Contenu de l’opposition au congé (art. 336b al. 1 CO)

L’appelante [l’employeuse] conteste ensuite sa condamnation du fait d’un congé abusif.

A ce titre, elle fait valoir que l’opposition formée par l’intimé [le travailleur] ne serait pas valable, celle-ci devant viser à une reprise des rapports de travail que l’intimé n’aurait en réalité pas voulu, puisque celui-ci se serait au contraire réjouit du congé donné.

En vertu de l’art. 336b al. 1 CO (Code des obligations du 30 mars 1911 ; RS 220), la partie qui entend demander une indemnité pour résiliation abusive (art. 336 et 336a CO) doit faire opposition au congé par écrit auprès de l’autre partie, au plus tard jusqu’à la fin du délai de congé.  L’opposition a pour but de permettre à l’employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif ; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus (TF 4A_320/2014 du consid. 3.1 ; TF 4A_571/2008 du consid. 4.1.2 ; Wyler/Heinzer/Witzig, Droit du travail, 5e éd. 2024, p. 915). Dans cette perspective, le droit du travailleur de réclamer l’indemnité pour licenciement abusif s’éteint si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation (ATF 134 III 67 consid. 5 ; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 915). Il n’y a pas d’opposition lorsque le travailleur s’en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non à la fin des rapports de travail en tant que telle (TF 4A_59/2023 du 28 mars 2023 consid. 4.1 ; TF 4A_320/2014 déjà cité consid. 3.1 ; TF 4A_571/2008 déjà cité consid. 4.1.2 ; Wyler/Heinzer, op. cit., p. 912).

Dans l’arrêt 4A_59/2023 précité, le Tribunal fédéral a constaté qu’il ne s’agissait pas de savoir s’il suffisait à l’employé d’indiquer par écrit qu’il « forme opposition au congé » pour satisfaire au réquisit de l’art. 336b al. 1 CO. Il ne s’agissait pas non plus d’ailleurs de déterminer si cette disposition lui impose parallèlement d’offrir expressément ses services à l’employeur. En effet, il résultait des faits souverainement constatés par la cour cantonale que le recourant avait écrit, le 20 décembre 2016, qu’il « form[ait] opposition à ce congé » et simultanément qu’il prenait acte que les « rapports de travail prendront (…) fin le 31 janvier 2017 ». Quoi qu’en dise l’employé dans ce cas, ses intentions n’étaient pas claires puisqu’il déclarait tout à la fois former opposition au congé et que ce congé interviendrait bien à la date susmentionnée. Ces deux éléments sont antagonistes puisque si l’opposition concerne la terminaison des rapports de travail (car cette résiliation est abusive), l’employé ne peut simultanément accepter que ceux-ci se terminent. Exprimé autrement, soit il accepte la résiliation soit il s’y oppose (consid. 4.2 de l’arrêt précité).  Devant une telle situation, la cour cantonale se devait de procéder par interprétation, selon les règles communément admises. Donnant la préséance à l’interprétation subjective, elle a dégagé la véritable intention de l’employé qui était d’accepter la fin des rapports de travail. Il fallait donc comprendre la lettre du 20 décembre 2016 en ce sens que son opposition portait sur les motifs avancés par l’employeur et non sur la fin de son emploi, avec laquelle il était d’accord (consid. 4.2). Le Tribunal fédéral a en conséquence jugé que la cour cantonale n’avait pas violé le droit en refusant une indemnité pour congé abusif, à laquelle l’employé ne pouvait prétendre faute d’avoir formé opposition au licenciement au sens de l’art. 336b al. 1 CO en temps utile. 

En l’occurrence, par courrier du 26 août 2019, signé par J.________ et X.________, l’appelante a résilié les rapports de travail pour le 28 février 2020. Le 24 octobre 2019, l’intimé a indiqué qu’il « forme opposition à son congé et ceci au sens de l’art. 336b CO ». Cette lettre émane du conseil de l’intimé. On y discerne aucune volonté de reprendre le travail ou de s’opposer à la fin des rapports de travail.

L’intimé invoque qu’on ne saurait avoir attendu de lui qu’il offre ses services ou conteste la fin des rapports de travail dans son opposition dès lors qu’il était alors en arrêt maladie et avait fait selon lui l’objet de violations répétées de sa personnalité. En l’état, l’intimé s’était effectivement vu reconnaître un état d’incapacité de travail du 3 septembre 2019 au 29 novembre 2019. Le dernier jour de son incapacité de travail était cependant postérieur de dix jours à la date où il a toutefois conclu un contrat de travail avec un tiers, le 18 novembre 2019, avec une entrée en fonction le dimanche 1er décembre 2019. Ce faisant, il a clairement manifesté à un tiers, et non à l’appelante, vouloir travailler pour celui-ci d’une part et qu’il ne voulait plus travailler pour l’appelante d’autre part. En arrêt de travail au moment de l’opposition, on peut ainsi admettre qu’il n’a pas indiqué vouloir reprendre le travail à ce moment-là. En revanche, on ne peut retenir une volonté interne de sa part de vouloir continuer les rapports de travail avec l’appelante dès lors qu’il a signé un mois après son opposition au congé un contrat de travail avec un tiers. Ce dernier élément parle en défaveur d’une volonté de l’intimé de vouloir réellement reprendre le travail pour l’appelante en dépit de la résiliation donnée. Malgré l’opposition formulée sous la plume de son conseil, la Cour de céans retient en conséquence que l’intimé n’avait pas la volonté de continuer à travailler pour l’appelante. Cela est au demeurant déjà clairement établi par la note interne que l’intimé a adressée à X.________ le 29 août 2019, où il écrit, après avoir fait des remarques acerbes à ce dernier, dans une police plus grande que le reste du texte « Vivement le 28 février 2020 », soit la date de l’échéance des rapports de travail selon la lettre de résiliation de l’appelante. On doit pour finir constater qu’à aucun moment, l’intimé n’a exprimé la volonté que les rapports de travail continuent au-delà de cette échéance. De même n’a-t-il, ni dans le courrier du 24 octobre 2019 ni avant l’ouverture de la procédure, formulé de prétention en indemnisation pour licenciement abusif. Dans ces circonstances, on doit constater, selon l’interprétation subjective, que malgré l’opposition formelle formulée par son avocat, l’intimé avait accepté que les rapports prennent fin à l’échéance indiquée dans le courrier de résiliation. Son opposition, près de deux mois plus tard, doit ainsi être considérée comme ne portant que sur les motifs du congé, sans volonté de reprendre les rapports professionnels. Partant et conformément à la jurisprudence précitée, on doit considérer que l’intimé n’a pas valablement fait opposition au congé par écrit auprès de l’appelante au sens de l’art. 336b al. 1 CO. Dans ces conditions, ses prétentions pour licenciement abusif auraient dû être rejetées.

(Arrêt de la Cour d’appel civil du tribunal cantonal [VD] HC / 2024 / 473  du 8 octobre 2024, consid. 4)

Note : on comparera ce qui précède avec un arrêt NE récent, beaucoup moins strict quant à l’interprétation de ce qu’est une opposition recevable de l’employé : https://droitdutravailensuisse.com/2024/11/21/lopposition-au-conge-en-cas-de-licenciement-abusif/) Aux justiciables de se débrouiller avec cela. En tout état, l’avocat aura intérêt à manifester malgré tout le souhait que les rapports de travail continuent, quoi que l’on puisse en penser de ce qui ressemble parfois furieusement à une figure de style

Me Philippe Ehrenström, avocat LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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