Licenciement pour un sexto, enquête interne

A.                            a) A.________, né en 1989, a été engagé par B.________ (qui fait partie de l’entreprise C.________) en qualité de « Quality Control Analyst » à 100 %, pour une durée indéterminée à compter du 1er octobre 2016. (…)

                        b) Les rapports de travail des parties étaient soumis aux règlements et directives internes de B.________, notamment les « C.________ Principles of Integrity », la « C.________-POL-2 (Protecting Our Employees) », ainsi que la « C.________-SOP-2g (Non-Discrimination and Anti-Harassment) » (admis par les parties).

                        Les « C.________ Principles of Integrity » et le règlement C.________-POL-2 (Protecting Our Employees) prévoient notamment ceci, à la rubrique « Respect for One Another/Professionnal Conduct » : « Nous agirons conformément aux normes de conduite professionnelle les plus strictes et nous nous efforcerons de traiter toutes les personnes avec lesquelles nous interagissons avec respect et dignité. Que nous interagissions face à face ou que nous communiquions par écrit ou par le biais de médias électroniques, nous le ferons d’une manière professionnelle et respectueuse. Plus précisément, l’utilisation d’un langage offensant, de mots ou d’actes intimidants ou hostiles, et d’autres comportements non professionnels similaires sont contraires à ces principes ».

                        Le règlement « C.________-SOP-2g (Non-Discrimination and Anti-Harassment) » prévoit notamment ce qui suit : « les personnes sur le lieu de travail ne doivent pas faire l’objet d’un comportement inapproprié, y compris un comportement et un langage dérangeants ou offensants, ou être exposées à un environnement de travail intimidant, hostile ou offensant résultant d’un agissement fondé sur toute caractéristique protégée par la loi ».

                        c) A.________ a été promu « Sr. Specialist, Senior Analyst » à compter du 1er avril 2019. (…)

B.                            a) A.________ a noué une relation intime avec D.________, qui était alors employée intérimaire chez B.________. La relation a débuté en fin d’année 2021 et a pris fin en février 2022.

                       b) Vers mi-janvier 2022, pendant un week-end à ski, A.________ a reçu de D.________ une photographie intime d’elle, sur son téléphone portable (c’était apparemment une photographie du haut du corps de l’intéressée, avec le torse dénudé).

                        c) Pendant ce week-end, A.________ a montré cette photographie à ses collègues de travail E.________ et F.________, à qui il a parlé de sa relation avec D.________. Les collègues présents – il y avait aussi, au moins, G.________ – ont plaisanté sur cette relation et le fait qu’il faisait du « sexting » (non contesté à ce stade).

C.                            a) Après ce week-end, des discussions ont eu lieu sur le lieu de travail des intéressés au sujet de ces échanges, discussions qui, selon A.________, auraient été « alimentées par la réputation de D.________ au sein de l’entreprise » Concrètement, A.________ a remarqué que ses collègues de travail blaguaient au sujet de « sextos » que lui et D.________ s’échangeaient.

                        b) En avril 2022, A.________, qui avait pris conscience de l’ampleur des rumeurs circulant sur le lieu de travail, a informé D.________ de celles-ci et lui a assuré avoir effacé toutes les photos d’elle et n’avoir jamais évoqué leur relation envers leurs collègues de travail.

(…)

D.                            a) En septembre 2022, une directrice de B.________ a été informée par l’une de ses subordonnées qu’une rumeur circulait dans l’entreprise, rumeur selon laquelle A.________ aurait divulgué une photographie intime de D.________ à d’autres collègues de travail.

                        b) La responsable du département concerné a informé les membres de l’équipe, le 29 septembre 2022, que B.________ était au courant que des rumeurs affectant une collaboratrice circulaient au sein de l’entreprise et qu’elles devaient immédiatement cesser ; elle a indiqué qu’une investigation permettant de clarifier les faits en lien avec ces rumeurs serait initiée et qu’elle serait confidentielle ; elle n’a pas donné d’informations supplémentaires et aucun nom n’a été divulgué.

                        c) Le même 29 septembre 2022, A.________ a été informé par son supérieur hiérarchique de l’ouverture d’une enquête interne à son encontre, en lien avec des rumeurs portant sur la divulgation de photographies intimes de D.________ à d’autres employés. Ce même jour, il a été demandé à chacun des deux intéressés de ne pas se rendre dans les locaux de l’autre, sauf nécessité du service, et de ne pas manger en même temps à la cafétéria (…)

                        e) Au terme de cette enquête, un rapport a été établi, qui retenait en particulier ceci (traduction libre) : « L’enquête confirme que D.________ a volontairement envoyé une image intime à A.________ durant une période où tous deux entretenaient une relation amoureuse consensuelle. A.________ a montré cette image intime à deux collègues de travail (durant son temps libre) alors qu’il était en week-end de ski. Quand bien même A.________ a nié avoir divulgué le cliché intime de manière intentionnelle, les éléments recueillis durant l’enquête démontrent le contraire, (….). Des rumeurs en lien avec cette photo ont circulé au sein de l’entreprise, mettant D.________ mal à l’aise. (…)  Bien que A.________ n’ait pas partagé la photo sur le lieu de travail, ses agissements ont eu des effets négatifs sur le lieu de travail en raison des rumeurs persistantes à propos des photos, qui étaient offensantes et blessantes pour D.________ ».

E.                            a) Sur la base du rapport d’enquête interne, B.________ a pris la décision de résilier le contrat de travail qui la liait à A.________ (non contesté). (…)

                        b) Le licenciement a été signifié à A.________ le 24 novembre 2022, à l’occasion d’un entretien. Il lui a été remis une lettre en anglais de résiliation du contrat avec effet au 28 février 2023, qui indiquait que les investigations récemment conduites avaient amené à la conclusion que l’employé avait violé les « C.________’s Principes of Integrity, C.________-POL 2 (clause « Respect for One Another/Profesionnal Conduct ») » et « C.________-SOPG-2g (Non-Discrimination and Anti-Harassment) » et que l’employé était libéré avec effet immédiat de son obligation de travailler.

(…)

                        d) Le même jour, l’employeur a tenu une séance avec les collaborateurs du département dans lequel A.________ travaillait, au cours de laquelle il a été annoncé que le contrat de travail de l’intéressé avait été résilié pour, en substance, violation des politiques internes de l’entreprise, soit non-respect des règles relatives à l’intégrité.

(…)

4.2.                  a) En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier ; le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO) (arrêts du TF du 23.09.2020 [4A_266/2020] cons. 3.1 et du 28.04.2017 [4A_485/2016] cons. 2.1).

                        b) La résiliation est abusive quand elle intervient pour l’un des motifs expressément énumérés à l’article 336 al. 1 CO, lesquels se rapportent aux motifs de la partie qui résilie (congé lié à la personnalité d’une partie, ou prononcé en raison de l’exercice d’un droit constitutionnel, ou seulement pour empêcher la naissance de prétentions juridiques résultant du contrat, ou du fait de prétentions qu’une partie fait valoir de bonne foi, etc.).

                        c) L’énumération de l’article 336 al. 1 CO n’est cependant pas exhaustive et un abus du droit de résiliation peut se révéler aussi dans d’autres situations qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément visées (ATF 132 III 115 cons. 2.1). Par exemple, le congé donné après l’expiration du délai de protection de l’article 336c al. 1 let. b CO (protection contre les congés en cas de maladie) est considéré comme abusif si cette incapacité trouve sa cause dans une violation de ses obligations par l’employeur. D’autres cas typiques d’abus de droit sont l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l’exercice d’un droit sans ménagement ou l’attitude contradictoire, étant cependant précisé que l’emploi, dans le texte de l’article 2 al. 2 CC relatif à l’abus de droit, du qualificatif « manifeste » démontre que l’abus de droit doit être admis restrictivement (arrêt du TF du 17.11.2022 [4A_454/2022] cons. 5.1).

                        d) Pour qu’un congé soit abusif, il doit exister un lien de causalité entre le motif répréhensible et le licenciement. En d’autres termes, il faut que le motif illicite ait joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeur de résilier le contrat. Lorsque plusieurs motifs de congé entrent en jeu et que l’un d’eux n’est pas digne de protection, il convient de déterminer si, sans le motif illicite, le contrat aurait tout de même été résilié : si tel est le cas, le congé n’est pas abusif (ATF 136 III 513 cons. 2.6 ; arrêt du TF du 04.12.2015 [4A_437/2015] cons. 2.2.3). Par ailleurs, l’abus est en principe retenu lorsque le motif invoqué n’est qu’un simple prétexte, tandis que le véritable motif n’est pas constatable (arrêt du TF du 16.06.2020 [4A_428/2019] cons. 4.1) ; le congé doit être qualifié d’abusif lorsque la partie qui résilie donne à l’appui un prétexte fallacieux (arrêt de la Cour d’appel civile du 21.04.2022 [CACIV.2022.16] cons. 4).

e) En application de l’article 8 CC, c’est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence tient toutefois compte des difficultés qu’il peut y avoir à apporter la preuve d’un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n’a pas pour résultat d’en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de « preuve par indices ». De son côté, l’employeur ne peut rester inactif ; il n’a pas d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé (arrêt du TF du 18.10.22 [4A_368/2022] cons. 3.1.2, qui se réfère à ATF 130 III 699 cons. 4.1).

4.3.                  a) Avant toute autre chose, il faut constater qu’en procédure d’appel, A.________ ne conteste pas – en réalité : plus – avoir montré à ses collègues de travail E.________ et F.________, pendant un week-end de ski et sur son téléphone portable, la photographie intime que D.________ lui avait envoyée. À juste titre, car le dossier démontre que c’est bien ce qu’il a fait, (…). Cela contredit ce que A.________ avait essayé de soutenir durant l’enquête interne, au cours de laquelle il admettait avoir reçu la photographie intime, mais disait qu’il n’avait pas partagé volontairement cette photo, tout en n’excluant pas que des collègues assis dans la voiture qui les amenait en week-end aient pu la voir.

                        b) On peut donner acte à l’appelant qu’il n’est pas établi qu’il aurait lui-même propagé, au sein de l’entreprise, l’existence d’une photographie intime de D.________ et, aussi dans les locaux de B.________, montré cette image à des collègues. Cependant, le fait est que les rumeurs à ce sujet ont circulé pendant plusieurs mois et qu’il en est l’origine, puisque c’est lui qui, précisément, a montré la photographie à deux de ses collègues au cours du week-end à ski, d’autres collègues présents au cours de ce week-end ayant aussi été mis au courant de cette photographie, mais sans l’avoir vue. L’appelant ne pouvait évidemment pas être certain qu’aucun de ces collègues n’en parlerait à d’autres collaborateurs encore, au retour au travail. C’est d’ailleurs bien ce qui s’est passé et c’est en ce sens que l’appelant peut être tenu pour responsable de la naissance des rumeurs et pris le risque de la propagation de celles-ci.

                        c) Que certains des collaborateurs de l’intimée n’aient pas été au courant des rumeurs – comme F.________ et I.________, que l’appelant cite – est sans pertinence, dans la mesure où il est établi, comme on l’a vu plus haut, que les rumeurs ont circulé dans l’entreprise, de manière persistante et pendant plusieurs mois.

                        d) Contrairement à ce qu’expose l’appelant, le Tribunal civil n’a pas retenu que les rumeurs avaient perturbé la marche des affaires de l’intimée. Cela avait été allégué par la défenderesse en première instance, mais ce n’est pas ce qui a été retenu par le premier juge, qui s’est contenté de considérer que l’appelant ne pouvait pas ignorer que le fait de montrer cette photographie à ses collègues aurait potentiellement des incidences sur son lieu de travail et, au demeurant, qu’un tel comportement portait atteinte à la personnalité de D.________ (raisonnement dont on peut au demeurant constater que l’appelant ne le critique pas spécifiquement). C’est d’ailleurs l’évidence : celui qui montre à des collègues de travail une photographie intime d’une autre collègue doit s’attendre à ce que ce fait soit discuté dans l’entreprise, ce qui entraîne forcément certaines conséquences sur l’ambiance de travail et, à l’évidence, porte atteinte à la personnalité de la personne dont la photographie intime est ainsi discutée. Que ce soit sans être sollicitée que D.________ a envoyé la photographie à l’appelant est irrelevant. À lire le recourant, celui qui envoie une photographie intime à une personne avec laquelle il a une relation serait lui-même responsable du fait que l’image est montrée par le destinataire à des tiers, puis commentée par ceux-ci. C’est évidemment absurde. Il ne tenait qu’à l’appelant de garder pour lui la photographie qui, manifestement, n’était destinée qu’à lui.

                        e) On peut donner acte à l’appelant qu’après qu’il avait fait part à D.________, en avril 2022, des rumeurs qui circulaient à son sujet, les relations entre eux sont restées courtoises. Cela n’empêche pas que D.________ était crédible quand elle disait, dans le cadre de l’enquête interne, qu’en avril 2022, A.________ lui avait fait part des rumeurs circulant dans l’entreprise et l’avait assurée qu’il avait effacé toutes les photos d’elle et n’avait pas parlé de leur histoire à des collègues de travail, qu’elle avait essayé de confronter son ex-ami au sujet de la photographie, que suite à des discussions avec des collègues, elle avait réalisé qu’il lui mentait et l’avait invité à ne plus partager sa photographie intime et à la supprimer, qu’elle l’avait recontacté en juillet 2022 pour tenter d’apaiser la situation sur le lieu de travail, qu’elle avait traversé des mois difficiles au travail en raison des discussions au sujet des rumeurs et qu’elle se sentait déprimée et mal à l’aise avec ses collègues du travail. La personne qui sait qu’une photographie intime d’elle a été montrée par son ex-ami à des collègues de travail – sans qu’elle puisse savoir exactement à qui – ne peut que ressentir un certain malaise dans son environnement professionnel. En juillet 2022, D.________ a encore essayé d’en parler avec l’appelant, comme le montrent les messages qu’elle lui a adressés à cette période, mais cela ne s’est apparemment pas fait. Qu’elle soit restée courtoise et ait même éventuellement pu, plus ou moins à la même période, souhaiter renouer des relations plus étroites avec l’appelant ne peut rien y changer.

                        f) L’appelant reproche au Tribunal civil d’avoir perdu de vue que l’enquête interne a été ouverte le lendemain de déprédations faites sur le véhicule de D.________, dont lui-même avait été accusé dans un premier temps. Il ne dit pas où il aurait allégué le fait, dont on ne trouve effectivement pas trace dans les échanges d’écritures. Quoi qu’il en soit, il a été clair, dès le début et comme on le verra encore plus loin, que l’enquête interne n’a pas porté sur cette histoire de voiture, mais bien sur le reproche fait à l’appelant d’avoir montré à des tiers la photographie intime qu’il avait reçue de son ex-amie.

                        g) On ne peut rien tirer, en faveur de l’appelant, du fait que l’enquête interne n’a été ouverte qu’en septembre 2022, alors que c’est en janvier 2022 qu’il avait montré la photographie à des tiers. L’enquête a en effet été ouverte au moment où une directrice de l’intimée a eu connaissance, par une de ses subordonnées directes, des rumeurs qui circulaient dans l’entreprise. Elle ne pouvait pas l’être avant. L’intimée a d’ailleurs reproché à des managers, qui avaient eu connaissance plus tôt des rumeurs, de ne pas en avoir fait part immédiatement par les circuits prévus chez B.________ pour des cas de ce genre. (…)

                        h) Le comportement de l’appelant a été contraire à la directive interne relative aux « C.________ Principles of Integrity » et au règlement C.________-POL-2 (« Protecting Our Employees »), plus spécifiquement à la rubrique « Respect for One Another/Professionnal Conduct » : l’appelant ne peut pas prétendre qu’en montrant à des collègues de travail une photographie intime d’une de leurs collègues, il se serait conformé à l’obligation d’agir conformément aux « normes de conduite professionnelle les plus strictes », se serait efforcé de « traiter toutes les personnes avec lesquelles [il interagissait] avec respect et dignité », que ses interactions avec les tiers auraient été faites « d’une manière professionnelle et respectueuse » et que son comportement, en général, aurait été conforme aux interdictions relatives à « l’utilisation d’un langage offensant, de mots ou d’actes intimidants ou hostiles, et d’autres comportements non professionnels similaires ». L’appelant ne peut pas soutenir sérieusement que ces directives ne couvriraient pas les interactions avec des collègues de travail dans un cadre privé, respectivement que seuls les actes survenus sur le lieu de travail ou dans des occasions strictement professionnelles seraient visés.

                        i) Même si l’on considérait que le comportement de l’appelant n’avait pas formellement violé l’une des directives internes, il faudrait retenir que le motif réel du licenciement était de toute façon que l’appelant avait montré la photographie à des collègues de travail et que cela avait causé des rumeurs au sein de l’entreprise, ce qui exclut une résiliation abusive pour des raisons liées aux motifs de celle-ci. Il n’y a en effet rien à redire, en droit du travail, au fait qu’un employeur préfère ne pas conserver dans son effectif un collaborateur qui a eu un comportement – montrer à des collègues une photographie intime qui lui a été envoyée par une collègue avec laquelle il avait une relation – qui doit être considéré comme indélicat et même clairement contraire à ce qu’on est en droit d’attendre d’une personne honnête. En d’autres termes, il faut reconnaître à l’employeur le droit de principe de licencier un employé qui ne se comporte pas selon les valeurs communément admises, envers une collègue de travail, ceci de la manière qui a été reprochée à l’appelant.

5.                            Selon l’appelant, ses droits n’ont pas été respectés dans le cadre de l’enquête interne, autre raison pour laquelle le licenciement serait abusif. (…)

5.2.                  a) La résiliation ordinaire est abusive lorsque l’employeur la motive en accusant le travailleur d’un comportement contraire à l’honneur, s’il apparaît que l’accusation est infondée et que, de plus, l’employeur l’a élevée sans s’appuyer sur un indice sérieux et sans avoir entrepris de vérifications. L’employeur doit ainsi s’efforcer de vérifier les faits dénoncés. Les démarches à accomplir par l’employeur ne sauraient néanmoins être envisagées de manière abstraite et absolue ; elles dépendent au contraire des circonstances concrètes de chaque cas. Pour pouvoir examiner si la résiliation ordinaire est abusive ou non, il faut déterminer quel est le motif de congé invoqué par la partie qui a résilié (arrêt du TF du 01.05.2024 [4A_302/2023] cons. 4.1).

                        b) Un licenciement fondé sur des accusations d’autres collaborateurs peut être jugé abusif si l’employeur, avant le licenciement, n’a pas recherché les éclaircissements nécessaires ou si ces éclaircissements ne confirment pas les accusations (arrêt du TF du 19.01.2024 [4A_368/2023] cons. 4.2).

                        c) En règle générale, les investigations raisonnables comprendront l’examen des pièces à disposition et l’audition des personnes susceptibles d’avoir une connaissance directe des faits. En outre, la personne mise en cause se verra généralement offrir la possibilité de s’expliquer, en apportant le cas échéant les éléments à disposition. Selon la doctrine, l’obligation d’entendre la personne mise en cause ne paraît cependant pas absolue, notamment s’il résulte des circonstances et des démarches raisonnablement et sérieusement accomplies par l’employeur qu’il dispose d’éléments suffisants pour considérer les faits comme établis, par exemple lorsqu’il dispose de plusieurs témoignages concordants ou de pièces, de sorte qu’une audition de l’intéressé n’apporterait vraisemblablement pas d’élément substantiel autre qu’une éventuelle contestation. On ne saurait exiger de manière générale et abstraite que l’employeur mène une enquête complète ou qu’il assure aux travailleurs des droits comparables à ceux d’une partie à une procédure civile ou pénale. Les garanties de la procédure pénale n’ont pas d’effet direct sur les enquêtes internes d’un employeur, la finalité de la procédure pénale étant fondamentalement différente dès lors qu’elle permet à l’État de prononcer des sanctions sans commune mesure avec une résiliation de contrat (Wyler/Heinzer/Witzig, Droit du travail, 5ème éd., p. 890 et les références ; voir également arrêt du TF du 19.01.2024 [4A_368/2023]).

                        d) Le Tribunal fédéral, revenant sur une ancienne jurisprudence, retient maintenant que, dans le cadre d’une enquête interne menée par un employeur, il n’est pas obligatoire que l’employeur annonce au salarié l’objet de l’entretien lors duquel il sera entendu sur les faits qui lui sont reprochés, ni que l’employeur permette au salarié de se faire accompagner par une personne de confiance, peu importe qu’une directive interne ait prévu cette possibilité, ce d’autant plus lorsque le salarié ne demande pas un nouvel entretien en présence d’une personne de confiance, ni que l’employeur indique dans le détail toutes les circonstances qui lui sont reprochées et que l’identité du dénonciateur ne doit pas être dévoilée à l’employé accusé (arrêt du 19.01.2024 précité, cons. 4.4.1 à 4.4.3).

5.3.                  a) En fait, la discussion autour de la manière dont a été effectuée l’enquête interne paraît assez vaine, dans la mesure où l’appelant ne conteste pas qu’après avoir reçu, sur son téléphone portable, une photographie intime de la part de D.________, il a montré cette photographie à deux de leurs collègues pendant un week-end à ski. Il admet en outre qu’après le week-end à ski, cet incident a fait l’objet de discussions et de rumeurs au sein de l’entreprise, ceci pendant plusieurs mois. Les faits à la base du licenciement étaient donc avérés, à l’issue de l’enquête interne, et ils n’ont pas été démentis par des éléments apparus depuis lors, bien au contraire.

                        b) Qu’au tout début de l’enquête, le 29 septembre 2022, les responsables de l’intimée n’aient pas exclu la possibilité d’une éventuelle diffusion ultérieure de la photographie par l’appelant ou d’un éventuel harcèlement par celui-ci de son ex-amie est irrelevant, dans la mesure où rien de tout cela n’a été retenu et où, en particulier, un harcèlement a été exclu suffisamment tôt (…).

                        c) Dans le cadre de l’enquête interne, l’appelant a été informé de manière suffisante sur ce qui lui était reproché, puisqu’il a pu se déterminer sur les faits qui ont finalement été retenus, respectivement qu’on ne lui a finalement reproché que des faits sur lesquels il avait pu se déterminer durant l’enquête.

                        d) Globalement, le dossier permet de retenir que l’enquête interne a été effectuée d’une manière et dans des conditions qui remplissent largement les exigences de la jurisprudence fédérale en la matière, allant même au-delà en ce qui concerne la possibilité donnée à l’appelant de s’exprimer sur les faits qui lui étaient reprochés.

                        e) Que le rapport d’enquête interne n’ait pas été mis intégralement à disposition de l’appelant ne constitue ni une preuve, ni même un indice que le licenciement serait abusif. S’il entend agir pour se faire communiquer le rapport complet, il dispose des voies que la législation générale et spécifique sur la protection des données met à sa disposition.

(Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal [NE] CACIV.2025.25 du 16.09.2025)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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