et de l’enregistrer si elle s’adressait à eux ostensiblement.
L’ensemble du comportement de la recourante dénotait qu’elle vouait de manière récurrente son attention à la propriété de ses voisins, dont elle épiait les moindres faits et gestes pour susciter des incidents, y compris à la faveur d’activités aussi anodines que la fête d’anniversaire d’une fillette ou un retour à domicile au volant d’une voiture. C’était ce comportement qui était en particulier à l’origine de l’installation, par les intimés, d’un toit sur leur terrasse pour échapper à la vue de leur voisine.
En définitive, la cour cantonale a retenu que l’ensemble des éléments d’appréciation ci-dessus commandait de considérer que c’était le cumul des comportements répétés de la recourante sur une longue période qui avait mené les victimes à modifier leurs habitudes de vie dans le sens déjà décrit. Elles avaient ainsi été entravées dans leur liberté de décision et d’action. La qualification de contrainte devait donc être confirmée.
La recourante débute son argumentation en relevant que le Tribunal de police de l’arrondissement de La Côte, dans son jugement du 12 novembre 2018 (cité par la cour cantonale dans son raisonnement), l’avait libérée du chef de prévention de contrainte au motif qu’il n’était pas établi que les victimes auraient été entravées dans leur liberté d’action ou que la pression exercée par la recourante était de nature à les entraver dans leur liberté d’action. Toutefois, le fait que la recourante ait été acquittée par le passé du chef de prévention de contrainte au motif que les intimés n’avaient pas été entravés dans leur liberté de décision ou d’action n’est pas relevant. D’autant plus que, dans le cas d’espèce, les intimés ont précisément été entravés dans leur liberté de décision et d’action, dès lors que, comme l’a retenu la cour cantonale, ils ont notamment été contraints de filmer la recourante à plusieurs reprises pour préserver des preuves, de faire fréquemment appel aux forces de l’ordre, d’installer un toit sur leur terrasse afin de ne plus être exposés à la vue de leur voisine, de se faire du souci pour leurs enfants, dont ils craignaient sans cesse qu’ils soient interpellés ou invectivés par la recourante, ce qui les a également contraints de les encadrer dans une mesure supérieure à l’exercice courant de leurs tâches parentales, notamment en leur donnant pour instruction de ne jamais répondre à leur voisine et de l’enregistrer si elle s’adressait à eux ostensiblement.
C’est ensuite également en vain que la recourante reproche à la cour cantonale d’avoir pris en considération son comportement global sur une longue période, également antérieure à celle de la présente cause, et non les différents actes isolés qui lui sont reprochés. En l’occurrence, la question de savoir si les actes reprochés à la recourante, à savoir son irruption lors de l’anniversaire de la fille cadette des intimés, le placardage d’une image de chat sur la boîte aux lettres, le fait d’accrocher une corde en travers du chemin attenant à la maison et les invectives proférées à l’égard des intimés et de leur fils constituent chacun isolément de la contrainte n’apparaît pas décisif, dès lors que le comportement de la recourante doit s’apprécier au regard de l’ensemble des circonstances et que, selon la jurisprudence, lorsque l’auteur importune la victime de manière répétée pendant une période prolongée, chaque acte de harcèlement devient susceptible d’entraver la liberté d’action de celle-ci. Dans le cas présent, à l’instar de ce qu’a retenu la cour cantonale, c’est le cumul des quatre comportements de harcèlement commis par la recourante à l’égard des intimés sur une période d’environ deux ans (du 18 novembre 2018 au 19 septembre 2020), soit de manière répétée durant une période prolongée (cf. supra consid. 1.1.1), qui a conduit à l’entrave à la liberté d’action précitée. En outre, peu importe que la cour cantonale ait pris en considération une période antérieure à la présente cause, dès lors que celle qui nous occupe est d’environ deux ans et qu’une période d’un peu plus d’une année a été jugée suffisante par la jurisprudence.
La recourante soutient que, contrairement à ce qu’a retenu la cour cantonale, les actes reprochés ne sont pas récurrents, mais sont rares et isolés. Dans la présente cause, quatre comportements de harcèlement ont été retenus à l’encontre de la recourante, ce qui apparaît satisfaire aux conditions posées par la jurisprudence, laquelle expose qu’il suffit que l’auteur importune la victime de manière répétée, soit au moins à deux reprises (cf. ATF 129 IV 262 consid. 2.3). Le grief est rejeté.
La recourante allègue qu’il est inexact et arbitraire de retenir à son encontre les faits relatifs aux épisodes des 17 et 19 septembre 2020, dès lors qu’elle avait été libérée en première instance des chefs de préventions d’injure et de menaces quant à ces actes. Son argumentation ne saurait être suivie, étant donné que ces faits sont pertinents pour retenir la réalisation de l’infraction de contrainte.
Enfin, en faisant valoir qu’il n’est pas illicite d’interpeller des enfants d’une parcelle voisine, surtout sans proférer la moindre menace ni la moindre injure, la recourante perd de vue que c’est le but poursuivi, soit de nuire aux intimés, qui est contraire au droit et illicite.
Au vu de ce qui précède, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en reconnaissant la recourante coupable de contrainte.
(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1238/2023 du 21 mars 2024, consid. 1)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS