
Parmi les règles professionnelles que doit respecter l’avocat, l’art. 12 let. c LLCA prévoit qu’il doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé.
L’interdiction de plaider en cas de conflit d’intérêts est une règle cardinale de la profession d’avocat, qui découle de l’obligation d’indépendance ainsi que du devoir de diligence de l’avocat (art. 12 let. a et b LLCA). Il y a conflit d’intérêts chaque fois que quelqu’un se charge de représenter ou de défendre les intérêts d’autrui et est amené à ce titre à prendre des décisions qui sont susceptibles d’entrer en conflit avec ses intérêts propres ou avec ceux de tiers dont il assume également la représentation ou la défense.
Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique de conflit d’intérêts ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n’est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l’avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client. Le conflit d’intérêts est théorique ou abstrait si les intérêts représentés par l’avocat sont susceptibles de s’opposer un jour, mais que tel n’est pas le cas au moment où l’avocat accepte le mandat. Le conflit d’intérêts est concret lorsqu’il ne résulte pas simplement d’une réflexion théorique sur les intérêts juridiques en présence; il faut que les données du cas d’espèce fassent apparaître un risque réel de conflit. Dès que le conflit d’intérêts survient, l’avocat doit mettre fin à la représentation. Celui qui, en violation des obligations énoncées à l’art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense alors qu’il existe un tel risque de conflit doit se voir dénier par l’autorité la capacité de postuler. L’interdiction de plaider est, en effet, la conséquence logique du constat de l’existence d’un tel conflit.
Un grave conflit personnel ou une forte inimitié entre un magistrat et un avocat constitue tant un motif de récusation du magistrat qu’un motif d’incapacité de postuler de l’avocat. Dans une telle situation, le premier d’entre eux à œuvrer sur le dossier doit rester alors qu’il appartient au second de renoncer à s’en saisir.
En l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué l’existence entre Me F.________ et la Juge itinérante en charge des procédures litigieuses 10 2020 739 et 10 2022 318 d’une relation conflictuelle antérieure au début du mandat confié par le recourant audit avocat et que les circonstances entourant cette relation conflictuelle sont expressément invoquées à l’appui de la demande de récusation déposée par le recourant à l’encontre de la Juge itinérante. Il importe donc peu que d’autres motifs fondent ladite demande et que ceux-ci n’aient en définitive pas à être traités dans le cadre de la décision sur la capacité de postuler de l’avocat. Le caractère grave et important du conflit ne saurait par ailleurs être sérieusement contesté au vu notamment de sa tournure pénale. Il fonde par ailleurs sans conteste un risque réel de conflit d’intérêts. Certes, les circonstances du conflit personnel entre la Juge itinérante et Me F.________ concernent une ancienne procédure divisant d’autres parties et l’arrêt attaqué ne dit rien du sort réservé à la plainte pénale déposée à l’époque par Me F.________ à l’encontre de la magistrate en cause. Il n’empêche que la motivation du recours ne permet à l’évidence pas d’écarter que de telles divergences sont susceptibles de surgir à nouveau à l’avenir. On ne saurait dès lors reprocher aux juges cantonaux d’avoir – déjà à ce stade – admis qu’il existait un risque concret de conflit d’intérêts. Dans ces conditions, il ne reste qu’à déterminer si le mandat de l’avocat précède temporellement la saisine du juge concerné. Or, en l’occurrence, il est constant que la Juge itinérante était en charge des procédures litigieuses avant le début du mandat conféré par le recourant à son conseil aux fins de le défendre dans lesdites procédures. Dans ces conditions, en tant qu’il a retenu que l’avocat du recourant devait se dessaisir du mandat, l’arrêt querellé ne souffre d’aucune critique.
(Arrêt du Tribunal fédéral 5A_156/2023 du 26 avril 2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)