L’action en répétition de l’indu concernant le traitement du fonctionnaire

B.________ a été engagé à partir du 9 octobre 2023 en qualité de [***] à un taux de 100 %, à titre provisoire, au service C.________. Par courrier du 19 décembre 2023, il a fait part de sa démission au 28 février 2024. Les parties se sont mises d’accord pour qu’il quitte ses fonctions au 31 janvier 2024. Par courrier du 13 février 2024 le chef du service A.________ a fait part de l’accord de son service pour cette nouvelle date, a informé le prénommé qu’il avait présenté un nombre important d’absences injustifiées qui ont engendré un solde négatif de 113,99 heures, représentant un traitement de 3’228,30 francs (13ème salaire compris), a annexé un décompte des horaires et une facture permettant à l’intéressé de restituer le traitement perçu de manière illégitime. Celui-ci ne s’est pas exécuté dans le délai échéant au 15 mars 2024.

Le 22 mars 2024, le Service A.________ adresse à la Cour de droit public une action de droit administratif contre B.________ prenant pour conclusion sa condamnation à verser à l’Etat de Neuchâtel la somme de 3’228,30 francs avec intérêts à 5 % dès le dépôt de l’action et à ce qu’il soit statué sans frais.

Il peut arriver que l’administration verse une somme dont elle n’est pas redevable. Dans ce cas, elle peut se faire restituer la somme en question, tout comme en droit privé. L’action en répétition de l’indu est en effet considérée comme une institution générale du droit. Elle existe même lorsque la législation administrative applicable ne prévoit rien à son sujet (ATF 78 I 86 ; RJN 2003, p. 235 ; Moor, Droit administratif, vol. I, ch. 2.1.3.2, p. 59 ; Grisel, Traité de droit administratif, p. 619 ; Knapp, Précis de droit administratif, n. 756, p. 166 ; Schaer, Juridiction administrative neuchâteloise, p. 213).

En l’absence de dispositions légales topiques, la jurisprudence applique mutatis mutandis les règles des articles 62 ss CO (ATF 78 I 86 ; RJN 2003, p. 235). Selon l’article 62 CO, celui qui, sans cause légitime, s’est enrichi aux dépens d’autrui, est tenu à restitution (al.1). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d’une cause qui ne s’est pas réalisée, ou d’une cause qui a cessé d’exister (al. 2). L’enrichissement sans cause entraîne en principe l’obligation de restituer l’indu (art. 63 al.1 CO).

L’institution de l’enrichissement illégitime se présente dans une configuration particulière, lorsque l’illégitimité qui est invoquée réside dans l’illégalité d’une décision, entrée en force, qui fonde l’obligation exécutée. La prestation fournie en vertu d’une décision obligatoire n’est en effet pas dépourvue de cause valable. Les vices dont cette décision peut être entachée ne s’opposent pas à ce qu’elle soit exécutée. En principe, les prestations fournies sur sa base ne sont pas sujettes à répétition ; il n’en est autrement que si la décision est nulle, annulée à la suite d’un recours, révoquée, révisée ou levée par la loi. L’administration devra ainsi révoquer préalablement la décision sur laquelle son paiement est fondé, dans le délai de prescription de l’action en répétition, et elle ne peut le faire qu’à des conditions restrictives, surtout lorsqu’il est question de révoquer des décisions de prestations assorties d’effets durables. En outre, la révocation n’a en principe pas d’effet rétroactif (RJN 2010, p. 244 et les réf. cit.).

Dans le cas particulier, l’employeur a accepté que le défendeur quitte ses fonctions au 31 janvier 2024, en spécifiant au service A.________ qu’une retenue devrait être effectuée sur son dernier salaire du fait de ses absences injustifiées. Malgré cette indication, la collectivité a versé l’entier de son salaire au défendeur pour le mois de janvier 2024 comme attesté par le décompte de salaire de janvier 2024. Toutefois, s’estimant créancier de 113,99 heures non travaillées dues à des absences non justifiées de l’employé, la collectivité a partiellement révoqué le décompte précité par un nouveau document intitulé « décompte de salaire février 2024 » aux termes duquel il a retenu que ces heures représentaient un traitement de 3’228,30 francs (13ème salaire compris). Sur cette base, et conformément aux principes qui viennent d’être rappelés ci-dessus, A.________ a sollicité la restitution du traitement perçu de manière illégitime.

La décision d’engagement provisoire du 13 octobre 2023 mentionne que la personne engagée, empêchée de remplir sa fonction pour cause de maladie ou accident reçoit son traitement à 100 % pendant 180 jours. Il en résulte qu’en l’absence de maladie ou accident, la personne absente ne peut prétendre à être rémunérée. De plus, n’ayant pas agi dans le temps imparti, le défendeur doit être considéré comme admettant les allégués de la demande, si bien que la Cour de droit public peut rendre son jugement sur la base des pièces du dossier. Il ressort de ce dernier, soit notamment du décompte d’heures du 9 février 2024 relatif aux mois d’octobre 2023 à janvier 2024, que celui-ci a été régulièrement absent durant son engagement engendrant un solde négatif de 113,99 heures au 31 janvier 2024. Son absence de réaction permet de considérer qu’il admet que ce nombre d’heures représente un total de 3’328,30 francs. Vu l’absence de justification, il doit dès lors être condamné à restituer ce montant trop perçu à tort.

Selon la doctrine et la jurisprudence, les obligations pécuniaires de droit public donnent lieu, en règle générale, au paiement d’intérêts moratoires si le débiteur est en demeure (RJN 1995, p. 269 cons. 3 et les réf. ; arrêt du TA du 22.03.2000 [TA.1999.213]). Comme en droit privé, le débiteur doit avoir été mis en demeure par interpellation, ce qui a été le cas en l’espèce par lettre du 13 février 2024, de sorte que l’intérêt moratoire réclamé par le demandeur à partir du dépôt de la demande, le 22 mars 2024, doit être admis. C’est dès lors un montant de 3’328,30 francs, plus intérêts à 5 % dès le 22 mars 2024 que le défendeur doit être condamné à payer.

(Arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal [NE] CDP.2024.90 du 11.07.2025, consid. 2)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle

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