Abus d’une installation téléphonique, menaces

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Le recourant conteste sa condamnation pour abus d’une installation téléphonique.

 Conformément à l’art. 179septies aCP (utilisation abusive d’une installation de télécommunication), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2023, celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, aura utilisé abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner sera, sur plainte, puni d’une amende. Depuis le 1er juillet 2023, cette norme sanctionne sur plainte, d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire, quiconque utilise abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner (v. le ch. I 1 de la LF du 17 décembre 2021 sur l’harmonisation des peines; RO 2023 259). L’ancien droit, déterminant au moment des faits, qui ne sanctionne qu’une contravention, de surcroît à des conditions plus strictes (méchanceté ou espièglerie), apparaît ainsi d’emblée plus favorable, si bien que celui entré en vigueur le 1er juillet 2023 ne trouve pas application (art. 2 al. 1 et 2 CP). 

 Quel qu’en soit le texte applicable, l’art. 179septies CP protège le droit subjectif de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen du téléphone. La notion d’abus est laissée à l’appréciation du juge, qui ne doit toutefois appliquer cette disposition qu’en présence de comportements appelant sans conteste une réponse pénale, soit d’actes atteignant une certaine intensité dans une perspective quantitative et/ou une certaine gravité sur un plan plus qualitatif. Selon la jurisprudence, il y avait méchanceté au sens de l’art. 179septies aCP lorsque l’auteur commettait l’acte répréhensible parce que le dommage ou les désagréments qu’il causait à autrui lui procuraient de la satisfaction. Quant à l’espièglerie, elle signifiait agir un peu follement, par bravade ou sans scrupule, dans le but de satisfaire un caprice momentané (ATF 126 IV 2016 consid. 2a; 121 IV 131 consid. 5b p. 137; v. aussi arrêt 6B_320/2007 du 16 novembre 2007 consid. 4.2).  (…)

Le recourant objecte [notamment] que la partie plaignante aurait répondu à chacun de ses messages et n’aurait pas tenté de le bloquer ni de cesser de lui répondre pour mettre fin à la conversation. Il en conclut que ces échanges ne permettraient pas à eux seuls de retenir l’infraction d’abus d’une installation de télécommunication. Dans la suite, il reproche encore à la cour cantonale de n’avoir pas cité le contenu des messages de la partie plaignante, parfois injurieux, menaçants ou provocateurs. Selon lui, dès lors que le comportement de la partie plaignante avait aussi envenimé la discussion, la cour cantonale ne pouvait retenir, sous l’angle subjectif, l’espièglerie et la méchanceté. 

La cour cantonale a exposé que les réponses de la partie plaignante ne changeaient rien à la qualification pénale du comportement du recourant. C’est celui-ci qui avait initié l’échange, lequel n’était clairement pas souhaité par la destinataire de ses messages et appels, qui n’avait pas répondu à ceux-ci, mais avait mis le recourant sur liste noire. Elle n’avait fait qu’essayer de mettre un terme à l’échange, même si le ton était un peu monté. Faute de toute critique précise de ces motifs, la discussion proposée par le recourant se révèle, au mieux appellatoire. Elle est irrecevable dans cette mesure. (….)  

Pour le surplus, il n’est guère contestable que certains des messages du recourant tout au moins étaient empreints de la méchanceté qui conditionnait l’application de l’art. 179septies aCP. Par surabondance, il est constant que le recourant a éprouvé des sentiments pour la partie plaignante, qui l’a éconduit alors qu’il tentait de reprendre contact avec elle. Or, sous cet angle également, le comportement du recourant correspond précisément à l’un de ceux qui était visé par l’art. 179septies CP dans sa teneur en vigueur avant le 1er juillet 2023 (cf. Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur l’harmonisation des peines et la loi fédérale sur l’adaptation du droit pénal accessoire au droit des sanctions modifié, du 25 avril 2018, FF 2018 2929). Il n’y a donc rien de critiquable à en conclure, fût-ce implicitement, que son opiniâtreté et le peu de scrupules manifestés constituaient l’espièglerie exigée par la norme. Le recourant, qui est assisté, n’invoque d’aucune manière que son droit d’être entendu aurait été violé en raison d’une motivation déficiente sur ce point précis, pas plus qu’il ne se plaint d’une insuffisance de l’accusation (art. 9 CPP). Il n’y a donc pas lieu d’examiner la cause dans la perspective d’une éventuelle violation de ces droits fondamentaux (art. 106 al. 2 LTF). 

 Enfin, au vu du nombre de messages, que le recourant qualifie lui-même de « conséquent » (mémoire de recours, p. 8), auxquels il sied d’ajouter, tout au moins les quatre appels mobiles du 2 juin 2020 et ceux des 23 et 29 mai 2020, qualifier d’abusif l’usage fait par l’intéressé de l’installation téléphonique n’apparaît, même en faisant preuve d’une certaine retenue, pas critiquable au regard du droit fédéral déjà dans la seule perspective quantitative. Le grief doit être rejeté. 

Le recourant reproche ensuite à la cour cantonale d’avoir retenu concurremment, à raison des mêmes faits, les qualifications d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179septies CP) et de menaces (art. 180 CP). Selon lui, cette qualification-ci absorberait celle-là.

 A ce jour, le Tribunal fédéral n’a pas été amené à trancher directement cette question. Dans une décision déjà ancienne (arrêt 6S.559/2000 du 29 décembre 2000 consid. 5; v. aussi arrêt 6B_320/2007 du 16 novembre 2007 consid. 4.2) il a mentionné l’avis doctrinal selon lequel l’abus de téléphone serait absorbé par la contrainte (art. 181 CP) lorsque l’auteur, abusant de ce moyen de communication, menace la personne visée d’un dommage sérieux ou l’entrave de quelque autre manière dans sa liberté d’action pour l’obliger à faire ou à ne pas faire quelque chose, un avis soutenant au contraire le concours idéal dans la littérature juridique. Dans ce cas, la contrainte a seule été retenue en droit dès lors qu’il était établi, en fait, que l’auteur n’avait agi dès le départ que pour exercer une pression (arrêt 6S.559/2000 du 29 décembre 2000 consid. 5b). Plus récemment, le Tribunal fédéral a jugé dans un arrêt 6B_75/2009 du 2 juin 2009 consid. 3.2.1 que l’art. 179septies aCP protégeait la personnalité de la victime contre des atteintes portées par téléphone et pouvait ainsi entrer en concours idéal avec les désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP), infraction qui tend à préserver le droit de la victime de se déterminer librement en matière sexuelle (v. aussi, en ce sens: ANDREAS DONATSCH, Strafrecht III, 11e éd. 2018, § 50 no 4 p. 439). En réservant l’hypothèse dans laquelle l’appareil n’est utilisé qu’à fin de transmettre un seul et unique message obscène (l’infraction à l’art. 179septies CP devrait alors être considérée comme absorbée), le Tribunal fédéral a considéré que le concours idéal devait être retenu lorsque l’auteur, en s’en prenant à la victime au moyen de nombreux contacts téléphoniques obscènes, exploitait le potentiel de nuisance de cette technologie.  [Doctrine…]

En l’espèce, la cour cantonale a opté implicitement pour le concours idéal en indiquant que l’abus était caractérisé par le nombre de messages et d’appels téléphoniques, qui avaient dérangé la victime, cependant que le contenu des messages, parfois injurieux ou menaçants, était de nature à l’inquiéter. On comprend néanmoins sans difficulté que le recourant n’a pas épuisé le potentiel de nuisances du moyen de télécommunication par les seules menaces qu’il a proférées dans quelques messages, qui sont constitutives du délit réprimé par l’art. 180 CP. Dès lors que cette disposition protège le droit de tout être humain de vivre en paix intérieure et de se sentir en sécurité en société, en tant que parties de la liberté au sens large (ATF 141 IV 1 consid. 3.2.2 s.), cependant que l’art. 179septies CP protège le droit subjectif de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen du téléphone soit les domaines secret et privé, il n’y a aucun motif de ne pas réprimer spécifiquement ces différentes atteintes. Il s’ensuit que le concours idéal doit être retenu en l’espèce. Au demeurant, à supposer que l’infraction réprimée par l’art. 179septies CP doive être considérée comme absorbée dans le cas des quelques messages contenant spécifiquement une menace, qu’un concours réel n’en devrait alors pas moins être retenu avec l’ensemble des communications abusives qui n’en contenaient pas. 

 Il résulte de ce qui précède que la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en appliquant concurremment les art. 179septies et 180 CP, ce qui conduit au rejet du grief.

(Arrêt du Tribunal fédéral 6B_938/2023 du 21 mars 2024 destiné à la publication, consid. 2-3)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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