Versement du salaire en cas de maladie: régime dérogatoire?

Lorsque le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour cause de maladie, l’employeur verse le salaire pour un temps limité dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois (art. 324a al. 1 CO). Pendant la première année de service, le salaire est payé pendant trois semaines et, ensuite, pour une période plus longue fixée équitablement en fonction de la durée des rapports de travail et des circonstances particulières (art. 324a al. 2 CO); la pratique a fixé des barèmes dans ce domaine, dont l’échelle bernoise généralement appliquée par les tribunaux dans les cantons romands. Le droit au salaire cesse à la fin des rapports de travail. Il ne peut être dérogé à ce régime légal de base en défaveur du travailleur (art. 362 al. 1 CO).

Il s’ensuit qu’un régime conventionnel peut se concevoir exclusivement de deux manières.

Dans le régime complémentaire, les parties conviennent d’améliorer la protection du travailleur sans déroger au régime légal de base, par exemple en prolongeant la période pendant laquelle le salaire reste dû (art. 324a al. 2 in principio CO) ou en assurant la couverture des empêchements de travailler survenant durant les trois premiers mois de travail, lorsque le contrat de travail a été conclu pour moins de trois mois. L’accord des parties, qui peut porter sur la conclusion d’une assurance collective perte de gain, n’est soumis à aucune forme particulière.

Dans le régime dérogatoire prévu à l’art. 324a al. 4 CO, un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut déroger au régime légal, en substituant une couverture d’assurance à l’obligation légale de payer le salaire, à condition toutefois que le travailleur bénéficie de prestations au moins équivalentes. L’idée est que la réduction des droits du travailleur pendant la période de protection légale (éventuel délai de carence, indemnité représentant moins de 100% du salaire) soit compensée par des prestations supplémentaires (versement pendant une période plus longue que celle prescrite à l’art. 324a al. 2 CO). L’équivalence est en tout cas admise lorsque l’employeur contracte une assurance perte de gain qui garantit des indemnités journalières correspondant à 80% du salaire pendant 720 ou 730 jours, après un délai d’attente de 2 à 3 jours, et dont il paie au moins la moitié des primes. Outre l’équivalence, un éventuel accord des parties doit respecter la forme écrite (cf. art. 11ss CO), laquelle couvrira les points essentiels du régime dérogatoire, à savoir les risques couverts, le pourcentage du salaire assuré, la durée des prestations, les modalités de financement des primes et, le cas échéant, le délai d’attente; un renvoi aux conditions générales d’assurance ou à un autre document tenu à disposition du travailleur est suffisant; l’accord doit être signé par les deux parties (art. 13 al. 1 CO).

Lorsque l’employeur ne satisfait pas à ses obligations contractuelles, par exemple s’il omet de conclure l’assurance avec les prestations prévues, il doit réparer le préjudice subi par le travailleur sur la base de l’art. 97 al. 1 CO, que l’inexécution soit totale ou partielle, et verser des dommages-intérêts correspondant aux prestations que le travailleur aurait reçues de l’assurance en question pour le risque considéré.

Le contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs pour le secteur du commerce de détail (CTT-CD) du 13 juin 2017 (J 1 50 17) s’applique, à teneur de son article premier, d’une part à toutes les entreprises du commerce de détail du canton de Genève, à l’exclusion notamment des commerces suivants: la réparation et la retouche d’articles d’habillement, et les services « minute », y compris d’impression sur des articles en textile, d’autre part notamment au personnel de vente fixe à plein temps (on entend par personnel de vente les employés qui exercent leur activité principale de vente ou de préparation sur la surface de vente, y compris les zones de stock).

En l’occurrence, il convient de noter d’emblée que l’intimé (= l’employé) n’a, à raison, et en dépit des versements irréguliers et peu clairs effectués par l’appelante (= l’employeuse), pas prétendu que, durant son incapacité de travail (qui a commencé le 25 juin 2022) et alors qu’il était dans sa première année de service, il n’aurait pas été rémunéré entièrement s’agissant des trois semaines prévues par l’art. 324a al. 2 CO ni s’agissant de la période où il a pu reprendre le travail à 50%. Ses prétentions ont trait à un éventuel régime dérogatoire fondé sur l’art. 324a al. 4 CO, soit en raison de l’application d’un contrat-type, soit en raison d’un supposé accord tacite en ce sens.

Il est établi que l’appelante a pour but social d’abord la cordonnerie et le pressing de chaussures, ensuite la vente de maroquinerie et d’articles de mode. L’appelante a déclaré que son activité principale consistait dans ledit pressing, ce qui couvrait la moitié de son chiffre d’affaires, puis à parts égales, dans la cordonnerie et la « customisation » incluant la vente d’articles en rapport avec le soin à la chaussure. A ce dernier propos, elle a ajouté que l’intimé n’avait vendu aucun article de ce type, précisant qu’il n’y avait pas de vente de détail opérée sur son stand existant au sein de la boutique D______, ce que ce dernier n’a pas contredit.

L’intimé, dans la présente procédure, a commencé par alléguer dans sa requête, et sans produire à ce stade son contrat de travail, qu’il était employé de cordonnerie. Dans sa réplique, il n’a pas décrit son travail. Au Tribunal, il a déclaré avoir été engagé pour gérer un stand de réparation de chaussures (et donc non de vente de chaussures), et cité les tâches qu’il avait effectuées au service de l’appelante, soit en premier lieu la proposition de services de cordonnerie, et en second lieu seulement la vente de la « gamme de chaussures », sans autre précision.

Il est par ailleurs constant que le contrat de travail conclu entre les parties porte sur une activité de « vendeur et spécialiste shoeshine ». L’intimé a déclaré que la première mention se rapportait à la vente de services (et donc non à la vente d’objets). Par ailleurs, la décision d’initiation au travail mentionne un poste de « vendeur, spécialiste shoeshine » à terme, l’activité de début étant visée sous l’appellation peu caractérisée d' »agent technico-commercial ».

Le plan de formation de ce poste, selon le témoignage E______, portait sur la gestion des points de vente, le management, la logistique et la botterie, soit des activités qui ne permettent pas de déterminer qu’elles se rapporteraient spécifiquement à du commerce de détail.

Au vu de ce qui précède, il n’est pas établi que l’activité de vente d’objets serait prééminente, ni dans le but social de l’entreprise, ni dans les résultats économiques évoqués par l’appelante; elle n’a pas non plus été démontrée dans la décision administrative ni dans les tâches effectivement réalisées par l’intimé, peu important que celles-ci aient eu lieu sur un stand, dédié et indépendant, se trouvant au sein d’un commerce de chaussures. Selon les propres déclarations de l’intimé, ce stand avait pour objet la réparation de chaussures, soit un domaine expressément soustrait du champ d’application du CTT-CD en vertu de l’art. 1 de ce texte.

Il s’ensuit que le CTT-CD de la vente de détail ne s’applique pas en l’espèce, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges. Le grief de l’appelante est ainsi fondé.

Reste à examiner la question des déductions opérées par l’appelante sur le salaire de l’intimé, apparaissant dans les fiches de salaire reçues par celui-ci pour les mois de mars à juin 2022. L’intimé y voit le reflet de l’engagement de l’appelante consistant à lui assurer les prestations d’une assurance perte de gain, tandis que l’employeur soutient que la mention considérée procéderait uniquement d’une erreur de sa part.

Le contrat de travail est muet sur la question des prestations de l’employeur en cas de maladie, de sorte qu’il n’y a pas d’accord écrit portant sur un régime dérogatoire, au sens de l’art. 324a al. 4 CO.

Aucune des parties n’a, au demeurant, formé d’allégué précis sur la circonstance de la conclusion de ce contrat, ni sur l’état des discussions précontractuelles en lien avec les prestations précitées. L’employé a allégué ne pas avoir été informé de ce que l’employeur « ne contractait pas d’assurance perte de gain [maladie] au moment de la signature du contrat », tandis que l’appelante a allégué avoir informé l’intimé « dès son engagement » de l’absence d’une telle assurance. Au Tribunal, le premier a déclaré avoir appris après octobre 2022 l’absence de cette assurance, la seconde ne pas avoir évoqué l’assurance perte de gain maladie mais précisé que l’employeur ne prenait en charge que ce qui figurait au contrat.

Aucun élément ne permet donc d’établir le contenu des échanges entre les parties au moment de la conclusion du contrat, étant relevé qu’en tout état il n’y a pas eu d’accord écrit sur le principe et encore moins sur les points essentiels d’un régime dérogatoire.

L’intimé a d’ailleurs lui-même déclaré non pas qu’il lui aurait été promis la conclusion d’une assurance perte de gain maladie, mais qu’il ne lui aurait pas été indiqué qu’il n’y aurait pas une telle assurance. Or, selon le système légal, le principe est celui d’une obligation de l’employeur portant sur le versement du salaire entier durant un temps limité en fonction de l’ancienneté, l’assurance perte de gain n’intervenant, pour autant qu’il y ait prestations au moins équivalentes à l’obligation précitée, qu’au titre de régime dérogatoire en présence soit d’un accord écrit soit d’un contrat-type ou d’une convention collective de travail.

Il est certes acquis que toutes les fiches initiales de salaire de l’intimé portent explicitement la mention d’une retenue au titre des indemnités perte de gain maladie de 0,955%, laquelle a été effectuée en tout cas en mars et avril 2022, sa trace étant moins perceptible au vu des paiements partiels opérés par l’appelante pour les mois de mai à juillet 2022, avant d’être remboursée au cours de la présente procédure. A supposer que puisse être contournée l’exigence de forme écrite, rien ne permettrait, sur la base de la mention précitée de déterminer l’équivalence des prestations par rapport au régime légal, contrairement au cas visé dans l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_517/2010 du 11 novembre 2010 cité par l’intimé (où la déduction opérée avait été mise en relation avec un projet de contrat de travail entre les parties, prévoyant les conditions d’une assurance perte de gain).

Il s’ensuit que l’intimé a été, en l’absence de régime dérogatoire, rémunéré conformément à l’art 324a al. 1 CO, si bien que sa prétention n’est pas fondée.

Au vu de ce qui précède, le jugement attaqué sera annulé.

Il sera statué à nouveau (art. 318 al. 1 let. b CPC), dans le sens que l’intimé sera débouté des fins de ses conclusions.

(CJ GE Chambre des prudhommes CAPH/81/2024 du 03.10.2024)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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