Discrimination à l’embauche : degré de la preuve ?

La loi sur l’égalité, qui a pour but de promouvoir dans les faits l’égalité entre femmes et hommes (art. 1 LEg), interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment à l’embauche (art. 3 al. 1 et 2 LEg). Selon les art. 5 al. 2 et 4 LEg, lorsque la discrimination porte sur un refus d’embauche, la personne lésée ne peut prétendre qu’au versement par l’employeur d’une indemnité n’excédant pas le montant correspondant à trois mois de salaire. Une telle indemnité peut également être exigée en matière de rapports de travail de droit public; les personnes dont la candidature n’a pas été retenue peuvent ainsi faire valoir leur droit en recourant directement contre la décision de refus d’embauche (art. 13 al. 2 LEg). 

 L’art. 6 LEg est une règle spéciale par rapport au principe général de l’art. 8 CC, lequel prescrit à celui qui allègue un fait pour en déduire un droit d’en apporter la preuve. L’art. 6 LEg instaure un assouplissement du fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination par l’apport d’indices objectifs pour engendrer un renversement du fardeau de la preuve. Autrement dit, si la vraisemblance de la discrimination est démontrée, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas. A teneur de l’art. 6, deuxième phrase, LEg, l’allègement du fardeau de la preuve s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail. Selon la jurisprudence, il ressort de cette dernière disposition que l’allègement du fardeau de la preuve ne s’applique pas à l’embauche (arrêt 2A.329/2002 du 14 janvier 2003, consid. 3 avec les références de doctrine). La personne qui allègue une discrimination à l’embauche doit donc établir qu’elle n’a pas été engagée en raison d’un motif discriminatoire. En application de l’art. 8 CC, elle doit prouver l’existence de ce motif et son caractère causal dans la décision du refus d’embauche. Cette preuve est toutefois excessivement difficile à rapporter. 

 Dans le domaine du congé abusif, le Tribunal fédéral a tenu compte des difficultés qu’il pouvait y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a donné le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de preuve par indices. Par ailleurs, en raison de son caractère sournois, il est difficile d’apporter une preuve stricte du harcèlement psychologique, de sorte que la jurisprudence admet un allégement du fardeau de la preuve en ce sens que celle-ci peut être apportée sur la base d’un simple faisceau d’indices convergents (arrêt 4A_245/2009 du 6 avril 2010, consid. 4.2). Quant au harcèlement sexuel, il est également très difficile d’apporter la preuve absolue de ce type d’atteinte à la personnalité, de sorte que la jurisprudence se contente le plus souvent d’indices convergents (vraisemblance prépondérante) (voir JEAN-PHILIPPE DUNAND, L’interdiction de la discrimination à l’embauche dans la loi fédérale sur l’égalité [LEg], in: L’égalité entre femmes et hommes dans les relations de travail 1996-2016: 20 ans d’application de laLEg, Dunand/Lempach/Mahon [éd.], p. 50 ss). Les considérations qui sont à la base de cette jurisprudence, en particulier dans le domaine du harcèlement sexuel, peuvent également être appliquées en matière de discrimination à l’embauche, vu l’évidente analogie entre ces deux types d’atteintes à la personnalité. Le harcèlement sexuel a du reste été exclu au même titre que la discrimination à l’embauche de la liste des motifs discriminatoires pour lesquels la loi prévoit un allégement du fardeau de la preuve (cf. art. 6 LEg). 

 Ainsi, au vu de la difficulté – voire de l’impossibilité dans la plupart des cas – d’apporter une preuve stricte d’une discrimination à l’embauche, il faut admettre que le juge puisse se satisfaire d’une preuve fondée sur une vraisemblance prépondérante (arrêt 8C_821/2016 du 26 janvier 2018 consid. 3.3). Le contenu de l’offre d’emploi, la motivation écrite du refus d’embauche, un comportement contradictoire de l’employeur peuvent constituer autant d’indices pertinents.

(TF 8C_719/2021 du 4 octobre 2022, c. 2)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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