
Le 1er septembre 2016, C.________ SA (aujourd’hui B.________ SA; ci-après: l’employeuse, la défenderesse ou l’intimée) a engagé A.________ (ci-après: le travailleur, le demandeur ou le recourant) en qualité de monteur pour un salaire horaire brut de 29 fr. 94, vacances, jours fériés et 13e salaire compris.
L’employeuse a résilié le contrat de travail le 21 juin 2017 pour le 31 juillet 2017.
Après une tentative de conciliation infructueuse, le travailleur a saisi, le 16 juillet 2018, le Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de la Sarine d’une demande en paiement à l’encontre de l’employeuse. Le demandeur y concluait au versement d’un montant total de 4’592 fr. 33, sous déduction des charges sociales, correspondant à des heures de déplacement et des frais de repas non payés.
Dans cette procédure, le demandeur agissait par l’intermédiaire d’un syndicat et était représenté par une secrétaire syndicale non-juriste, tandis que l’intimée était représentée par un avocat.
Par décision du 9 juillet 2020, la juridiction de première instance a rejeté la demande en paiement. Elle a estimé que le demandeur n’avait pas suffisamment allégué les faits pertinents en lien avec ses prétentions, ni ne les avaient prouvés, respectivement n’avait pas offert de moyens de preuve adéquats (complètement d’office selon l’art. 105 al. 2 LTF). Cette conclusion procédait de la considération selon laquelle la représentante du demandeur devait être assimilée à une avocate, de sorte que la maxime inquisitoire sociale se trouvait atténuée.
[Après diverses péripéties procédurales le] Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de la Sarine a rejeté […] une nouvelle fois la demande en paiement, par décision du 20 avril 2023, pour les mêmes motifs que précédemment […]. Sur recours, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a confirmé la décision du 20 avril 2023, dans un arrêt du 25 juin 2024.
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 17 juillet 2024, le demandeur a formé, le 13 septembre 2024, un recours en matière civile et un recours constitutionnel subsidiaire. [….]
1.1.1. Dans les affaires de droit du travail (art. 72 al. 1 LTF) de nature pécuniaire, le recours en matière civile n’est ouvert en principe que si la valeur litigieuse atteint au moins 15’000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), de sorte que le présent recours est irrecevable ratione valoris. Le recourant prétend toutefois que la cause soulève une question juridique de principe, qui permet de déroger à l’exigence de la valeur litigieuse minimale (art. 74 al. 2 let. a LTF). […]
1.1.3. Le recourant soutient que la question, soulevée par la présente contestation, de savoir si le tribunal doit ou non faire preuve de retenue dans l’application de la maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 2 CPC) lorsqu’une partie est représentée par un mandataire professionnellement qualifié (art. 68 al. 2 let. d CPC) constitue une question juridique de principe. [Le Tribunal fédéral considère qu’il s’agit d’une question juridique de principe] […]
3. Le recourant reproche en premier lieu à la cour cantonale d’avoir violé l’art. 247 al. 2 CPC, qui institue la maxime inquisitoire dite simple ou sociale.
3.1. Selon la jurisprudence établie, la maxime inquisitoire sociale implique que les parties doivent recueillir elles-mêmes les éléments du procès. Le tribunal ne leur vient en aide que par des questions adéquates afin que les allégations nécessaires et les moyens de preuve correspondants soient précisément énumérés, mais il ne se livre à aucune investigation de sa propre initiative. Lorsqu’une partie est représentée par un avocat, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire (…).
3.2. Se fondant sur l’arrêt 4A_145/2021 précité ainsi que sur une décision cantonale fribourgeoise invoquant cette jurisprudence fédérale dans une problématique de conversion d’un recours en appel, les juges de deuxième instance ont considéré que les exigences applicables à un mandataire professionnellement qualifié, en particulier un syndicat, étaient identiques à celles applicables à un avocat. Par conséquent, le demandeur ne pouvait, selon la cour cantonale, se prévaloir du droit à être amené à compléter ses allégations insuffisantes et à désigner des moyens de preuve.
3.3. Le recourant conteste que la maxime inquisitoire sociale ait pu être atténuée dans le cas d’espèce et fait grief aux juges cantonaux de ne pas avoir procédé à une interprétation de l’art. 247 al. 2 CPC selon les méthodes usuelles. […]
3.4.2. L’art. 247 CPC concerne, selon son intitulé, l' »[é]tablissement des faits » dans le cadre de la procédure simplifiée. Cette disposition prescrit tout d’abord que le tribunal amène les parties, par des questions appropriées, à compléter les allégations insuffisantes et à désigner les moyens de preuve (al. 1). Elle prévoit ensuite (al. 2) que le tribunal établit les faits d’office, d’une part, dans les affaires visées à l’art. 243 al. 2 CPC (let. a; soit les litiges auxquels la procédure simplifiée s’applique ratione materiae, quelle que soit la valeur litigieuse) et, d’autre part, dans les autres litiges portant sur des baux à loyer et à ferme d’habitations et de locaux commerciaux, sur des baux à ferme agricoles ou sur un contrat de travail, lorsque la valeur litigieuse ne dépasse pas 30’000 fr. (let. b).
Aux termes de l’art. 68 al. 2 CPC, sont autorisés à représenter les parties à titre professionnel, entre autres personnes, les avocats, dans toutes les procédures (let. a), ainsi que les mandataires professionnellement qualifiés, devant les juridictions spéciales en matière de contrat de bail et de contrat de travail, si le droit cantonal le prévoit (let. d). Le canton de Fribourg a fait usage de la réserve habilitante de l’art. 68 al. 2 let. d CPC (cf. art. 129 de la loi du canton de Fribourg du 31 mai 2010 sur la justice [LJ; RSF 130.1]).
Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que ni le texte ni la systématique de la loi n’expriment l’éventualité d’une atténuation de la maxime énoncée à l’art. 247 al. 2 CPC lorsqu’une ou plusieurs parties sont représentées par un représentant professionnel, en général, ou un mandataire professionnellement qualifié, en particulier. Cette méthode d’interprétation ne restitue cependant pas la volonté du législateur sur ce point, telle qu’elle découle de l’histoire de la disposition litigieuse (…).
Tout au plus, la lettre et l’économie de l’art. 68 al. 2 CPC permettent-elles de circonscrire la notion de mandataires professionnellement qualifiés ( » beruflich qualifizierte Vertreterinnen und Vertreter « ; » rappresentanti professionalmente qualificati « ) à des personnes qui tirent leur légitimité à représenter des parties en justice de leur expérience professionnelle, soit d’une certaine spécialisation dans les domaines du droit du travail ou du droit du bail (…).
3.4.3. Avant l’introduction du Code de procédure civile fédéral, le Code des obligations imposait, pour les litiges portant sur les baux d’habitations et de locaux commerciaux, respectivement pour certains litiges résultant du contrat de travail, une procédure simple et rapide, dans le cadre de laquelle le juge devait établir les faits d’office (ancien art. 274d al. 1 et 3 CO, resp. ancien art. 343 al. 2 et 4 CO).
Il ressort des travaux préparatoires à l’adoption de l’ancien art. 343 CO – règle de procédure spéciale précurseure de l’ancien art. 274d CO -, que le Conseil fédéral avait d’abord envisagé de prescrire l’exclusion des mandataires professionnels de la procédure simple et rapide. Il avait finalement laissé aux cantons le soin de régler cette question, en précisant notamment qu’il leur était loisible d’autoriser des employés des groupements professionnels à représenter leurs membres. Le Conseil fédéral relevait toutefois qu’en particulier les règles exigeant une procédure simple impliquaient que la représentation des parties par des mandataires professionnels n’occupe qu’une place restreinte (…).
Dans la décennie suivant l’entrée en vigueur de l’ancien art. 343 CO, le Tribunal fédéral a observé que le devoir du juge de rechercher d’office les preuves constituait la contrepartie de l’exclusion des mandataires professionnels des procédures en matière de conflits du travail, qui prévalait alors dans la plupart des cantons (…). Puis, au début des années 2000, la Cour de céans a formulé la jurisprudence, selon laquelle l’étendue de l’assistance accordée par le tribunal en vertu de la maxime inquisitoire sociale est subordonnée à la question de savoir si la partie considérée procède seule ou si elle est représentée par un avocat (…).
Au moment d’élaborer le CPC, le législateur fédéral a conçu la procédure simplifiée comme une procédure accessible à tout un chacun, destinée à succéder à la procédure simple et rapide (…). Suivant la jurisprudence rendue sous l’empire des anciens art. 274det 343 CO, le Conseil fédéral relevait, s’agissant de la disposition qui deviendrait l’actuel art. 247 CPC: « L’étendue du concours prêté par les autorités judiciaires dans un cas d’espèce dépend […] du statut social et du niveau de formation d’une partie, ainsi que de sa représentation éventuelle par un avocat. [O]n n'[…] a recours [à la ‘maxime inquisitoire sociale’] que dans la mesure où elle est vraiment nécessaire: surtout pour compenser un rapport de forces inégal entre les parties (p. ex. employeur contre travailleur) ou en cas de disproportion des moyens de procéder (partie inexpérimentée face à une partie représentée par un avocat). Lorsque deux parties représentées par un avocat se trouvent face à face, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue comme dans un procès ordinaire. » (…). Le projet du Conseil fédéral ne prévoyait par ailleurs pas que des mandataires professionnellement qualifiés puissent intervenir à la représentation professionnelle des parties (…).
Lors des débats parlementaires, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a proposé l’adjonction de la let. d à la disposition qui est désormais l’art. 68 CPC, en faisant valoir que « dans la logique de la possibilité pour les cantons d’avoir des tribunaux paritaires et d’avoir des juges qui sont issus des partenaires sociaux, il s’agit de conserver également la faculté, pour des mandataires professionnellement qualifiés issus des partenaires sociaux, de pouvoir représenter les parties dans ces causes-là, par respect de la nature et de l’identité de ce type de juridiction paritaire » (…). L’examen par les Chambres fédérales de la maxime inquisitoire sociale n’a pas donné lieu à un débat ou à des précisions au sujet des circonstances dans lesquelles le tribunal doit observer de la retenue dans l’application de cette règle de procédure (…).
De ces considérations historiques, il appert que le législateur a vu, dès l’origine, dans la représentation professionnelle des parties une circonstance restreignant la simplification voulue du procès civil social. À cet égard, ni le Conseil fédéral, lors de l’élaboration de l’ancien art. 343 CO, ni l’Assemblée fédérale, lors de l’adoption de l’art. 68 al. 2 let. d CPC et de l’art. 247 CPC, n’ont établi de distinction entre les avocats et les mandataires professionnellement qualifiés. L’on ne peut dès lors exclure, compte tenu de ce que le projet de Code de procédure civile unifié réservait la représentation professionnelle aux avocats, que la volonté affichée dans le Message de limiter la portée de la maxime inquisitoire sociale envers la partie représentée par un avocat s’étende aux situations dans lesquelles le justiciable est représenté par un mandataire professionnellement qualifié.
3.4.4.1. La maxime inquisitoire sociale a pour but de protéger la partie faible au contrat, de garantir l’égalité entre les parties au procès et d’accélérer la procédure, en ce qu’elle doit permettre au justiciable qui ne dispose pas de connaissances dans la conduite d’un procès d’agir seul devant les tribunaux (…).
Il en résulte a contrario que le concours exigé du tribunal par l’art. 247 al. 2 CPC n’a pas pour vocation de bénéficier à une partie qui est à même d’assurer efficacement la défense de ses intérêts. Cette maxime ne doit autrement dit pas servir à suppléer à des carences qui relèvent de la négligence procédurale (…).
C’est d’ailleurs parce que le juge peut présupposer qu’un avocat dispose des connaissances nécessaires pour conduire le procès et émettre des allégations et offres de preuve complètes que le tribunal est appelé à faire preuve de retenue dans l’application de la maxime inquisitoire sociale à l’égard d’une partie qui agit par l’entremise d’un tel représentant (…).
Une atténuation de la maxime inquisitoire sociale envers une partie représentée par un mandataire professionnellement qualifié peut donc se justifier, du point de vue téléologique, pour autant que le justiciable se trouve, par cette représentation, en mesure de faire valoir ses droits d’une manière effective. Ce n’est en effet qu’à cette condition que les manquements éventuels de cette partie en matière de procédure quittent le domaine de l’inexpérience, pour rejoindre celui de la négligence.
Il s’agit dès lors d’analyser l’aptitude des mandataires professionnellement qualifiés à dispenser des conseils et un soutien qui, en procédure simplifiée, indépendamment de l’implication renforcée du tribunal dans la formulation des allégations et la désignation des moyens de preuve, sont de nature à permettre à la partie qui les sollicite d’obtenir satisfaction. L’on doit ce faisant tenir compte de ce que la maxime inquisitoire sociale s’inscrit dans un régime procédural au formalisme moindre (cf. art. 244 à 246 CPC), en ce sens que les capacités des mandataires professionnellement qualifiés doivent être appréciées en fonction des simplifications qui président en tous les cas à la conduite de ce type de procédure.
3.4.4.2. D’une manière générale, la limitation statuée à l’art. 68 al. 2 CPC des acteurs habilités à représenter des parties à titre professionnel vise à garantir la qualité de la représentation et ainsi à protéger les justiciables (…).
Plus particulièrement, l’exception au monopole de l’avocat devant les juridictions spéciales en matière de contrat de bail et de contrat de travail a pour objectif d’offrir aux personnes en litige un accès facilité à une aide compétente, leur permettant de mener rapidement et à moindre coût une procédure, sans mettre en danger leur position juridique (…).
Ainsi, l’admission des mandataires professionnellement qualifiés à la représentation professionnelle constitue, en soi, une reconnaissance de leur aptitude à assister de manière efficace des justiciables inexpérimentés dans la poursuite de leurs intérêts subjectifs juridiquement protégés.
Or, une telle aptitude – qui ne peut qu’être renforcée lorsque les allégements formels de la procédure simplifiée s’appliquent – ressortit à la qualité même de mandataire professionnellement qualifié. S’attache en effet à cette fonction, l’exigence de disposer de solides connaissances théoriques et pratiques du domaine juridique touché et de la procédure applicable (…). Le savoir-faire attendu de cette catégorie de représentants dans leur champ d’activité spécifique est par ailleurs indépendant d’une formation juridique, si bien qu’un juriste généraliste, même titulaire du brevet d’avocat, ne peut prétendre intervenir comme mandataire professionnellement qualifié (…).
Sous ce rapport, les associations de locataires, de propriétaires immobiliers ou de gérants d’immeubles, ainsi que les syndicats et les associations patronales, en tant qu’ils disposent généralement en leur sein de collaborateurs dotés de l’expérience requise, sont réputés revêtir le statut de mandataires professionnellement qualifiés (—).
Quoi qu’il en soit, s’il s’avère in concreto que la personne intervenant à la défense des intérêts d’une partie à titre de mandataire professionnellement qualifié n’est pas en mesure de mobiliser les connaissances nécessaires à l’affaire qui lui a été confiée, le tribunal doit lui dénier la capacité de postuler (…).
3.4.4.3. Les éléments qui précèdent (…) enseignent que les mandataires professionnellement qualifiés sont, de par les conditions posées à la reconnaissance de leur statut, en mesure de faire bénéficier leurs mandants de compétences qui, compte tenu des aménagements de la procédure simplifiée, sont de nature à leur procurer gain de cause.
Partant, le juge peut raisonnablement attendre d’une partie qui procède par l’entremise d’une personne répondant à la définition de mandataire professionnellement qualifié qu’elle agisse sciemment en procédure simplifiée, ses éventuels manquements devant être appréhendés à cette aune.
Il s’ensuit qu’une atténuation de la maxime inquisitoire sociale à l’égard d’une telle partie est justifiée, sous l’angle téléologique.
3.5. L’interprétation de l’art. 247 al. 2 CPC, en relation avec l’art. 68 al. 2 let. d CPC, permet en conséquence d’établir que, dans les causes soumises à la maxime inquisitoire sociale, le tribunal peut et doit faire preuve de retenue dans son implication dans l’établissement des faits, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire, en cas de représentation par un mandataire professionnellement qualifié.
3.6.1. La portée ainsi dégagée de la maxime inquisitoire sociale est conforme à la liberté syndicale (art. 28 Cst.), dès lors qu’elle prend acte des capacités existantes des syndicats de défendre convenablement leurs membres ou des tiers, sans leur imposer, directement ou indirectement, de modifier leur action ou leur organisation. (…)
3.7. Dans le cas d’espèce, il est établi que le recourant, alors qu’il était représenté par une secrétaire syndicale, a initié la présente cause par le dépôt d’une demande présentant des carences factuelles, qu’il n’a pas rectifiées avant les délibérations de la juridiction de première instance, n’ayant pas été interpellé en ce sens par le tribunal.
Les constatations de la cour cantonale ne permettent pas d’inférer que ces carences relèveraient d’inadvertances évidentes, qui auraient dû, en toute hypothèse, susciter une interpellation de la part du tribunal de première instance. Le recourant ne le soutient d’ailleurs nullement.
Il est pareillement incontesté et n’avait déjà pas été remis en cause devant l’instance précédente que la représentante du demandeur disposait de la qualité de mandataire professionnellement qualifié. Sa capacité de postuler, que l’état de fait cantonal ne fait pas ressortir comme manifestement absente, ne peut dès lors pas être examinée par le Tribunal fédéral.
Aussi, compte tenu de la retenue qui s’imposait en l’occurrence dans la mise en pratique de la maxime inquisitoire sociale, la cour cantonale n’a nullement violé le droit fédéral en considérant que la première instance avait fait une application correcte de l’art. 247 al. 2 CPC.
Partant, ce grief du recourant doit être rejeté.
(TF 4A_482/2024 du 12 août 2025, destiné à la publication)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM