A.________, né en 1958, a été engagé le 1er mars 2011 comme chef de secteur à l’Office cantonal genevois des bâtiments (OCBA). Il a été nommé fonctionnaire dès le 1er mars 2013. Il était chargé d’assurer l’entretien et le bon fonctionnement du groupe d’immeubles dont il avait la charge. Les évaluations effectuées jusqu’en 2019 étaient globalement bonnes, voire très bonnes, sous quelques réserves.
Le 4 juin 2019, le Conseiller d’État en charge du Département des infrastructures – auquel est rattaché l’OCBA – a dénoncé A.________ et l’un de ses collègues pour corruption passive (art. 322quater CP) et/ou acceptation d’un avantage (art. 322sexies CP). Il lui était reproché de s’être fait offrir des voyages par des entreprises en échange de mandats de l’OCBA. Une procédure pénale a été ouverte le jour même. A.________ a été informé de cette procédure le 4 octobre 2021, date à laquelle il a été arrêté par la police et a été entendu à plusieurs reprises. Il a admis avoir bénéficié de voyages et d’invitations au restaurant de la part de plusieurs entreprises en remerciement des mandats qui leur avaient été accordés. Le rapport de police du 4 octobre 2021 et le procès-verbal d’interrogatoire du même jour ont été transmis au chef du département.
Un entretien avec l’employeur a eu lieu le 12 octobre 2021. A.________ a été libéré de son obligation de travailler. L’ouverture d’une enquête administrative, ainsi qu’une démission ou une retraite anticipée ont été évoquées.
Le 17 mars 2022, A.________ a été convoqué pour un entretien de service devant avoir lieu le 5 avril 2022. Une résiliation des rapports de service était envisagée. Le 29 mars 2022, il a demandé l’accès à son dossier (…).
Le 5 avril 2022, A.________ a fait l’objet d’un entretien de service sous la forme écrite, en raison de son absence pour cause de maladie. Un compte rendu de cet entretien a été transmis à l’intéressé. Etaient recensés 20 voyages en avion ou invitations dans des restaurants, avec mention des dates, lieux, accompagnants et montants concernés; l’intéressé avait reconnu une partie des faits et admis avoir commis une infraction d’acceptation d’un avantage en ayant reçu des cadeaux allant au-delà de ce qui était admis usuellement; il estimait toutefois n’avoir jamais favorisé les entreprises concernées. Une version caviardée de la dénonciation pénale a également été transmise à l’intéressé. Les auditions requises par celui-ci étaient en revanche refusées.
Par décision du 25 août 2022, après avoir tenté de procéder au reclassement de l’intéressé auprès des autres services de l’État, le Conseiller d’État a résilié les rapports de service de A.________, considérant que le fait d’avoir accepté de multiples avantages pendant plusieurs années et d’avoir en outre attribué des mandats (pour 187’579 fr.) à deux sociétés dans lesquelles il détenait des parts, dépassait l’erreur d’appréciation et constituait un manquement important aux devoirs de service.
Par arrêt du 7 novembre 2023, la Chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours formé par A.________ contre cette décision. (…)
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d’annuler l’arrêt cantonal et la décision du 25 août 2022, de condamner le département à lui verser une indemnité de 24 mois de salaire, soit 210’637 fr. 20, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants. (…)
Extraits des considérants :
4. Le recourant invoque ensuite le principe de la proportionnalité en lien avec une application selon lui arbitraire des art. 21 al. 3 et 22 let. b LPAC [Loi générale du 4 décembre 1997 relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux (LPAC ; RS-GE B 5 05]. Il relève qu’il est entré en fonction comme chef de secteur à l’OCBA le 1er mars 2011 et a obtenu des évaluations constamment élogieuses, y compris après la découverte des faits qui lui sont reprochés. L’autorité ne pouvait donc retenir que la continuation des rapports de service n’était plus compatible avec le fonctionnement de l’administration. Il a en outre remboursé les avantages perçus (soit 8’000 fr.). Il estime ne pas avoir mis sur pied un schéma délictuel systématique, mais avoir profité de prestations ponctuelles échelonnées sur cinq ans provenant d’entrepreneurs amis de longue date. Les bons de travaux en faveur des deux sociétés impliquées étaient établis non par lui mais par le technicien sur place. Il relève qu’il a immédiatement reconnu ses erreurs et qu’il avait par ailleurs défendu les intérêts de l’État en instituant un système de contrôle des factures. Il a atteint l’âge de la retraite en avril 2023, à peine quelques mois après la décision de résiliation, et la proposition qui lui a été faite de prendre une retraite anticipée relativiserait la gravité des faits reprochés.
4.1. Le principe de proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 140 I 257 consid. 6.3.1; 134 I 153 consid. 4.1 et les références citées), commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 141 I 1 consid. 5.3.1). Lorsqu’il examine comme en l’espèce le droit cantonal indépendamment de toute atteinte à un droit fondamental, le Tribunal fédéral n’examine le respect de ce principe, que sous l’angle de l’arbitraire (ATF 139 II 7 consid. 7.3 p. 28; 134 I 153 précité consid. 4.3 p. 158). L’atteinte au principe de la proportionnalité se confond donc en l’espèce avec le grief d’arbitraire.
Une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu’elle contredit d’une manière choquante le sentiment de justice et d’équité. Le Tribunal fédéral n’a pas à déterminer quelle est l’interprétation correcte que l’autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l’interprétation qui a été faite est défendable. Si l’application de la loi défendue par l’autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution – éventuellement plus judicieuse – paraît possible (ATF 149 I 329 consid. 5.1 et les arrêts cités).
4.2. Selon l’art. 21 al. 3 LPAC, l’autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé. Elle motive sa décision. Elle est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein de l’administration cantonale correspond aux capacités de l’intéressé. Selon l’art. 22 LPAC, il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration, soit notamment en raison de l’insuffisance des prestations (let. a), ou l’inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b).
La cour cantonale rappelle dans son arrêt que le licenciement pour motifs fondés ne suppose pas l’existence d’une faute de la part de l’employé, le critère déterminant étant le bon fonctionnement de l’administration cantonale. Il ne s’agit donc pas de sanctionner un fautif, mais d’adapter la composition d’un service déterminé aux exigences relatives à son bon fonctionnement. La notion de motif fondé doit être concrétisée dans chaque situation à la lumière des circonstances concrètes, l’employeur jouissant d’un large pouvoir d’appréciation.
4.3. En l’espèce, le recourant se voit reprocher d’avoir, entre 2014 et 2019, effectué plusieurs (au moins cinq selon ses propres déclarations) voyages privés avec des administrateurs de sociétés prestataires de services, les frais (plusieurs milliers de francs) étant entièrement pris en charges par lesdites sociétés. Il s’est également fait inviter à plusieurs reprises, entre 2017 et 2018, dans des restaurants gastronomiques, également pour plusieurs milliers de francs. En outre, en 2019, il a attribué des mandats pour 98’428 fr. à des sociétés dans lesquelles il détenait des parts sociales. Ces agissements délibérés sont en contradiction évidente avec les règles interdisant notamment au personnel de l’État d’accepter des dons ou autres avantages en raison de leur situation officielle (art. 25 RPAC). S’agissant d’un cadre de l’administration en relations directes avec les entreprises prestataires, le recourant ne saurait prétendre qu’il s’agirait de simples erreurs d’appréciation. En dépit de ses bonnes qualifications et de l’absence d’antécédents, les instances précédentes pouvaient considérer que les agissements du recourant, qui se sont échelonnés sur plusieurs années, avaient occasionné une rupture du lien de confiance entre le recourant et sa hiérarchie, ainsi qu’une atteinte au principe d’objectivité et d’impartialité du processus décisionnel, et plus généralement dans la confiance que les administrés doivent pouvoir avoir dans les agents de l’État. Cette appréciation n’a rien d’arbitraire. Le recourant ne saurait se prévaloir du fait qu’il a été maintenu en poste pendant plus de deux ans après le 3 juin 2019. Comme cela est relevé ci-dessus, l’autorité a attendu que les faits aient été suffisamment établis; son maintien provisoire en poste répond au principe de la proportionnalité et si le recourant n’a pas encouru de reproche durant cette période, il ne saurait s’en prévaloir du fait qu’il a évidemment cessé ses agissements après leur découverte.
Sous l’angle de la proportionnalité, la cour cantonale a considéré que le licenciement du recourant – au demeurant quelques mois seulement avant que celui-ci n’atteigne l’âge de la retraite – était la seule mesure apte à assurer le bon fonctionnement du service et l’intégrité de l’administration. Le recourant ne proposait d’ailleurs pas de mesure moins incisive. Une procédure de reclassement avait été mise sur pied mais aucune place appropriée n’avait pu être trouvée.
4.4. Dans un grief distinct, le recourant se plaint d’arbitraire dans l’application des dispositions précitées du droit cantonal (art. 22 let. b LPAC). Il estime qu’en présence d’une faute considérée comme grave, un licenciement pour motif fondé ne pouvait pas être prononcé; une enquête disciplinaire devait être ouverte dans la perspective d’un licenciement immédiat.
Selon la jurisprudence, la violation fautive des devoirs de service n’exclut pas le prononcé d’un licenciement administratif, soit une résiliation des rapports de service pour motif fondé. Si le principe même d’une collaboration ultérieure est remis en cause par une faute disciplinaire de manière à rendre inacceptable une continuation du rapport de service, un simple licenciement, dont les conséquences sont moins graves pour la personne concernée, peut être décidé à la place de la révocation disciplinaire (arrêt 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5). Dans la mesure où, comme on l’a vu, l’autorité pouvait retenir à juste titre l’existence d’une faute disciplinaire rendant impossible la continuation des rapports de service, l’autorité pouvait choisir entre une révocation disciplinaire ou une résiliation pour motif fondé. Il n’y a en l’occurrence aucun arbitraire à avoir choisi cette seconde possibilité.
Dans un dernier grief, le recourant invoque le principe de la célérité. Il estime que l’autorité ne pouvait attendre le 25 août 2022 pour le licencier alors que les faits, qui remontent à 2014-2019, avaient été découverts en avril 2019 déjà.
5.1. En vertu de l’art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Cette disposition consacre notamment le principe de la célérité ou, en d’autres termes, prohibe le retard injustifié à statuer. L’autorité viole cette garantie constitutionnelle lorsqu’elle ne rend pas la décision qu’il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que la nature de l’affaire ainsi que toutes les autres circonstances font apparaître comme raisonnable. La question du respect du principe de célérité ne peut pas être examinée in abstracto, mais doit l’être à la lumière des circonstances concrètes (ATF 144 I 318 consid. 7.1; 143 IV 373 consid. 1.3.1).
5.2. S’ils remontent à 2014, les faits reprochés au recourant n’ont été portés à la connaissance de l’autorité qu’en avril 2019. La dénonciation pénale a été déposée début juin 2019 et l’autorité a, à juste titre, attendu les premiers résultats de l’enquête pénale. Le recourant n’a été informé de cette enquête que le 4 octobre 2021, jour de son arrestation et de sa première audition. Les éléments de l’enquête, soit le rapport de police du 4 octobre 2021 et les procès-verbaux d’audition du recourant des 4 et 5 octobre 2021, ont été transmis au chef du département le 5 octobre 2021. Le recourant a été convoqué à un entretien le 12 octobre 2021 et a été libéré de son obligation de travailler. L’autorité ne pouvait agir avec plus de célérité avant de connaître suffisamment les faits. Ayant dénoncé pénalement le recourant, elle n’avait d’autre choix que d’attendre comme elle l’a fait les premier résultats de l’enquête pénale (cf. arrêt 8C_17/2022 du 16 août 2022 consid. 5.4). Un nouvel entretien a eu lieu – par écrit – le 17 mars 2022; le recourant a ensuite eu accès à certaines pièces du dossier, et une procédure s’en est suivie à propos de la consultation du dossier. Le recourant s’est encore déterminé le 9 mai 2022 et la décision de résiliation a été rendue le 25 août 2022, après la tentative infructueuse de reclassement auprès de l’administration cantonale et un entretien de reclassement du 12 juillet 2022.
Il résulte de ce qui précède que l’autorité a agi avec diligence. Elle a requis la consultation du dossier pénal en janvier et août 2020 ainsi qu’en mars 2021, ce qui lui a été refusé par le Procureur général en raison du caractère secret de l’enquête. Après avoir obtenu les premiers résultats de l’enquête pénale, elle a immédiatement convoqué le recourant et la procédure s’est déroulée sans temps mort injustifié. Le grief doit par conséquent être écarté.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n’y a pas lieu d’allouer de dépens à l’intimé (art. 68 al. 3 LTF).
(Arrêt du Tribunal fédéral 1C_17/2024 du 8 août 2024, consid. 4 et 5)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
