Convention collective de travail, accord dérogatoire et clause plus favorable

L’art. 357 al. 2 CO prévoit qu’en tant qu’ils dérogent à des clauses impératives d’une convention collective de travail, les accords entre employeurs et travailleurs liés par la convention sont nuls et remplacés par ces clauses; toutefois, les dérogations stipulées en faveur des travailleurs sont valables. 

Le principe du caractère impératif des dispositions collectives est ainsi limité par celui de la clause la plus favorable (Günstigkeitsprinzip) (ATF 116 II 153 consid. 2a/aa; arrêt 4C.269/2001 du 16 novembre 2001 consid. 4b). 

Si les parties sont convenues de déroger à une convention collective de travail, il faut dès lors procéder à une comparaison des avantages ( Günstigkeitsvergleich). Il s’agit de vérifier, pour le rapport de travail en question, si les conditions contractuelles de travail sont ou non plus favorables au travailleur que celles de la convention collective. La préférence du travailleur concerné pour l’une ou l’autre réglementation est sans incidence. Il convient bien plutôt de partir de critères objectifs. On doit se demander quelle serait l’appréciation d’un travailleur raisonnable en considération du corps de métier visé et des conceptions prévalant au sein de la branche d’activité concernée. Le caractère objectif de cet examen implique également que l’on ne peut pas comparer isolément les différentes dispositions en cause. Pour autant, il n’est pas non plus possible de procéder à une comparaison globale du contrat de travail avec la convention collective. Il faut au contraire effectuer une comparaison par secteurs (Gruppenvergleich). Dans ce cadre, on compare les dispositions de la convention collective qui sont étroitement liées entre elles avec la réglementation correspondante du contrat individuel de travail. Cela permet par exemple que des systèmes de rémunération différents soient comparés entre eux dans leur ensemble. La comparaison ne peut cependant s’attacher qu’à un ensemble de normes qui sont en corrélation les unes avec les autres. Cette exigence de connexité doit donc être interprétée de manière restrictive. Ainsi, même lorsque l’on compare des systèmes de rémunération, on ne peut pas dans tous les cas comparer le revenu annuel probable avec la réglementation de la convention collective. Il faut bien plus limiter à une période déterminée la comparaison du salaire total selon la convention collective et selon le contrat individuel de travail. Le but de protection de la disposition correspondante de la convention collective est à cet égard d’une importance cruciale. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé adéquat de limiter la comparaison à une période d’un mois (ATF 134 III 399 consid. 3.2.4.3; 116 II 153 consid. 2a/aa et 2a/bb; arrêt 4A_629/2011 du 6 juin 2012 consid. 4 et les références citées). 

La cour cantonale a constaté que la défenderesse [la recourante, l’employeuse] n’avait pas remis en cause devant elle l’ensemble de la motivation du jugement de première instance relative au principe de la clause la plus favorable, ce qui rendait la recevabilité de son grief sur ce point douteuse. En particulier, les juges cantonaux ont relevé que la défenderesse n’avait pas critiqué le fait que le système de rémunération prévu entre les parties n’était pas conforme au but de la CCT, parce qu’il permettait à l’employeuse de « passer sous la barre du salaire mensuel brut fixe minimum conventionnel par l’exercice d’un pouvoir d’appréciation ». 

L’instance précédente a considéré par ailleurs qu’il n’était pas déterminant qu’à l’issue de la relation contractuelle, le demandeur ait globalement perçu un revenu supérieur à ce qu’un strict respect de la CCT lui aurait permis de toucher. Ce qui, selon la cour cantonale, était problématique résidait en l’espèce dans le fait que la rémunération minimale prévue par la CCT n’était pas garantie, puisque le travailleur était placé devant le risque que sa prime de sécurité soit supprimée ou réduite à tout moment, sur la base de critères laissés à la libre appréciation de l’employeuse. La situation contractuelle n’était donc pas objectivement plus favorable que ce que prévoyait la CCT sous l’angle de l’assurance de percevoir un salaire minimum.

En outre, les juges cantonaux ont retenu que la comparaison des modèles de rémunération dans leur ensemble conduisait à retenir que la prime de sécurité ne pouvait pas appartenir au même secteur que le salaire brut fixe prévu par la CCT, puisque son versement n’était pas garanti et que son montant n’était pas objectivement déterminable.

Par ailleurs, l’instance précédente a exposé, s’agissant du remboursement de frais professionnels, qu’aussi généreux qu’il ait pu être – ce qui n’avait, selon elle, pas été prouvé -, il ne poursuivait à l’évidence pas le même but que le salaire et ne saurait appartenir au même secteur que ce dernier, dans le but de compenser son insuffisance.

La recourante reproche tout d’abord à la cour cantonale d’avoir rejeté son grief « aux termes [ sic] d’un considérant […] excessivement sommaire » et de n’avoir ce faisant pas dûment examiné les divers griefs soulevés dans l’appel qu’elle avait formé. La recourante affirme en effet avoir suffisamment contesté la motivation du jugement de première instance s’agissant du respect du but de protection de la CCT. 

Sur le fond, la recourante avance en substance (1) qu’il serait faux de prétendre que la prime de sécurité pouvait être réduite ou supprimée à tout moment, (2) qu’il serait évident que du point de vue d’un travailleur raisonnable et objectif, une rémunération globalement supérieure au salaire minimum applicable était dans l’intérêt du travailleur et (3) qu’en considération de la jurisprudence, la prime de sécurité devait assurément faire partie du même secteur que le salaire brut fixe.

La recourante déduit de ce qui précède que le résultat auquel aboutit le raisonnement de l’instance précédente serait choquant car il conduirait en définitive à un déséquilibre en permettant à l’intimé de cumuler les avantages de la CCT et ceux de son contrat individuel de travail, au détriment de la recourante.

Elle fait valoir enfin, par des références à ses allégations et aux pièces qu’elle a versées à la procédure, qu’elle aurait fait la démonstration que l’intimé avait effectivement bénéficié de défraiements et autres avantages allant bien au-delà des obligations de la recourante, ce dont la cour cantonale aurait fait fi de manière insoutenable. Elle se réfère en outre à des extraits de la CCT et de son annexe pour prétendre que les défraiements convenus relèveraient du même secteur que le salaire.

 Force est de constater que la recourante ne démontre aucunement que l’instance précédente aurait effectivement omis de se prononcer sur l’un quelconque des griefs qu’elle a formulés en appel. Elle va même jusqu’à se contredire à ce sujet en affirmant que les juges cantonaux n’auraient « pas ou peu discuté les nombreux arguments soulevés » ou encore que ceux-ci n’auraient « pas été examinés ni débattus par [la cour cantonale], qui a[urait] rejeté ce[s] grief[s] de manière excessivement laconique ». La recourante n’expose en tout état de cause pas en quoi les griefs qui n’auraient pas été examinés par la cour cantonale auraient été décisifs pour l’issue du litige, en sorte que le moyen tiré d’une prétendue violation de son droit d’être entendue doit être rejeté. 

En outre et nonobstant des références à des éléments de fait qui n’ont pas été constatés par la cour cantonale et dont elle ne requiert pas valablement qu’ils soient intégrés à l’état de fait, la recourante ne démontre aucunement que l’instance précédente aurait erré dans l’application du principe de la clause la plus favorable.

Au contraire, la recourante se contente de développer son raisonnement propre sur ce point sans réellement discuter la motivation de l’arrêt querellé. Tout spécialement, la recourante ne remet pas en cause de manière effective l’argumentation tirée du but du salaire minimum conventionnel. Elle ne s’exprime pas en effet sur les considérations ressortant à l’essence de cette réglementation, c’est-à-dire la garantie en faveur du travailleur d’un plancher salarial mensuel fixe, et ses dénégations quant aux réductions et suppressions de la prime de sécurité se trouvent en tout état de cause réfutées par le constat de variations sensibles des montants versés à ce titre. Elle perd pareillement de vue que, même à retenir que la prime de sécurité devrait relever du même secteur que le salaire, la jurisprudence a établi un cadre temporel de comparaison des systèmes salariaux d’un mois, si bien qu’elle ne saurait être suivie lorsqu’elle se prévaut de la situation du travailleur sur l’entier de la durée des rapports de travail. 

De même, les éléments de fait qu’invoque la recourante n’établissent en aucune manière que le défraiement accordé au travailleur aurait excédé les frais professionnels effectifs de celui-ci au point que cet élément de revenu doive être qualifié de salaire. On ne peut partant faire reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en considérant que le système de défraiement n’appartenait pas au même secteur que le salaire.

En conséquence, ce grief est également mal fondé.

(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_138/2024 du 31 janvier 2025, consid. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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