
Le salaire à la pièce ou à la tâche se caractérise par le fait que le travailleur est rémunéré en fonction de la quantité de travail fournie, et non en rapport au temps mis à disposition de l’employeur. Il ne s’agit pas pour autant d’une situation qui pourrait se voir qualifiée de contrat d’entreprise, car le salarié reste pris dans un rapport de subordination économique et de dépendance juridique envers l’employeur, et il n’est pas tenu non plus par une obligation de moyens mais bien de résultats.
Les dispositions relatives au travail aux pièces ou à la tâche apparaissent vieillies, ou réservées à certains secteurs économiques très particuliers (certaines spécialités dans l’horlogerie par exemple, pour des raisons surtout historiques). C’est oublier que les art. 326-326a CO peuvent aussi tout à fait s’appliquer à des travaux de la nouvelle économie numérique, par exemple dans l’entraînement de l’intelligence artificielle, et qui prévoirait des rémunérations au nombre de « clics », d’évaluations, d’annotations de données, etc. (cf. A.WITZIG, « Art. 326 CO », in L. THEVENOZ/ F. WERRO (édit.), Commentaire romand : Code des obligations I, Bâle 2021, N 4.)
On a souvent soutenu, à raison, que ces tâches sont essentiellement sous-traitées dans le tiers monde, à des conditions souvent contestables. C’était vrai, et cela le demeure largement, mais les modèles d’entrainement ont aussi besoin de prestataires plus sophistiqués ou plus formés, et cela entraîne que ces tâches peuvent aussi, même si dans une moindre mesure, être pratiquées dans les pays développés concernant des questions techniques ou faisant appel à des savoirs particuliers.
Les art. 326 et 326a CO traitent donc spécifiquement des situations où le travailleur est rémunéré aux pièces ou à la tâche.
L’art. 326 CO traite d’abord de la fourniture de travail en cas de travail aux pièces ou à la tâche.
Le risque d’un tel type contrat repose précisément dans l’absence de travail confié, et donc dans l’absence de rémunération et dans l’insécurité qi en résulte pour le travailleur. A teneur de l’art. 326 al. 1 CO, lorsqu’en vertu du contrat le travailleur travaille exclusivement aux pièces ou à la tâche pour un seul employeur, celui-ci doit donc lui fournir du travail en quantité suffisante. Cela signifie que le travailleur doit se voir confier de quoi pouvoir réaliser un revenu pendant toute la durée du temps de travail contractuel.
L’employeur peut charger le travailleur d’un travail payé au temps lorsque les conditions de l’exploitation l’exigent momentanément ou qu’il se trouve, sans faute de sa part, dans l’impossibilité de fournir le travail aux pièces ou à la tâche prévue par le contrat (art. 326 al. 2 CO). Cette disposition rappelle que le salaire au temps est la norme, à laquelle il est possible de revenir nonobstant les dispositions contractuelles dans certaines hypothèses. Si le salaire payé au temps n’est pas fixé dans un accord, un contrat-type de travail ou une convention collective, l’employeur doit verser au travailleur l’équivalent du salaire moyen aux pièces ou à la tâche qu’il gagnait jusqu’alors (art. 326 al. 3 CO). Enfin, l’employeur qui ne peut pas fournir suffisamment de travail aux pièces ou à la tâche ni de travail payé au temps, n’en reste pas moins tenu, conformément aux dispositions sur la demeure, de payer le salaire qu’il devrait verser pour du travail payé au temps (art. 326 al. 4 CO).
L’art. 326 CO est applicable par analogie au travail sur appel. L’idée est la même : l’employeur ne doit pas pouvoir, unilatéralement, décider en fonction de ses seuls besoins, de la durée du travail et de la rémunération du travailleur. (ATF 125 III 65 consid. 5, p. 70)
L’art. 326a CO traite quant à lui de l’information relative au taux de rémunération.
Lorsqu’en vertu du contrat le travailleur travaille aux pièces ou à la tâche, l’employeur doit donc lui indiquer le taux du salaire avant le début de chaque travail (art. 326a al. 1 CO). Si l’employeur omet de donner ces indications, il paye le salaire selon le taux fixé pour un travail identique ou analogue (art. 326a al. 2 CO).
L’idée est d’éviter que le travailleur ne puisse estimer sa rémunération, et soit empêché de prendre les décisions de la vie quotidienne en rapport.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle