
Le droit à l’information prévu à l’art. 8a LP est justifié par l’intérêt public qu’il y a à permettre aux personnes intéressées d’être renseignées sur la solvabilité d’un partenaire contractuel potentiel.
Selon la lettre d de l’alinéa 3 de cette disposition, en vigueur depuis le 1er janvier 2019 (RO 2018 4583; FF 2015 2943 5305), les offices ne doivent pas porter à la connaissance de tiers les poursuites pour lesquelles une demande du débiteur dans ce sens est faite à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification du commandement de payer, à moins que le créancier ne prouve, dans un délai de 20 jours imparti par l’Office des poursuites, qu’une procédure d’annulation de l’opposition (art. 79 à 84 LP) a été engagée à temps; lorsque la preuve est apportée par la suite, ou lorsque la poursuite est continuée, celle-ci est à nouveau portée à la connaissance de tiers.
Dans le cadre de l’application de cette disposition, l’office des poursuites doit uniquement déterminer si le poursuivant a ou non engagé une procédure tendant à faire écarter l’opposition formée par le débiteur. Il ne saurait donc examiner lui-même si la prétention déduite en poursuite paraît ou non justifiée, ni émettre un pronostic sur l’issue des démarches judiciaires éventuellement engagées par l’une ou l’autre des parties. L’aspect justifié ou non de la poursuite, au sens de l’art. 8a al. 3 let. d LP, s’apprécie uniquement au regard de l’action ou de l’inaction du poursuivant. Il en résulte que la simple introduction par le poursuivant d’une requête de mainlevée fait obstacle à la non-divulgation de la poursuite, quand bien même cette requête serait ensuite rejetée ou déclarée irrecevable et que le poursuivant n’engagerait pas d’autre démarche.
Selon la jurisprudence, le débiteur ne peut former aucune requête tendant à la non-communication de la poursuite aux tiers selon l’art. 8a al. 3 let. d LP après l’expiration du délai annal de validité du commandement de payer prévu par l’art. 88 al. 2 LP (ATF 147 III 544 consid. 3.4-3.5). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a par ailleurs confirmé que le caractère justifié ou non de la poursuite, au sens de l’art. 8a al. 3 let. d LP, s’appréciait uniquement au regard de l’action ou de l’inaction du poursuivant. Le critère déterminant était de savoir si le créancier avait pris des mesures pour démontrer le bien-fondé de sa créance dans le délai imparti. Le dépôt d’une requête de mainlevée suffisait à démontrer le sérieux de la poursuite, cela indépendamment du fait que celle-ci ait abouti ou non.
Il est exact, sur le principe, que les poursuites dans desquelles le créancier poursuivant reste inactif ne doivent pas être portées à la connaissance des tiers. Cela ne vaut toutefois notamment que pour autant que le débiteur ait agi dans le délai d’un an de l’art. 88 al. 2 LP. Passé ce délai, une requête de non-divulgation des poursuites fondée sur l’art. 8a al. 3 let. d LP doit être rejetée conformément à la jurisprudence non équivoque rappelée ci-dessus. Il sera alors loisible au débiteur poursuivi, s’il s’y estime fondé, d’user des moyens de droit à sa disposition pour se protéger contre des poursuites injustifiées (par ex. art. 85a al. 1 LP; cf. ATF 147 III 544 consid. 3.4.6).
Il est vrai que la jurisprudence a été sévèrement critiquée en doctrine, spécialement en lien avec le délai de déchéance pour requérir la non-divulgation d’une poursuite (cf. en particulier CHRISTOF BERNAUER, in PJA 2021 p. 1534 ss, 1537 s.). Cette question du délai fait du reste l’objet d’une initiative parlementaire n° 22.400 déposée le 14 janvier 2022 par la Commission des affaires juridiques du Conseil national en réaction à l’ATF 147 III 544, motion à laquelle la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a adhéré le 22 mars 2022. La motion vise à préciser » les bases légales fondant la nouvelle possibilité de limiter la communication d’une poursuite (art. 8a, al. 3, let. d, LP) […] afin que la personne poursuivie puisse, également après l’échéance du délai d’une année, demander que l’inscription dans le registre des poursuites ne soit pas communiquée « . Il revient en l’état à la Commission des affaires juridiques du Conseil national d’élaborer un projet d’acte.
Cela étant, il n’appartient pas au Tribunal fédéral d’anticiper les modifications législatives actuellement débattues au Parlement fédéral. De lege lata, la solution adoptée par l’autorité cantonale, conforme à la jurisprudence publiée, ne souffre d’aucune critique.
En définitive, le recours est rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF). Il n’y a pas lieu d’allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
(Arrêt du Tribunal fédéral 5A_652/2023 du 24 octobre 2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)