Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du département de communiquer à B______ [personne faisant l’objet de la dénonciation] l’identité et la dénonciation d’A______ [dénonciateur] :
La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD) [dans le canton de Genève]. Elle poursuit deux objectifs, soit favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique (let. a) ainsi que protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (let. b ; art. 1 al. 2 LIPAD).
Elle comporte deux volets. Le premier concerne l’information du public et l’accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD).
La LIPAD s’applique, sous réserve de l’art. 3 al. 3 LIPAD, non pertinent en l’espèce, et de l’art. 3 al. 5 LIPAD, aux institutions publiques visées à ‘art. 3 al. 1 LIPAD et aux entités mentionnées à l’art. 3 al. 2 LIPAD. Sont notamment concernés les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).
Selon l’art. 25 LIPAD, les documents au sens de cette loi sont tous les supports d’information détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (al. 1). Constituent notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions
(al. 2). Pour les informations qui n’existent que sous forme électronique, l’impression qui peut en être obtenue sur support papier par un traitement informatique est un document (al. 3). En revanche, les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux encore non approuvés ne constituent pas des documents (al. 4).
L’adoption de la LIPAD a renversé le principe du secret de l’administration pour faire primer celui de la publicité. Toutefois, l’application de la LIPAD n’est pas inconditionnelle. En effet, dans la mesure où elle est applicable, elle ne confère pas un droit d’accès absolu, mais prévoit des exceptions, aux fins notamment de garantir la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (ATA/427/2020 du 30 avril 2020 consid. 5 ; MGC 2000/VIII 7641 p. 7694 ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680 ss, 9697 et 9738). L’application des restrictions au droit d’accès implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680).
Les exceptions au principe de la publicité sont prévues à l’art. 26 LIPAD. Sont soustraits au droit d’accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose (art. 26 al. 1 LIPAD ; art. 7 al. 1 du règlement d’application de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 – RIPAD – A 2 08 01). Tel est notamment le cas lorsque l’accès aux documents est propre à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives (let. e), rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g) ou révéler des informations couvertes par des secrets professionnels, de fabrication ou d’affaires, le secret fiscal, le secret bancaire ou le secret statistique (let. i ; art. 26 al. 2 LIPAD). Est également soustrait au droit d’accès tout document couvert par un autre secret protégé par le droit fédéral, une loi ou un règlement (art. 7 al. 2 let. b RIPAD). Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).
L’exception au droit d’accès prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD constitue un renvoi à l’art. 39 al. 9 LIPAD (ATA/576/2017 du 23 mai 2017 consid. 5b).
La communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si une loi ou un règlement le prévoit explicitement (let. a) ou un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose (let. b ; art. 39 al. 9 LIPAD). Selon l’exposé des motifs relatif au PL 8356, la let. f coordonne quant à elle l’application de la LIPAD avec la législation (au sens large) sur la protection des données personnelles, dont l’application est d’ailleurs également réservée par l’art. 2 al. 4 LIPAD (MGC 2000 45/VIII 7697).
Par données personnelles ou données, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD).
L’art. 27 LIPAD, qui est une concrétisation du principe de la proportionnalité (MGC 2000 45/VIII 7699 ss), prévoit encore que pour autant que cela ne requière pas un travail disproportionné, un accès partiel doit être préféré à un simple refus d’accès à un document dans la mesure où seules certaines données ou parties du document considéré doivent être soustraites à communication, en vertu de l’art. 26 LIPAD (art. 27 al. 1 LIPAD). Les mentions à soustraire au droit d’accès doivent être caviardées de façon qu’elles ne puissent être reconstituées et que le contenu informationnel du document ne s’en trouve pas déformé au point d’induire en erreur sur le sens ou la portée du document (art. 27 al. 2 LIPAD). Lorsque l’obstacle à la communication d’un document a un caractère temporaire, l’accès au document doit être différé jusqu’au terme susceptible d’être précisé plutôt que simplement refusé (art. 27 al. 3 LIPAD). Le caviardage des mentions à soustraire au droit d’accès peut représenter une solution médiane qui doit l’emporter (MGC 2000 45/VIII 7699).
Le Tribunal fédéral a précisé que l’intérêt de la personne dénoncée à connaitre l’identité de ses dénonciateurs peut se voir limiter par les intérêts publics de l’État ou les intérêts légitimes du tiers dénonciateur. Toutefois, il ne peut être accepté un intérêt général pour garantir la confidentialité de tout informateur ; il convient de se déterminer par une pesée des intérêts en examinant les intérêts du dénoncé et du dénonciateur (ATF 129 I 249 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, ch. 2.2.7.6, p. 326 s.).
Dans un arrêt portant sur le droit de consulter un dossier médical, le Tribunal fédéral a considéré que les personnes qui fournissaient des informations pouvaient elles‑mêmes avoir un intérêt légitime à la conservation du secret. Ces personnes ne devaient pas nécessairement compter que les informations qu’elles livraient, le plus souvent de bonne foi, seraient portées à la connaissance du patient et pourraient leur être reprochées un jour. Ne sauraient toutefois bénéficier d’une telle protection les dénonciateurs et les motifs étrangers au but du traitement, par exemple le fait pour une personne de vouloir « se débarrasser » du patient (ATF 122 I 153 consid. 6 in RDAF 1997 p. 417).
Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a retenu que, dans l’application de ces règles, l’intérêt privé d’une personne à obtenir des données personnelles (en l’occurrence une adresse) pour faire valoir ses droits en justice constituait un intérêt privé prépondérant au sens de la loi et du règlement qui l’emportait sur la protection de la sphère privée de la personne concernée (ATA/175/2019 du 26 février 2019 consid. 4g ; ATA/819/2012 du 4 décembre 2012 consid. 4 ; ATA/373/2014 du 20 mai 2014 consid. 5).
Dans une espèce récente concernant une dénonciation au département dans le cadre d’un conflit de voisinage, au sujet de laquelle le préposé n’avait pas exclu la malveillance, la chambre de céans a fait prévaloir l’intérêt de la personne dénoncée à obtenir les données pour faire valoir ses droits en justice (ATA/457/2022 du 3 mai 2022 consid. 3).
En l’espèce, B______ a indiqué qu’elle entendait agir en justice du fait de la dénonciation qu’elle juge malveillante.
Le préposé a considéré qu’il ne faisait aucun doute au vu des pièces de la procédure que la dénonciation d’A______ était malveillante et il a recommandé la transmission de l’information et de la pièce requises.
Le département a persisté dans sa décision de transmission.
Le recourant [B., i.e. le dénonciateur qui s’oppose à la révélation de son identité] fait valoir que les procédures pénales suisse et française ne sont pas terminées. Celles-ci témoignent toutefois du conflit l’opposant à son ex-épouse, dont il reconnaît lui-même la gravité.
Le recourant soutient qu’il a agi de bonne foi en dénonçant son ex-épouse au département. Ses explications sur la manière dont il aurait pris conscience du risque ne lui sont d’aucun secours. (…) Le caractère gratuit de la dénonciation dans un contexte de litige sérieux et durable entre B______ et A______ suffit en l’espèce à établir le caractère malveillant de la démarche.
Ainsi est-ce conformément au droit que le département a fait prévaloir l’intérêt privé de B______ à connaître la dénonciation et son auteur pour pouvoir défendre ses droits en justice, sur l’intérêt privé d’A______ à demeurer anonyme et celui du département à préserver ses sources d’information.
Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.
(Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève ATA/862/2024 du 23.07.2024, consid. 2-3)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
