Par contrat de travail de durée indéterminée du 26 juillet 2013, A.________ (ci-après: la travailleuse, la demanderesse ou la recourante) a été engagée par B.________ SA (ci-après: l’employeuse ou l’intimée) en qualité de gérante de portefeuilles à compter du 1er novembre 2013 pour un salaire annuel de 140’000 fr., versé douze fois l’an.
Le contrat de travail prévoyait notamment le versement d’une prime sur » return on assets » (ci-après: la prime sur ROA), dont le montant correspondait, sous certaines conditions, à 20 % de la » rentabilité générée par la clientèle apportée par l[a travailleuse] « .
Consid. 3 :
(….), la recourante reproche à la cour cantonale d’avoir violé l’art. 18 CO en interprétant les dispositions contractuelles relatives à la prime sur ROA selon le principe de la confiance.
En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b).
Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes; übereinstimmende Willenserklärungen), qu’elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait ( tatsächlicher Konsens); si au contraire, alors qu’elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s’entendre, ce dont elles étaient d’emblée conscientes, il y a un désaccord patent ( offener Dissens) et le contrat n’est pas conclu (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1).
Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l’une ou les deux n’ont pas compris la volonté interne de l’autre, ce dont elles n’étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent ( versteckter Dissens) et le contrat est conclu dans le sens objectif que l’on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas, l’accord est de droit (ou normatif) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b; arrêt 4A_269/2022 du 5 octobre 2022 consid. 3.1.2 et les arrêts cités).
Dans un premier temps, le juge doit donc rechercher la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d’indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu’il s’agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l’époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités).
L’appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait. Si le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises ou, au contraire, qu’elles ne se sont pas comprises, il s’agit de constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu’elles ne soient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF), c’est-à-dire arbitraires au sens de l’art. 9 Cst. (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités).
[En l’espèce, la] cour cantonale a relevé que les parties s’opposaient sur la manière dont était calculée la prime sur ROA, et notamment sur la prise en compte de la part patronale des charges sociales. Elle a constaté que, durant toute la durée du contrat, les parties avaient déduit la part patronale des charges sociales pour déterminer le montant maximal du bonus de la travailleuse. Elle a estimé que la travailleuse, professionnelle de la finance, pouvait aisément identifier cela, dès lors que le montant apparaissant sous » coût salarial » était sensiblement supérieur au montant du salaire brut qu’elle percevait. Elle a jugé que cette conclusion s’imposait d’autant plus que la travailleuse contrôlait les décomptes qui lui étaient remis et avait sollicité à plusieurs reprises leur correction.
Dans la mesure où la travailleuse ne pouvait ignorer que la part patronale des charges sociales était prise en compte dans le calcul de la prime et où elle n’avait élevé aucune contestation à ce sujet avant que sa rémunération ne baissât substantiellement en 2019 en raison de la perte d’un client important, et ce alors qu’elle n’avait pas manqué de demander que d’autres corrections fussent effectuées, la cour cantonale a retenu que la » volonté commune et concordante des parties » était de tenir compte de la part patronale des charges sociales dans le calcul du montant maximal de la prime de la travailleuse. Elle a ainsi annulé le jugement de première instance, en tant qu’il condamnait l’employeuse à payer un solde de rémunération à la travailleuse à titre de » primes sur ROA « .
En substance, la recourante considère que l’intention réelle des parties et les dispositions contractuelles étaient claires, en ce sens que la part patronale des charges sociales ne devait pas être prise en compte pour limiter le montant de la prime sur ROA. Elle estime que le recours au principe de la confiance opéré par la cour cantonale n’était d’aucune utilité et contrevient donc à l’art. 18 CO. Elle soutient également que l’autorité précédente aurait dû recourir au principe » in dubio contra stipulatorem « .
Contrairement à ce qu’invoque la recourante et comme l’indique à juste titre l’intimée, la cour cantonale a constaté la réelle et commune intention des parties en se fondant sur leur comportement après qu’elles sont convenues des clauses contractuelles litigieuses. Elle n’a donc pas interprété leur volonté selon le principe de la confiance, étant rappelé que la prise en compte dudit comportement n’aurait en outre pas été permise dans le contexte d’une interprétation selon le principe de la confiance (arrêts 4A_593/2023 du 20 août 2024 consid. 3.4; 4A_227/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.3.3). Dès lors que la recourante n’invoque ni n’établit dans son recours que la cour cantonale aurait arbitrairement constaté la réelle et commune intention des parties et que le principe » in dubio contra stipulatorem » ne s’applique que subsidiairement à l’interprétation selon le principe de la confiance (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 122 III 118 consid. 2a), son grief doit être rejeté.
La recourante semble avoir tenté de pallier les manquements de sa critique dans sa réplique, en soutenant que rien ne permettait de penser, comme l’avait fait arbitrairement la cour cantonale, que l’intention des parties était de tenir compte des charges patronales dans le calcul de la prime. Toutefois, une telle argumentation est tardive, dans la mesure où elle aurait déjà pu être présentée au stade du recours (ATF 135 I 19 consid. 2.2 et les arrêts cités) et où ladite réplique a été déposée après l’expiration du délai de recours (ATF 142 I 135 consid. 1.2.1). Partant, il ne peut en être tenu compte.
(TF 4A_587/2023 du 20 août 2024, consid. 3)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
