
Aux termes de l’article 179quater al. 1 CP, se rend coupable de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prises de vues celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, observe avec un appareil de prise de vues ou fixe sur un porteur d’images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci.
Le caractère répréhensible de l’acte réprimé par l’article 179quater al. 1 CP consiste dans l’absence de consentement de la part des personnes qui sont, dans des faits relevant du domaine secret ou du domaine privé, observées à l’aide d’un appareil de prise de vues ou dont l’image est fixée sur un support (arrêt du TF du 16.02.2018 [6B_630/2017] cons. 1.2.1).
La réalisation de l’infraction présuppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs objectifs, soit l’existence d’un fait du domaine secret ou du domaine privé, l’observation avec un appareil de prise de vues ou la prise de vue et l’absence de consentement du destinataire.
Les termes « un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé » couvrent ce que, dans la vie d’un individu, seul un cercle restreint de personnes peut percevoir (ATF 137 I 327 cons. 6.1). Les faits qui se produisent en public et qui peuvent être vus par chacun n’appartiennent pas au domaine protégé. Par conséquent, et inversement, la sphère privée protégée inclut en principe tout ce qui survient dans des endroits ou espaces clos, protégés des regards de ceux qui se trouvent à l’extérieur ; il s’agit en particulier de ce qui se produit dans une maison, un appartement ou un jardin privé et fermé (ATF 137 I 327 précité). Pour délimiter la sphère privée au sens étroit des autres domaines, il convient d’examiner si l’on peut sans autre – c’est-à-dire sans surmonter un obstacle physique ou juridico-moral – prendre connaissance des événements concernés. La limite morale est celle qui n’est pas franchissable sans le consentement de la personne concernée d’après les mœurs et les usages généralement reconnus dans le pays (ATF 118 IV 41 cons. 4e, trad. JdT 1994 IV 79).
Par appareil de prise de vues, il faut entendre un « dispositif d’enregistrement d’images », c’est-à-dire d’un appareil destiné à la production d’images, quel que soit le nombre d’étapes intermédiaires que comporte le processus (Trechsel/Lehmkuhl [éd.] Schweizerisches Strafgesetzbuch Praxiskommentar, 4e éd., n. 6 ad art. 179quater CP). Concernant la nature de l’enregistrement effectué, il n’est pas nécessaire que ce dernier ait un contenu personnel particulier ; le seul facteur décisif est qu’il se soit déroulé dans le cadre de la protection de la vie privée (arrêt du TF du 20.03.2019 [6B_569/2018] cons. 3.4).
L’infraction concrétisée à l’article 179quater CP doit en outre revêtir un caractère intentionnel. L’auteur doit avoir eu la volonté d’observer des faits qui relèvent du domaine secret ou privé de la victime au moyen d’un appareil de prise de vues ou de les fixer sur un porteur d’images, sans que la victime ait donné son consentement. Le dol éventuel est suffisant (Dupuis/Moreillon/Piguet/Berger/Mazou/Rodigari [éd.], Petit commentaire CP, 2e éd., 2017, n. 15 ad art. 179quater CP).
Dans le cas d’espèce, on discerne sur la photographie en cause – de mauvaise qualité, du fait de son caractère particulièrement flou – le mur de soutènement d’un talus (à droite), quelque chose qui ressemble à un mur et/ou une barrière (à gauche) et, dans la partie supérieure (en partie très sombre), un enchevêtrement de végétation.
Dans la mesure où ce qui apparaît sur la photographie en question se trouve – selon les constatations des policiers ayant procédé à la vision locale – sur la parcelle de la recourante et semble, vu la configuration des lieux, protégé des regards extérieurs, en ce sens que cela n’est pas visible depuis la voie publique, on a à première vue affaire ici à « un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé », au sens de l’article 179quater al. 1 CP. Il n’est par ailleurs pas contesté que ladite photographie a été prise au moyen d’un appareil de prise de vues, d’une part, et sans le consentement de la recourante, d’autre part.
S’agissant du caractère intentionnel de l’atteinte, force est de constater que A.A.________ ne pouvait ignorer, au moment de la prise de vue litigieuse, qu’il disposait, vu la situation de sa propre parcelle, d’un accès privilégié aux faits capturés au moyen de l’appareil de prise de vues utilisé. (…) Dans ces conditions, il n’est pas d’emblée exclu qu’un juge de siège parvienne à la conclusion que le comportement de A.A.________ a réalisé les conditions objectives et subjective de l’article 179quater al. 1 CP. Cela ne signifie toutefois pas encore que l’intéressé devrait être renvoyé en accusation en raison de ce comportement, respectivement que la non-entrée en matière ne se justifierait pas à cet égard.
Selon l’article 14 CP, quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du code pénal suisse ou d’une autre loi. Un acte peut dès lors être en lui-même pénalement typique mais licite, du fait qu’il est justifié notamment par la loi ou par la sauvegarde d’un intérêt prépondérant (Moreillon/Macaluso/Queloz/Dongois [éd.], CR-CP I, 2e éd., Bâle 2021, n. 1 ad Introduction aux articles 14 à 18 CP). La licéité de l’acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu’il soit proportionné à son but (arrêt du TF du 02.05.2018 [6B_960/2017] cons. 3.2 et les réf. cit.).
La jurisprudence admet en outre l’existence de certains faits justificatifs extralégaux, soit non réglés par le Code pénal. Il s’agit notamment de la sauvegarde d’intérêts légitimes (ATF 129 IV 6 cons. 3.3). Cette constellation concerne des situations proches de l’état de nécessité et repose sur des conditions relativement analogues (Dupuis et al. [éd.], Petit commentaire CP, 2e éd., 2017, n. 36 ad art. 14). L’acte considéré doit constituer la seule issue possible, et les intérêts lésés ou mis en danger doivent manifestement revêtir une importance moindre face aux intérêts que l’auteur entend sauvegarder (ibid., n. 36 ad art. 14 et les réf. cit.). Les conditions sont considérées comme réunies lorsque l’acte illicite ne constitue pas seulement un moyen nécessaire et approprié pour la défense d’intérêts légitimes d’une importance nettement supérieure à celle de biens protégés par la disposition violée, mais que cet acte constitue encore le seul moyen possible pour cette défense. Ces conditions sont cumulatives (arrêt du TF du 03.01.2022 [6B_145/2021] cons. 4.5 et les réf. cit.).
En l’espèce, s’il peut être admis au regard de ce qui précède que A.A.________ avait bien la volonté de fixer sur un porteur d’images des faits qui relèvent du domaine secret ou privé de la recourante, il convient de replacer ces faits dans leur contexte et en rapport avec leur finalité. En effet, au regard des éléments contenus dans le dossier de la cause, et plus particulièrement de la requête déposée le 22 juin 2023 devant la Chambre de conciliation par les époux A.________ et de la réponse y relative de la recourante, il est constant que cette photographie a été faite uniquement en vue de servir de moyen de preuve à l’appui d’allégués fournis dans le cadre d’une procédure civile, devant le tribunal compétent pour en connaître (v. supra Faits, let. A). Concrètement, cette image était censée prouver la conformité à la réalité des allégués 13, 14 et 15 du mémoire de requête en conciliation (hauteur des arbres et des buis sur la parcelle de X.________ ; distance de ces arbres et buis par rapport à la limite entre les parcelles des parties ; empiètement de cotonéasters de X.________ sur le terrain des époux A.________). L’image litigieuse présente dès lors un lien et une pertinence évidents avec une procédure judiciaire (civile) et elle a été utilisée exclusivement dans ce cadre, afin de se conformer aux fardeaux d’allégation et de preuve qui pesaient sur les demandeurs (art. 8 CC). En prenant une telle photographie dans une telle perspective, A.A.________ a agi comme la loi le lui permettait, au sens de l’article 14 CP. En effet, ce que l’on voit sur la photographie ne sort pas du cadre de la démarche civile (on n’y voit notamment aucune personne et rien qui relèverait de la sphère intime d’une personne), si bien que la prise d’une telle photographie reste à l’évidence une démarche proportionnée, eu égard à son but et au fait que les personnes appelées à en prendre connaissance constituent un cercle très limité et sont de surcroît soumises au secret professionnel (art. 321 CP) ou de fonction (art. 320 CP). Autrement dit, le préjudice porté par A.A.________ au droit de la recourante à la protection de son domaine secret ou de son domaine privé n’a de fait pas excédé ce qui était raisonnable afin de tâcher d’obtenir, par la voie judiciaire, une protection de son droit de propriété. Une appréciation différente reviendrait à imposer, pour chaque litige analogue, la mise en œuvre d’une vision locale de la part de l’autorité (art. 181 CPC), ce qui serait clairement contraire aux principes de proportionnalité, de célérité et d’économie de procédure et que le législateur ne peut dès lors avoir voulu. Il s’ensuit que le Ministère public était fondé à considérer les conditions de l’article 310 al. 1 let. a CPP comme réunies et, partant, rendre une ordonnance de non-entrée en matière s’agissant de l’infraction de violation du domaine secret ou du domaine privé. Le recours est mal fondé à cet égard.
(Arrêt de l’Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal [NE] ARMP.2024.17 du 23.04.2024)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM