
2.3.1. Le droit au maintien du salaire selon l’art. 324a al. 1 CO présuppose que le travailleur soit empêché de travailler sans faute de sa part pour des raisons qui lui sont imputables, telles que maladie, accident, accomplissement d’obligations légales ou exercice d’une fonction publique. La liste des raisons n’est pas exhaustive. Un empêchement de travailler au sens de la disposition mentionnée peut également résulter de circonstances extérieures, par exemple un placement à des fins d’assistance (art. 426 CC) ou une détention préventive ordonnée, pour autant qu’aucune faute ne puisse être reprochée au travailleur (cf. FRANCESCO TREZZINI, Commentario pratico al contratto di lavoro, 2020, N. 10 ad art. 324a CO ; GUY LONGCHAMP, dans : Dunand/Mahon [éd.], Commentaire du contrat de travail, 2e éd. 2022, N. 17 ad art. 324a CO ; REHBINDER/STÖCKLI, dans : Commentaire bernois, 2010, N. 11 ad art. 324a CO ; STREIFF/VON KAENEL/ RUDOLPH, Contrat de travail, 3e éd. 2012, N. 19 ad art. 324a/b CO ; arrêt 4C.74/2000 du 16 août 2001, consid. 4b. Le contraire s’applique en règle générale en cas de condamnation : BGE 114 II 274 E. 5). Dans le cas présent, ce n’est pas l’atteinte à la santé résultant d’une maladie en soi qui constitue la condition préalable au droit au maintien du salaire, mais l’incapacité de travail qui en résulte ou le caractère déraisonnable de la poursuite du travail (PÄRLI/PETRIK, Travail, maladie, invalidité, 2e éd. 2024, ch. 154). Il est nécessaire qu’il existe un lien de causalité entre l’atteinte à la santé due à la maladie et l’incapacité de travail (PÄRLI/PETRIK, op. cit., ch. 154 ; REHBINDER/STÖCKLI, op. cit., n° 3 ad art. 324a CO ; THOMAS GEISER, Questions relatives à l’obligation de continuer à verser le salaire en cas de maladie, AJP 2003 p. 325 ; LONGCHAMP, op. cit., n° 9 ad art. 324a CO).
Contrairement au droit des assurances sociales, le droit du travail privé ne se fonde pas, pour évaluer la capacité de travail, sur l’aptitude à accomplir un travail raisonnable dans la profession exercée jusqu’alors. Dans le champ d’application de l’art. 324a CO, c’est avant tout le contenu de l’accord contractuel entre l’employé et l’employeur qui est déterminant (PÄRLI/PETRIK, op. cit., n° 155).
La question de savoir si un empêchement de travailler dû à une dépendance à l’alcool ou à la drogue doit être considéré comme non fautif doit être évaluée en fonction des particularités de chaque cas (PORTMANN/RUDOLPH, dans : Basler Kommentar, 7e éd. 2020, n° 23 ad art. 324a CO ; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag, 3e éd. 2014, n° 7d ad art. 324a CO). Si une personne glisse imperceptiblement, pendant une longue période, dans une dépendance de plus en plus profonde, il faut en principe partir du principe qu’il n’y a pas de faute (PORTMANN/RUDOLPH, op. cit., n° 23 ad art. 324a CO ; BRÜHWILER, op. cit., n° 7d ad art. 324a CO ; cf. également ADRIAN STAEHELIN, dans : Zürcher Kommentar, 4e éd. 2006, n° 25 ad art. 324a CO ; REHBINDER/STÖCKLI, op. cit., n° 16 ad art. 324a CO ; STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, op. cit., n° 29 ad art. 324a/b CO ; GEISER, op. cit., p. 326 ; HANS-PETER EGLI, Lohnfortzahlung und Versicherungsschutz gemäss Art. 324a OR, AJP 2000 p. 1067, qui partent généralement du principe qu’il s’agit d’une maladie). L’alcoolisme et la toxicomanie sont aujourd’hui considérés comme des maladies, les addictions primaires, c’est-à-dire celles qui ne sont pas précédées d’une maladie psychique sous-jacente, n’étant plus considérées d’emblée comme fautives (cf. ATF 145 V 215 consid. 4 ss). Dans le cas concret, il est incontestable que l’alcoolisme du défendeur est une maladie.
2.3.2. L’obligation de prestation selon l’art. 324a CO présuppose dans tous les cas un lien de causalité naturel entre le motif d’empêchement non fautif et l’absence de prestation de travail (arrêt 4A_232/2019 du 18 novembre 2019 E. 3.2.2 ; REHBINDER/ STÖCKLI, dans : Commentaire bernois, 2010, n° 3 ad art. 324a CO ; TREZZINI, op. cit., n° 2 ad art. 324a CO ; PÄRLI/PETRIK, op. cit., n° 154 ; GEISER, op. cit., p. 325). Les causes au sens du lien de causalité naturel sont toutes les circonstances sans lesquelles le résultat survenu ne peut être considéré comme survenu ou comme survenu de la même manière ou au même moment (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1, 356 consid. 3 ; 142 V 435 E. 1 ; 129 V 177 E. 3.1). Conformément à cette description, il n’est pas nécessaire, pour affirmer l’existence d’un lien de causalité naturel, que la maladie soit la cause unique ou directe de l’empêchement de travailler ; il suffit qu’elle ait, conjointement avec d’autres conditions, empêché le travailleur de fournir sa prestation, c’est-à-dire qu’elle ne puisse être dissociée de l’empêchement de travailler survenu (arrêt 4A_232/2019, op. cit., consid. 3.2.2 avec renvois ; cf. ATF 147 V 161 consid. 3.2 ; 143 III 242 consid. 3.7 ; 142 V 435 consid. 1 ; 139 V 176 consid. 8.4.1).
2.3.3. Si, dans un cas concret, plusieurs raisons empêchent l’exécution du travail, il convient d’évaluer, pour la période concernée, la raison pour laquelle le travailleur est empêché de travailler et si cette raison doit être considérée comme fautive ou non. Dans l’exemple mentionné dans le recours, où une personne ne peut se présenter au travail en raison de l’exécution d’une peine privative de liberté, elle n’a pas droit au maintien du salaire en vertu de l’art. 324a, al. 1, CO, car elle est responsable de son absence. Si le salarié tombe malade après le début de l’exécution de la peine, la maladie (non fautive) ne change rien au fait qu’il est empêché de travailler en raison de la privation de liberté (faute) et qu’il se trouve donc en situation de retard fautif. En conséquence, le droit au maintien du salaire prévu à l’art. 324a, al. 1, CO ne peut pas renaître pendant l’exécution de la peine pour cause de maladie. En revanche, un droit au maintien du salaire naîtrait a posteriori si la personne était libérée de prison alors que sa maladie persistait, car elle serait alors empêchée de travailler en raison de sa maladie.
2.3.4. Toutefois, de tels motifs superposés et indépendants les uns des autres empêchant l’exercice d’une activité professionnelle ne sont pas présents dans le cas présent. Sans l’alcoolisme avancé du défendeur, l’accident de la circulation du 26 septembre 2022, suivi du placement à des fins d’assistance et du traitement hospitalier du salarié, ne se serait pas produit. Le retrait du permis de conduire n’a rien changé à l’empêchement de travailler déjà existant en raison de la maladie et du traitement médical stationnaire. L’accident de la circulation subi, le placement à des fins d’assistance et le retrait du permis de conduire doivent tous être considérés comme différentes manifestations d’une seule et même cause, à savoir l’alcoolisme grave.
Contrairement à ce que semble supposer la recourante, le retrait du permis de conduire n’était pas en soi une raison indépendante de l’empêchement de travailler, mais simplement un maillon supplémentaire dans la chaîne causale. Le défendeur était empêché de travailler principalement en raison de sa maladie et de son hospitalisation pour traitement médical, et non pas seulement en raison du retrait de son permis de conduire. Cette situation est comparable à celle décrite dans l’ATF 133 III 185 E. 2, dans laquelle le Tribunal fédéral a estimé qu’une employée souffrant de troubles psychiques, incarcérée à la suite d’incendies criminels, avait droit à des indemnités journalières. Le Tribunal fédéral a estimé que l’incapacité de travail n’était pas due au séjour en établissement pénitentiaire, mais à la maladie psychique antérieure, qui était à l’origine des incendies criminels. Il a donc considéré que l’incapacité de travail était due à la maladie et que le séjour en établissement pénitentiaire avait la fonction d’un séjour en clinique (ATF 133 III 185 consid. 2.2.2) . Dans le cas présent, l’état de santé du salarié était également la cause initiale et principale de son incapacité de travail, et non le retrait du permis de conduire nécessaire à l’exercice de son activité (cf. arrêt 4A_232/2019, op. cit., consid. 3.2.2). Il n’est donc pas nécessaire d’examiner de manière approfondie si le retrait du permis de conduire doit être considéré en soi comme un empêchement de travailler au sens de l’art. 324a, al. 1, CO.
2.3.5. On ne peut donc reprocher à l’instance précédente d’avoir violé l’art. 324a, al. 1, CO en partant du principe que le défendeur était empêché de travailler pour cause de maladie et en confirmant, sur cette base, l’obligation de la recourante de continuer à lui verser son salaire.
(TF 4A_221/2025 du 11 septembre 2025, consid. 2.3 ; traduction libre)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM