Position du propriétaire de l’animal décédé dans la procédure disciplinaire dirigée contre le vétérinaire

Il n’est pas douteux que la décision attaquée qui refuse à la recourante [propriétaire du chat N.] la qualité de partie devant la commission [pour lui préférer celle de dénonciatrice], est une décision incidente qui cause à cette dernière un préjudice irréparable (art. 57 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA – E 5 10).

L’objet du litige consiste à déterminer si la recourante doit se voir reconnaître la qualité de partie devant la commission [Commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients, autorité disciplinaire dans le canton de Genève – notamment pour ce qui est de l’activité des vétérinaires].

S’agissant de la qualité de partie devant la commission, selon l’art. 9 de la loi cantonale du 7 avril 2006 sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (LComPS ; RS-GE K 3 03), le patient qui saisit la commission de surveillance, la personne habilitée à décider des soins en son nom, le professionnel de la santé ou l’institution de santé mis en cause ont la qualité de partie.

A contrario, le dénonciateur n’a pas cette qualité.

S’agissant de la notion de patient, la jurisprudence de la chambre de céans et, avant elle, du Tribunal administratif, a admis qu’un patient, au sens de l’art. 9 LComPS, était une personne qui entretenait ou avait entretenu une relation thérapeutique avec un professionnel de la santé dont l’activité est régie par cette loi.

Le droit de plainte reconnu au patient, ainsi que sa qualité de partie à la procédure par-devant la commission trouvent leur fondement dans le fait que la législation sur la santé confère des droits au patient. La procédure devant la commission a en effet pour objet de permettre aux patients de s’assurer que leurs droits ont été respectés conformément à l’art. 1 al. 2 LComPS.

Dans la mesure où ils encadrent l’exercice d’une activité médicale susceptible de porter atteinte à l’intégrité corporelle, les droits du patient font parties des droits de la personnalité au sens de l’art. 28 CC. Strictement personnels, les droits de la personnalité sont par essence intransmissibles. Ils ne passent pas aux héritiers.

Dans un précédent de 2013, un patient avait déposé plainte auprès de la commission avant son décès. Il n’avait pas désigné de représentant thérapeutique ni de personne habilitée à décider des soins en son nom. La chambre de céans a retenu qu’en déposant plainte et en concluant à ce qu’il soit constaté que la loi avait été violée à son préjudice, le patient décédé avait exercé ses droits de patient. Il avait fait usage d’une prérogative qui était la sienne car il était titulaire de ces droits. Toutefois, ses droits s’étaient éteints avec son décès. Ils n’avaient pas été transmis à ses héritiers, s’agissant de droits strictement personnels et intransmissibles. En conséquence, sa veuve ne pouvait pas prétendre lui succéder dans la procédure engagée devant la commission. Elle ne pouvait pas non plus, sur le plan procédural, invoquer qu’elle lui avait succédé en tant qu’il avait la qualité de partie à la procédure devant la commission. Si le législateur, par rapport à l’art. 9 LComPS, avait entendu conférer la qualité de partie aux héritiers du patient décédé, il aurait dans le même temps dû prévoir que tout ou partie des droits du patient seraient dévolus à ses proches en cas de décès, ce qui n’était pas le cas (ATA/527/2013 du 27 août 2013 consid. 6).

Ce raisonnement a été confirmé en 2016. Les droits de deux patients décédés, qui avaient déposé plainte auprès de la commission avant leur décès, étaient des droits strictement personnels et intransmissibles, de sorte qu’ils n’avaient pas été transmis à leurs héritiers. Ces derniers n’avaient en outre pas, à teneur du dossier, été désignés comme représentants thérapeutiques ou personnes habilitées à décider des soins en leur nom. Ainsi, leurs héritiers ne pouvaient pas prétendre leur succéder dans la procédure. Ils n’avaient pas la qualité de partie (ATA/474/2016 du 7 juin 2016 consid. 2j).

Plus récemment, la chambre de céans a jugé que les parents d’une jeune femme majeure qui était décédée n’avaient pas la qualité de partie. La défunte n’avait pas désigné de représentants thérapeutiques. Même à considérer qu’elle n’aurait plus été capable de discernement au moment d’être hospitalisée, l’art. 48 de la loi cantonale du 7 avril 2006 sur la santé (LS – RS/GE K 1 03)  lu avec les art. 8 et 9 LComPS présupposait que le patient soit vivant, dans la mesure où il était question dans cette disposition de « recevoir des soins médicaux ». Or, cette situation n’était envisageable que du vivant du patient. Par conséquent et pour autant qu’il y ait eu une représentation thérapeutique des parents à l’égard de leur fille compte tenu de l’éventuelle incapacité de discernement de celle-ci, ce pouvoir de représentation avait pris fin au moment de son décès. (ATA/1075/2019 du 25 juin 2019 consid. 5).

Le Tribunal fédéral a jugé que cette interprétation de l’art. 9 LComPS n’avait rien d’arbitraire. La disposition octroyait la qualité de partie au « patient » ou à la « personne habilitée à décider des soins en son nom ». Il était soutenable de retenir que la formulation conditionnait la qualité de partie à la procédure non contentieuse à ce que le patient soit en vie. Si le législateur avait voulu, au décès du patient, conférer la qualité de partie à certaines personnes, dont les héritiers, il l’aurait spécifié dans la disposition en cause. De plus, étaient a priori en cause les « droits des patients ». Juger, en dépit de leur indétermination, que ceux-ci étaient des droits strictement personnels et intransmissibles ne pouvait pas non plus être qualifié d’arbitraire. Dans le même ordre d’idées, le mari et le fils d’une patiente décédée d’un cancer n’étaient pas habilitées à recourir contre un classement de leur dénonciation par la commission, faute d’avoir la qualité de partie à la procédure. Ils ne pouvaient notamment recourir par la voie du recours de droit public (alors en vigueur), faute de pouvoir se prévaloir d’un intérêt juridiquement protégé. Le prononcé d’une sanction disciplinaire tendait en effet uniquement à la sauvegarde de l’intérêt public, à l’exclusion de l’intérêt privé du dénonciateur (arrêt du Tribunal fédéral 2P.167/2001 du 5 février 2002 consid. 1.1). Il pouvait paraître difficilement compréhensible pour des parents qui avaient perdu un enfant qu’un patient ou son représentant puisse porter plainte et obtenir la qualité de partie à l’encontre d’un médecin qui aurait par hypothèse commis une erreur professionnelle ayant entraîné des lésions corporelles et que dans le cas le plus grave, à savoir le décès du patient, cette possibilité disparaisse. Toutefois, l’application du droit cantonal aboutissant à cette conclusion ne pouvait être qualifiée d’arbitraire. Cette approche n’était pas contradictoire avec la reconnaissance du droit des proches à l’accès au dossier médical d’un patient décédé. Un tel décès pouvait induire, outre une procédure disciplinaire, des procédures pénale, civile ou en responsabilité, dans lesquelles les parents du défunt avaient potentiellement la qualité de partie (arrêt du Tribunal fédéral 2C/675/2019 du 4 février 2020 consid. 2.5).

Dans un précédent de 2015 concernant la médecine vétérinaire, la chambre de céans a jugé que le droit d’être informé reconnu par l’art. 45 LS – soit le droit pour le patient d’être informé de manière claire et appropriée sur (a) son état de santé, (b) les traitements et interventions possibles, leurs bienfaits et leurs risques éventuels et (c) les moyens de prévention des maladies et de conservation de la santé (al. 1), y compris par écrit (al. 2) – appartenait en médecine vétérinaire au détenteur de l’animal (ATA/587/2015 du 9 juin consid. 5b). Cependant, dans cette affaire, qui concernait une sanction disciplinaire prononcée contre le vétérinaire, les propriétaires de l’animal, qui avaient saisi la commission après le décès de celui-ci, avaient la qualité de dénonciateurs devant la commission et n’avaient pas la qualité de partie devant la chambre de céans, sans que cela soit litigieux.

Dans un cas récent, la propriétaire d’une chienne qui avait saisi la commission d’une plainte contre une vétérinaire pour des violations des règles de l’art dans le cadre d’une opération s’est vu reconnaître la qualité de partie dans la procédure devant la chambre de céans ouverte à la suite du recours formé par la vétérinaire contre la sanction prononcée par la commission. Il ne ressort pas de la procédure que l’animal était décédé au moment du dépôt de la plainte ni du prononcé de la sanction, et la commission avait initialement informé la propriétaire qu’elle examinait sa « plainte » (ATA/347/2023 du 4 avril 2023).

Enfin, pour mémoire, les milieux de protection des animaux, et plus particulièrement la Protection suisse des animaux, ont déposé en 2006 une initiative populaire fédérale rédigée de type constitutionnel, intitulée « Contre les mauvais traitements envers les animaux et pour une meilleure protection juridique de ces derniers (initiative pour l’institution d’un avocat de la protection des animaux) » (FF 2006 1041 ; Message du Conseil fédéral, FF 2008 3883 ss). Cette initiative, qui a été rejetée en votation populaire le 7 mars 2010 (FF 2010 2397), ne concernait cependant que la procédure pénale.

En l’espèce, la recourante fait valoir que le droit à l’information de l’art. 45 LS est reconnu au propriétaire de l’animal par la jurisprudence. Cela est exact et cette reconnaissance est logique du moment que c’est le propriétaire qui contracte avec le vétérinaire et qui décide des soins à prodiguer à son animal.

On ne saurait toutefois inférer de ce statut du propriétaire du vivant de l’animal la qualité de partie devant la commission une fois l’animal décédé. Il est vrai que l’animal ne peut procéder par lui-même, et en particulier saisir la commission de son vivant. C’est toutefois à son maître qu’il est loisible de le faire à ce moment-là.

Cela étant, une fois l’animal décédé, il est conforme à la jurisprudence précitée que son propriétaire ne se voie pas reconnaître la qualité de partie devant la commission lorsqu’il la saisit en relation avec la mort de son animal. Certes, l’animal ne possède pas de droits strictement personnels et c’est son maître qui entretient pour lui la relation juridique avec le vétérinaire et prend les décisions de son vivant. Le propriétaire de l’animal ne devient pas pour autant le patient et lui accorder après la mort de l’animal des droits que celui-ci ne possédait ni n’exerçait ne trouve pas de fondement dans la loi – et reviendrait en outre à octroyer au propriétaire d’un animal décédé plus de droits qu’aux proches d’un humain décédé.

Il sera enfin rappelé que la procédure disciplinaire devant la commission tend uniquement à la sauvegarde de l’intérêt public, à l’exclusion de l’intérêt privé du dénonciateur et que, comme la parenté d’un humain décédé, le propriétaire peut se voir reconnaître la qualité de partie dans une procédure pénale ou civile dirigée contre la ou les personnes qu’il tient pour responsables de la mort de son animal.

C’est ainsi de manière confirme au droit que la commission a dénié à la recourante la qualité de partie dans la procédure disciplinaire devant elle, et ne lui a reconnu que la qualité de dénonciatrice.

(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice [GE] ATA/135/2025 du 04.02.2025)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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