Une œuvre créée par une intelligence artificielle est-elle protégée par le droit d’auteur en Suisse ?

Présentation et résumé de Léa Fontana, Les créations artistiques générées par l’intelligence artificielle et le droit d’auteur, Université de Lausanne, Faculté de droit, 2025 [https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7307083328036192258/] dont je recommande fortement la lecture :

Le droit d’auteur suisse, régi par la LDA du 9 octobre 1992 et son ordonnance d’application (ODau), repose sur la protection des œuvres littéraires et artistiques, pour autant qu’elles soient des créations de l’esprit et présentent un caractère individuel. Le droit accorde ainsi une protection aux auteurs – entendus exclusivement comme personnes physiques – et aux ayants droit connexes (interprètes, producteurs, organismes de diffusion).

Pour bénéficier de la protection, une œuvre doit remplir trois conditions principales : être une création de l’esprit, appartenir au domaine artistique ou littéraire, et posséder un caractère individuel.

L’IA générative, quant à elle, repose sur des techniques de machine learning et de deep learning, lui permettant d’analyser de vastes bases de données pour produire, à la demande, des contenus inédits. On distingue généralement deux types d’IA : l’IA assistée, dans laquelle l’humain reste au cœur du processus décisionnel, et l’IA autonome, capable de décisions et de créations indépendantes. L’IA générative se situe entre ces deux extrêmes : l’utilisateur fournit des instructions (prompts), que l’IA interprète à travers un modèle probabiliste afin de générer une « sortie » (output), par exemple une image.

Cette mécanique soulève immédiatement la question de l’auteur de l’œuvre : qui, de l’utilisateur ou de la machine, peut être reconnu comme tel ? Or, l’article 6 LDA limite cette qualité à la personne physique ayant créé l’œuvre. Les machines et les animaux sont explicitement exclus. Dans le cas des IA autonomes, aucun auteur humain ne peut être identifié ; la protection est donc exclue. Pour les IA assistées, le rôle de l’utilisateur doit être substantiel pour justifier une reconnaissance en tant qu’auteur. Une simple description ou un prompt minimal ne suffit pas. En revanche, si l’utilisateur intervient de manière significative en retravaillant l’œuvre, il est possible – par analogie avec la jurisprudence sur la photographie – de lui reconnaître cette qualité, à condition que son apport reflète une intention créative propre.

Un autre critère essentiel à la protection est l’originalité. Selon le droit suisse, celle-ci est définie objectivement : une œuvre doit se distinguer du banal et ne pas résulter d’un processus routinier. Les productions d’IA peuvent parfois répondre à ce critère, dans la mesure où elles présentent un aspect inédit et distinct. Toutefois, le droit suisse exige que cette originalité soit le fruit d’un esprit humain. L’absence de volonté créative humaine empêche donc la reconnaissance du caractère original au sens juridique strict, même si le résultat est visuellement ou littérairement remarquable.

L’auteure élargit ensuite sa réflexion à travers une analyse comparée. Aux États-Unis, le Copyright Office refuse systématiquement la protection aux œuvres générées exclusivement par IA, en se fondant sur la jurisprudence (notamment les affaires Thaler et Allen). L’utilisation de prompts ne suffit pas : il faut une intervention humaine créative substantielle. Cette approche, fondée sur l’exigence d’une origine humaine, est conservatrice.

L’Union européenne adopte une position similaire, en vertu de la directive 2001/29/CE. Un tribunal tchèque a ainsi refusé de reconnaître une image générée par DALL-E comme œuvre protégeable, au motif que ni la machine ni le prompt ne satisfaisaient aux exigences de la création de l’esprit.

En revanche, d’autres pays prennent une voie plus souple. L’Ukraine a intégré une protection sui generis pour les œuvres générées par IA. En Chine et en Corée du Sud, les juridictions ont admis la protection de contenus générés par IA, à condition que l’utilisateur ait exercé un certain contrôle ou fourni un apport créatif suffisant via les prompts.

En conclusion, l’étude souligne que le droit d’auteur suisse, dans son état actuel, n’offre pas de protection aux créations issues de l’IA autonome et reste très restrictif à l’égard des œuvres créées avec assistance de l’IA, sauf si une contribution humaine créative et significative peut être démontrée.

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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