
Au cours de l’année 2016, B.________ SA (ci-après : la venderesse, la défenderesse ou l’intimée) et D.________ SA, tombée ultérieurement en faillite et dont la raison sociale a été radiée (ensemble : les venderesses), sont entrées en pourparlers concernant la vente d’un fonds de commerce, en l’espèce un restaurant sis… à Genève, avec la société A.________ SA (ci-après : l’acquéresse, la demanderesse ou la recourante).
En avril 2016, le Service du commerce de l’État de Genève a écrit à E.________, employée de D.________ SA et titulaire de la patente de cafetier restaurateur au sein de l’établissement, pour l’informer de l’obligation, pour les établissements publics, de se mettre en conformité avec la nouvelle loi genevoise du 19 mars 2015 sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement (LRDBHD; RSGE I 2 22), entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Cette nouvelle loi ainsi que son règlement d’application (RRDBHD; RSGE I 2 22.01) prévoyaient que les personnes titulaires d’une autorisation délivrée en vertu de l’ancienne loi devaient requérir du service une autorisation de remplacement, nécessaire pour poursuivre l’exploitation, au plus tard dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi (soit jusqu’à fin juin 2016), et que leur ancienne autorisation serait révoquée en cas d’omission d’en requérir le renouvellement, au terme des 12 mois suivants l’entrée en vigueur de la loi, soit à fin 2016.
Le 20 juin 2016, les venderesses ont conclu avec l’acquéresse une convention de cession du fonds de commerce du restaurant « D.________ » (ci-après : la convention). Cette convention a été rédigée par le conseil de l’acquéresse. Le prix de vente était de 1’950’000 fr. Le paiement se faisait par un premier acompte de 195’000 fr. versé sur un compte de consignation auprès d’un tiers-séquestre, en l’occurrence de C.________, avocat et administrateur unique de l’acquéresse jusqu’en juillet 2018. Le solde devait être versé sur le compte de consignation avant la signature du bail du local commercial par l’acquéresse. La prise de possession de l’établissement était convenue au 1er novembre 2016. L’acquéresse souhaitait transformer les locaux pour exploiter le restaurant sous une autre enseigne de restauration rapide en franchise et devait, pour ce faire, requérir une autorisation de construire.
L’art. IV ch. 5 de la convention prévoyait que dans le cas d’un ajournement pour l’obtention d’une autorisation de construire, les venderesses autorisaient l’acquéresse à exploiter le restaurant « D.________ » tel qu’il était aujourd’hui [à la date de la convention], pendant cette période d’attente.
Il était également convenu que si les venderesses ou l’acquéresse venaient à « rompre la convention », les parties étaient dans l’obligation de payer une dédite de 195’000 fr.
L’article VII ch. 1 de la convention prévoyait que l’acquéresse s’engageait au jour de la vente définitive du fonds de commerce, à respecter la législation suisse relative notamment à l’autorisation d’exploiter s’appliquant à une société commerciale.
Enfin, l’acquéresse déclarait avoir pris connaissance de tous les éléments permettant l’appréciation de la valeur du fonds de commerce et libérait les venderesses de leur obligation de garantie.
Par e-mail du 26 octobre 2016 de C.________, l’acquéresse a affirmé constater, à la lecture de l’autorisation d’exploitation reçue cinq jours plus tôt de la part des venderesses, que celles-ci ne disposaient pas d’une autorisation mise à jour en vertu de la nouvelle loi. L’acquéresse a déclaré que ce manquement constituait une violation des obligations contractuelles des venderesses, rendant impossible l’exécution de la convention. L’acquéresse a proposé à cette occasion d’amender la convention par un avenant reportant les effets de celle-ci au jour de l’obtention de l’autorisation d’exploitation conforme au nouveau droit.
Le lendemain, les venderesses ont répondu que la charge de demander une nouvelle autorisation incombait à l’acquéresse, d’après la convention, et que le droit conféré par la convention à l’acquéresse d’exploiter l’enseigne « D.________ », dans l’attente de l’autorisation de transformer les locaux, ne les obligeait pas à effectuer les démarches de renouvellement de leur patente. En outre, les venderesses avaient rendu l’acquéresse attentive à la problématique de l’autorisation d’exploitation plusieurs fois depuis le 22 juillet 2016.
Une demande complète de mise en conformité de la patente a été requise le 28 novembre 2016, mais le Service du commerce a déclaré ne pas pouvoir la traiter avant janvier 2017.
Les parties ont négocié les termes d’un report des effets du transfert, sous condition que l’acquéresse prépare un avenant formalisant celui-ci. Malgré plusieurs rappels, l’acquéresse n’a jamais préparé cet avenant.
La venderesse a continué d’exploiter le restaurant jusqu’à sa vente à un tiers le 1er septembre 2017 (art. 105 al. 2 LTF).
Les parties se sont mutuellement accusées d’inexécution du contrat et ont exigé l’une de l’autre le paiement d’une dédite de 195’000 fr. L’acquéresse a en outre exigé la libération de son acompte de 195’000 fr. (…)
Les parties sont liées par un contrat de vente d’un fonds de commerce, soit en l’occurrence d’un restaurant. La question litigieuse porte en premier lieu sur le contenu du contrat, en particulier sur l’existence d’une obligation de la partie venderesse de solliciter le renouvellement de son autorisation d’exploitation du restaurant. Subsidiairement, à défaut d’une telle obligation, le litige se porte sur l’existence d’une erreur essentielle de la partie acquéresse, qui pensait que la venderesse se chargerait de ce renouvellement d’autorisation avant le transfert de sa propriété. Dans l’affirmative, la recourante prétend alors à la restitution de son acompte de 195’000 fr. versé sur un compte de consignation, ainsi qu’au paiement par la venderesse d’une dédite de 195’000 fr. pour inexécution du contrat.
La cour cantonale a procédé à l’interprétation du contrat. Elle a appliqué la théorie de la confiance, faute d’avoir pu établir une réelle et commune intention des parties sur le point de l’obligation de renouveler la patente. La cour cantonale a interprété l’art. IV ch. 5 de la convention en tant que manifestation de volonté de l’acquéresse – puisque c’est cette dernière qui a rédigé le contrat. Cette clause a la teneur suivante : « dans le cas d’un ajournement pour l’obtention d’une autorisation de construire, les venderesses autorisaient l’acquéresse à exploiter le restaurant « D.________ » tel qu’il était à la date de la convention pendant cette période d’attente ». La cour cantonale a considéré que l’interprétation de cette clause ne permettait pas d’en déduire une obligation à charge de la venderesse, de s’assurer de la mise à jour de l’autorisation d’exploitation du restaurant avant fin juin. La cour cantonale a également interprété la clause du point de vue de l’acquéresse, mais a laissé ouverte la question de savoir si celle-ci pouvait ou non croire que les venderesses avaient une obligation de faire la demande.
Examinant ensuite les conditions de l’erreur essentielle dans laquelle l’acquéresse prétendait se trouver au moment de la signature de la convention, plus spécifiquement l’erreur de base (art. 24 al. 1 ch. 4 CO), elle a conclu que l’erreur n’était pas si importante subjectivement pour l’acquéresse, au point que, si elle avait connu la réalité, elle n’aurait pas conclu le contrat. La cour cantonale fonde cette conclusion sur le fait que l’acquéresse, dont les conseils qui ont rédigé la convention devaient connaître la problématique de l’autorisation d’exploitation, aurait prévu expressément cette obligation dans le contrat si cela lui avait été si important. A l’inverse, l’acquéresse a prévu dans le contrat une clause selon laquelle elle connaissait tous les éléments permettant l’appréciation de la valeur du fonds de commerce et qu’elle renonçait à toute garantie de la part des venderesses.
Partant, la cour cantonale a considéré que la venderesse n’avait pas failli à l’exécution du contrat, et que l’acquéresse n’était pas dans une erreur essentielle sur les obligations de la venderesse au moment de la signature.
Invoquant la violation de l’art. 18 CO, la recourante soutient que l’interprétation objective du contenu du contrat de vente du fonds de commerce aurait dû conduire la cour cantonale à retenir une obligation de la venderesse de renouveler son autorisation d’exploitation. Pour la recourante, l’article IV ch. 5 de la convention du 20 juin 2016 impliquait que la venderesse se chargerait de renouveler son autorisation d’exploitation afin de permettre à l’acquéresse d’exploiter le restaurant sous l’enseigne « D.________ ».
En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective.
Lorsque le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties – parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes – ou s’il constate qu’une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre à l’époque de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu’elle l’affirme en procédure, mais doit résulter de l’administration des preuves, il doit rechercher leur volonté objective, selon le principe de la confiance.
Il doit déterminer le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune des parties pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre, et ce en fonction de l’ensemble des circonstances, c’est-à-dire du contexte dans lequel elles ont traité (art. 1 al. 1 CO en relation avec l’art. 2 al. 1 CC). Les circonstances déterminantes à cet égard sont celles qui ont précédé ou accompagné la manifestation de volonté, mais non pas les événements postérieurs. Même si la teneur d’une clause contractuelle paraît claire à première vue, il peut résulter d’autres conditions du contrat, du but poursuivi par les parties ou d’autres circonstances que son texte ne restitue pas exactement le sens de l’accord conclu; il n’y a toutefois pas lieu de s’écarter du sens littéral du texte adopté par les intéressés lorsqu’il n’existe aucune raison sérieuse de penser qu’il ne correspond pas à leur volonté. Il sied encore d’ajouter que, d’après le principe de la confiance, la volonté interne de s’engager du déclarant n’est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l’autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s’engager. Ce principe permet ainsi d’imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime.
En l’espèce, la cour cantonale a respecté le principe de la priorité de la volonté subjective puisqu’elle n’a cherché la volonté objective qu’après avoir constaté que les parties n’étaient pas parvenues à un accord de fait.
Bien que la recourante soutienne que sa volonté de continuer l’exploitation du restaurant après le 31 décembre 2016 devait faire penser à la venderesse qu’il lui incombait de demander le renouvellement de son autorisation, il n’en demeure pas moins que l’acquéresse disposait également du temps nécessaire après la conclusion du contrat pour la demander elle-même, et qu’elle pouvait également s’enquérir de la question du maintien de la patente avant même la signature du contrat, puisque la nouvelle loi cantonale était déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2016. Enfin le texte même du contrat ne laisse aucunement transparaître que le droit d’exploiter l’enseigne « D.________ » impliquerait une obligation à la charge des venderesses, de demander le renouvellement de l’autorisation d’exploitation du restaurant.
La cour cantonale n’a pas violé le droit en tirant une telle conclusion de son interprétation objective de la clause.
À supposer que la convention de vente ne prévoie pas de clause mettant le renouvellement de l’autorisation d’exploitation à la charge de la venderesse, la recourante soutient qu’elle était alors dans l’erreur au moment de la signature de celle-ci. Elle invoque une violation des art. 23 et 24 CO par la cour cantonale, qui aurait écarté à tort l’existence d’une erreur essentielle.
Selon la recourante, son erreur consistait à croire qu’il revenait à la venderesse de renouveler son autorisation d’exploitation du restaurant pour qu’elle-même puisse l’exploiter jusqu’à la délivrance du permis de construire l’autorisant à transformer les locaux et à aménager un nouveau restaurant.
À teneur de l’art. 23 CO, le contrat n’oblige pas celle des parties qui, au moment de conclure, se trouvait dans une erreur essentielle.
Il y a erreur lorsqu’une personne, en se faisant une fausse représentation de la situation, manifeste une volonté qui ne correspond pas à celle qu’elle aurait exprimée si elle ne s’était pas trompée.
L’erreur est essentielle notamment lorsqu’elle porte sur des faits que la loyauté commerciale permettait à celui qui s’en prévaut de considérer comme des éléments nécessaires du contrat (art. 24 al. 1 ch. 4 CO).
Selon l’art. 31 al. 1 et 2 CO, la partie qui invoque son erreur doit le faire dans un délai d’une année dès la découverte du vice, à défaut de quoi le contrat est tenu pour ratifié.
En outre, lorsque la partie qui invoque son erreur opte pour l’action en garantie des défauts, elle ratifie implicitement le contrat; en effet, l’action en garantie implique un contrat existant.
La cour cantonale a considéré que les avocats de l’acquéresse, ayant rédigé le contrat après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi cantonale genevoise sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement (LRDBH), ne pouvaient pas ignorer la nécessité de requérir une nouvelle autorisation d’exploitation et qu’il incombait alors à l’acquéresse de prévoir dans la convention une réglementation sur la question du renouvellement de l’autorisation – laquelle était encore possible au moment de la signature. Au lieu de cela, l’acquéresse a prévu une clause selon laquelle elle connaissait tous les éléments permettant l’appréciation de la valeur du fonds de commerce et qu’elle renonçait à toute garantie de la part de la venderesse. La cour cantonale a considéré que les avocats de l’acquéresse auraient réglé le sort de cette question dans le contrat si cette condition avait été déterminante pour la conclusion du contrat.
Par ces motifs, la cour cantonale a considéré que l’éventuelle obligation de la venderesse d’effectuer les démarches en vue de la mise en conformité de l’ancienne autorisation n’était pas un fait essentiel au sens de l’art. 24 al. 1 ch. 4 CO pour l’acquéresse, au point que celle-ci n’aurait pas signé la convention si elle avait su qu’elle n’existait pas.
La Cour de céans peut se dispenser d’examiner les griefs à l’encontre de la motivation de la cour cantonale sur la question du caractère essentiel de l’erreur de la recourante. En effet, quoi qu’il en soit, la recourante ne s’est pas prévalue de son erreur dans le délai d’un an dès la découverte de celle-ci prescrit par l’art. 31 al. 1 CO. Ce délai, péremptoire, se relève d’office. Lorsqu’elle prétend avoir réalisé que la venderesse ne disposait plus d’autorisation d’exploitation au-delà de la fin de l’année 2016, la recourante a écrit à la venderesse par la plume de son administrateur C.________, avocat, un e-mail du 26 octobre 2016 indiquant qu’elle était disposée à signer un avenant reportant les effets du transfert. Le 20 décembre 2016, elle a déclaré se départir de la convention et réclamer, en vertu de l’art. IV de cette même convention, 195’000 fr. à titre de dédite, en plus de la restitution de son acompte de 195’000 fr. Elle ne s’est pas prévalue d’une erreur, mais d’une violation contractuelle. Ce n’est qu’à dater de l’introduction de l’instance, par requête du 17 janvier 2018, soit plus d’un an après avoir découvert que les venderesses ne disposeraient plus d’autorisation d’exploitation après la fin 2016, que la recourante a mentionné s’être trouvée dans l’erreur au moment de la signature. Partant, le délai péremptoire d’un an dès la découverte de l’erreur était écoulé.
De plus, la recourante a effectivement ratifié la convention. En effet, au lieu de se prévaloir de son erreur et de la nullité du contrat qui en serait la conséquence, elle a, au contraire, reproché à sa cocontractante une inexécution de la convention et s’est prévalue d’une indemnité en vertu de celle-ci, de 195’000 fr. en sa faveur. Ce faisant, elle a ratifié le contrat puisqu’elle a choisi la voie de l’inexécution prévue par le contrat lui-même.
En définitive, que son erreur soit essentielle au sens de l’art. 24 al. 1 ch. 4 CO ou non ne change rien, puisque la recourante n’a pas déclaré à temps invalider le contrat pour cause d’erreur et l’a ratifié.
Par conséquent, son grief fondé sur la violation de l’art. 24 CO est rejeté.
Il suit de là que la venderesse n’a pas violé le contrat dès lors que celui-ci ne l’obligeait pas à se charger de renouveler la patente du restaurant dans le cadre de la vente de celui-ci, et que l’acquéresse ne s’est pas départie du contrat, faute d’avoir invoqué une éventuelle erreur essentielle à temps. Cette dernière n’a par conséquent pas droit au remboursement de son acompte de 195’000 fr. puisqu’elle n’a pas invalidé le contrat, ni au paiement par la venderesse d’une peine conventionnelle de 195’000 fr. puisque celle-ci n’a pas violé ses obligations contractuelles.
(Arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2022 du 24 novembre 2023)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM, CAS, Genève et Onnens (VD)