Souveraineté sur les données: leur localisation ne suffit pas

Quelques réflexions tirées du livre blanc de nLighten, Où se trouvent vraiment vos données ?, (accessible ici : https://www.nlighten.com/fr/whitepapers/ou-se-trouvent-vraiment-vos-donnees/):

Le livre blanc explique que, dans l’économie numérique, la question déterminante n’est plus seulement « où » les données sont stockées, mais surtout « qui » peut y accéder et sous l’égide de quel droit.

Il part d’un constat opérationnel : beaucoup d’organisations ne savent pas précisément où résident leurs données, quels acteurs techniques y ont accès et quel cadre juridique s’applique en pratique.

Dans la perspective européenne présentée, l’Union redéfinit la confiance numérique autour d’un principe de contrôle effectif : les données liées à des personnes en Europe doivent rester gouvernées par des règles européennes, non seulement sur le papier mais dans la réalité technique et contractuelle. Cette orientation est rattachée au droit fondamental à la protection des données (Charte des droits fondamentaux, art. 8) et au RGPD, dont la portée territoriale peut s’étendre à des organisations situées hors UE lorsqu’elles traitent des données de personnes se trouvant dans l’UE (notamment via l’offre de biens/services ou le suivi de comportement).

Le document insiste ensuite sur une distinction souvent mal comprise mais centrale pour les décisions cloud : la résidence des données et la souveraineté des données ne sont pas la même chose.

La résidence renvoie au lieu physique où les données sont stockées ou traitées.

La souveraineté renvoie à la juridiction qui régit l’accès, les obligations et, surtout, la capacité d’une autorité étrangère à exiger un accès, même si les données sont physiquement en Europe.

Autrement dit, héberger « en UE » ne suffit pas si le fournisseur ou la chaîne de sous-traitance reste soumis à des lois étrangères susceptibles d’imposer une divulgation, ou de créer un risque d’accès incompatible avec les exigences européennes. Le message est simple : la localisation est un élément, mais le contrôle juridique et technique est l’enjeu décisif.

Dans cette logique, la publication décrit un durcissement de l’application des règles en Europe : les autorités de protection des données seraient passées d’une posture principalement pédagogique à une approche plus coercitive, centrée sur les transferts internationaux, la responsabilité du responsable de traitement et la capacité à démontrer des garanties effectives. Elle cite des exemples emblématiques de sanctions et de mesures correctrices.

Elle souligne surtout que, pour une entreprise, le risque ne se limite pas à l’amende : une injonction de cesser d’utiliser un outil ou un service peut désorganiser une activité, imposer une migration en urgence, interrompre des fonctions critiques (mesure d’audience, messagerie, relation client) et créer un choc de conformité avec des effets commerciaux et réputationnels.

Le socle juridique européen mis en avant articule plusieurs instruments qui convergent vers un message unique : les transferts et les accès transfrontaliers doivent être maîtrisés et, lorsque des lois étrangères créent un risque d’accès disproportionné, des mesures supplémentaires deviennent nécessaires. Le RGPD encadre strictement les transferts (art. 44 à 49) et prévoit des sanctions élevées. Les recommandations 01/2020 du Comité européen de la protection des données sont présentées comme une méthode pratique : évaluer la législation du pays tiers, apprécier le niveau de protection réel et, si besoin, compléter les garanties (techniques, organisationnelles, contractuelles). À ce cadre s’ajoutent, selon la publication, l’EU Data Act, le Cybersecurity Act (avec une logique de certification des services TIC et cloud), et le programme « Digital Decade » qui fixe une ambition d’infrastructure européenne « sécurisée, souveraine et durable ».

L’ensemble est décrit non comme un empilement théorique, mais comme une orientation politique et réglementaire cohérente : réduire la dépendance juridique et technique à des acteurs soumis à des juridictions non européennes.

Un point important du document est la critique du « mythe de l’hébergement européen ».

L’idée qu’un centre de données situé dans l’UE garantirait automatiquement la conformité est qualifiée de dangereuse, car elle ignore la dimension de juridiction applicable au fournisseur, à l’opérateur, aux prestataires et à la chaîne de sous-traitance.. L’argument, tel que formulé, est que la souveraineté n’est plus une conformité « de niche », mais un facteur de résilience et de compétitivité, notamment pour les usages sensibles (IA, santé, finance, industrie connectée).

Pour rendre la notion opérationnelle, la publication propose une approche « full-stack » en trois couches, qui vise à passer du droit écrit à une architecture de conformité intégrée. Première couche, l’infrastructure : centres de données situés et détenus dans l’UE, alignement sur des normes de sécurité et de conception (le document cite ISO 27001 et EN 50600), et prise en compte d’exigences de durabilité. Deuxième couche, la plateforme : services cloud/SaaS sous juridiction européenne, maîtrise des clés de chiffrement dans l’UE, gestion du cycle de vie des données, et portabilité/interopérabilité conformément à l’esprit du Data Act afin d’éviter l’enfermement chez un fournisseur. Troisième couche, la gouvernance et la preuve : analyses d’impact sur la protection des données (AIPD) menées de façon continue, analyses d’impact sur les transferts lorsque des sous-traitants hors UE interviennent, et clauses contractuelles assurant la primauté du droit européen dans toute sous-traitance. L’idée directrice est qu’une entreprise doit pouvoir démontrer, de façon vérifiable, où circulent les données, quelles mesures réduisent le risque d’accès illégal, et comment elle conserve une capacité de contrôle.

Enfin, il faut relever quand même que le document a aussi une dimension de positionnement commercial pour son auteur, mais il explique bien le faux sentiment de sécurité qui résulterait de la seule localisation des données (à supposer qu’elle fusse complètement possible).

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS en Droit et Intelligence Artificielle, CAS en Protection des données

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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