La liberté d’expression de l’enseignante

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Invoquant la violation de sa liberté d’expression (art. 19 al. 1 et 3 Pacte ONU II [RS 0.103.2]; art. 10 CEDH; art. 16 al. 1 et 2 Cst.), la recourante fait valoir que la grande majorité des faits reprochés sont intervenus en dehors du cadre scolaire et avaient pour thème principal les mesures sanitaires, sujet de société qui s’inscrivait dans le cadre d’un débat public et démocratique au-delà des frontières régionales. Ainsi, les questions relatives à la pandémie de Covid-19 appelaient à la critique au regard des incertitudes scientifiques y relatives et la controverse autour de ces questions serait notoire, l’Office fédéral de la santé publique ayant par exemple cessé de recommander la vaccination en date du 31 mars 2023. En outre, la recourante invoque son statut d’enseignante au cycle d’orientation, qui ne constitue pas une fonction de cadre de l’administration; elle ne saurait donc être considérée comme une représentante de l’État. 

 Pour autant qu’elle soit admissible, au égard aux exigences élevées de motivation applicables aux griefs de violation des droits fondamentaux (art. 106 al. 2 LTF), l’argumentation est mal fondée. En effet, la plupart des motifs qui ont justifié la révocation vont bien au-delà de déclarations ou du positionnement de la recourante vis-à-vis du Covid-19 et des mesures sanitaires y relatives. Tel est le cas des publications en lien avec les « quenelles d’or », le port du gilet jaune orné du symbole et l’interview de F.________, des prises de position publiques remettant en cause l’intégrité de son employeur dans la présente procédure et la régularité des votations fédérales du 28 novembre 2021, ou des propos dissuasifs tenus en classe sur la vaccination contre le papillomavirus. En outre, le devoir de réserve et de fidélité des agents publics qui, sous certaines conditions (cf. art. 36 Cst., art. 10 § 2 CEDH et 19 al. 3 Pacte ONU II), peut imposer des limites à l’exercice de la liberté de parole ou d’opinion s’étend aussi au comportement en dehors du service (ATF 136 I 332 consid. 3.2; arrêt 8C_1033/2010 du 10 juin 2011 consid. 5.3.1). Enfin, la recourante ne peut rien déduire en sa faveur de son statut de « simple » enseignante car c’est précisément au regard de sa mission éducative et, comme l’ont relevé les premiers juges, de sa proximité avec des jeunes en développement et en formation, impliquant à leur égard une position d’autorité et de référence, que la gravité des faits reprochés revêt une intensité particulière. Pour le reste, la recourante ne démontre pas que les conditions de restrictions de la liberté d’expression ne seraient pas remplies en l’espèce. En tout état de cause, sous l’angle du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), une sanction autre que la révocation apparaissait superflue, dès lors que la recourante a persisté dans ses publications et déclarations incompatibles avec sa fonction après une première mise en garde.

(Arrêt du Tribunal fédéral 8C_233/2023 du 11 décembre 2023, consid. 6)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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