
Dans un arrêt 102 2024 21 du 12 février 2025, la IIe Cour d’appel civil du Tribunal cantonal fribourgeois a confirmé la validité du licenciement immédiat prononcé par une société à l’encontre d’un employé, en retenant l’abus de confiance commis par celui-ci comme juste motif de résiliation avec effet immédiat au sens de l’article 337 alinéa 1 du Code des obligations (CO). L’affaire concernait un agent commercial, engagé en 2017 sans contrat écrit, qui avait encaissé et conservé sans droit une somme de plus de CHF 30’000 auprès de divers clients de son employeur. Il avait reconnu les faits en fin de mois de septembre 2017 et signé, début octobre, une reconnaissance de dette, assortie d’une promesse de remboursement jamais concrétisée. L’employeur, après avoir entrepris diverses vérifications, a licencié l’employé sur-le-champ lors d’une réunion tenue le 11 octobre 2017. Ce dernier a contesté la validité du congé et a introduit une action en paiement portant notamment sur des arriérés de salaire.
La Cour a d’abord rappelé que la résiliation immédiate du contrat de travail constitue une mesure exceptionnelle, à n’admettre qu’avec retenue. Conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, seuls des faits d’une gravité particulière peuvent justifier une telle rupture. Il doit s’agir d’un manquement suffisamment grave pour entraîner la perte du rapport de confiance nécessaire à la poursuite des relations contractuelles. Lorsqu’il s’agit d’une infraction pénale, encore faut-il que l’employeur puisse prouver l’existence objective des faits reprochés : le simple soupçon, aussi sérieux soit-il, ne suffit pas. En revanche, une infraction pénale effectivement commise à l’encontre de l’employeur, notamment en lien avec l’exercice de la fonction – comme un détournement de fonds ou un abus de confiance –, constitue en principe un juste motif de licenciement immédiat. Dans le cas d’espèce, cette condition était remplie : le travailleur avait été reconnu coupable, par ordonnance pénale entrée en force, d’un abus de confiance au préjudice de son employeur. Ce comportement, consistant à s’approprier sciemment des fonds destinés à la société pour couvrir des dépenses personnelles, représentait une atteinte grave à l’obligation de fidélité ancrée à l’article 321a CO. Le lien de confiance avait ainsi été irrémédiablement rompu.
L’attention de la Cour s’est ensuite portée sur la deuxième condition d’un licenciement immédiat valable : la nécessité pour l’employeur de réagir sans délai à compter de la connaissance des faits. En effet, le congé immédiat doit être notifié dès que la partie qui entend s’en prévaloir a connaissance du juste motif, ou dans un très court délai de réflexion, généralement deux ou trois jours ouvrables. Passé ce délai, l’employeur risque d’être considéré comme ayant accepté la poursuite du contrat, ce qui ferait obstacle à la résiliation immédiate. Toutefois, ce principe doit s’appliquer de manière nuancée, notamment lorsque les faits nécessitent des clarifications ou une évaluation plus approfondie. Il est ainsi que l’employeur puisse bénéficier d’un délai un peu plus long lorsque les circonstances l’exigent, en particulier lorsqu’une enquête interne s’impose. Il convient alors de démontrer que l’employeur a agi de manière continue et diligente dans ses investigations.
En l’occurrence, l’employé avait certes reconnu les faits fin septembre 2017, mais l’étendue exacte du préjudice n’était pas connue avec certitude à ce moment-là. L’employeur ne pouvait raisonnablement se fier aux seules déclarations de l’auteur des faits. Il a alors entrepris, dans les jours qui ont suivi, des vérifications comptables, contacté les clients concernés et convoqué l’intéressé à un entretien. Ce n’est qu’après avoir réuni des éléments suffisamment clairs quant à la nature et à l’ampleur du manquement que le congé a été notifié oralement, le 11 octobre. La Cour a jugé que ce délai d’environ dix jours n’était pas excessif au regard des circonstances concrètes. Le comportement de l’employeur a été qualifié de conforme aux exigences de célérité et de diligence imposées par la jurisprudence. Il n’était pas possible, dans une affaire aussi sensible et financièrement lourde de conséquences, d’attendre de l’employeur une réaction précipitée dès les premiers aveux de l’employé, d’autant que la reconnaissance de dette, bien qu’existante, ne permettait pas encore de mesurer l’ampleur réelle du dommage.
Par conséquent, le grief de licenciement tardif a été écarté. Le travailleur, qui ne contestait pas sérieusement la matérialité des faits ni leur qualification pénale, mais se limitait à soutenir que le congé était intervenu trop tard, n’a pas convaincu la Cour. Celle-ci a confirmé la décision de première instance en ce qu’elle reconnaissait la validité du licenciement immédiat, rejetait les prétentions salariales postérieures à la date de rupture et excluait toute indemnité fondée sur une prétendue résiliation injustifiée.
En résumé, la commission d’un délit contre l’employeur – et en particulier un abus de confiance – peut constituer un fondement légitime pour une résiliation immédiate du contrat. Il n’est pas nécessaire que la condamnation pénale soit intervenue au moment du licenciement, mais les faits doivent être suffisamment établis pour justifier la perte du rapport de confiance. L’employeur doit réagir avec célérité dès qu’il a connaissance des éléments nécessaires pour apprécier la gravité de la situation. Cela ne signifie pas une obligation de précipitation : un temps raisonnable peut être pris pour éclaircir les faits, à condition que cette démarche soit menée sans retard, de manière continue, et avec un objectif clair de vérification et de protection des intérêts de l’entreprise. Enfin l’arrêt rappelle également, en toile de fond, l’importance de documenter toutes les étapes du processus menant au licenciement. Cette documentation contribue à démontrer, le cas échéant, tant la réalité du juste motif que la rapidité raisonnable de la réaction de l’employeur.
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM