
A.________ est associé avec signature collective à deux au sein de l’entreprise C.________. Il a engagé B.________ en tant que concierge avec contrat fixe dès le 1er juillet 2019 et lui a donné accès à un véhicule. Avant de l’engager, il lui avait demandé de fournir une copie de son permis de conduire. L’employé n’a rien déclaré de spécial au sujet de ce document, contrôlé par A.________. Ce dernier n’était pas au courant qu’il pouvait y avoir une date d’échéance sur un permis de conduire et ignorait l’échéance de celui émis en Espagne de son employé. C.________ est une entreprise familiale, au sein de laquelle règne un climat de confiance. Sans être une entreprise de transport, elle possède 12 ou 13 véhicules, de type livraison ou fourgonnette; une douzaine de collaborateurs sont amenés à les conduire. La plupart des employés y travaillent depuis plus de dix ans et les véhicules leur sont confiés entre 12h et 14h, ainsi que le soir pour regagner leur domicile.
L’employé a été interpellé par la police, le 21 janvier 2021, pour n’avoir pas respecté un feu de signalisation qui était en phase rouge, alors qu’il conduisait le véhicule immatriculé GE XXX XXX, dont le détenteur est l’entreprise C.________. Les agents de police ont constaté que son permis de conduire espagnol n’était valable que jusqu’au 3 décembre 2020, et qu’il était ainsi échu.
3. Conformément à l’art. 95 al. 1er let. e LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque met un véhicule automobile à la disposition d’un conducteur dont il sait ou devrait savoir s’il avait prêté toute l’attention commandée par les circonstances qu’il n’est pas titulaire du permis requis. (…)
3.5. Concrètement, il incombe à celui qui met un véhicule à disposition de se renseigner sur la titularité et la validité du permis adéquat par le bénéficiaire. Lorsque la première personne ne connaît pas la seconde, il s’impose, en règle générale, d’exiger la présentation physique du document (…). Les circonstances déterminant l’étendue du devoir de contrôle qui pèse sur la personne qui met le véhicule à disposition incluent en particulier les relations de confiance préexistantes. L’étendue du devoir de contrôle n’est ainsi pas identique lorsque l’auteur met des véhicules à disposition d’inconnus à titre professionnel (location ou car sharing, p. ex.), entre proches et familiers ou encore dans le contexte professionnel, lorsque la disposition d’un véhicule est laissée à un employé (….). De manière générale, plus les rapports de confiance sont étroits, plus l’exigence de contrôle pourra être atténuée (voire supprimée), une certaine retenue étant toutefois de mise dans la prise en considération des mœurs et des usages dès lors que le contrôle tend à assurer la sécurité du trafic (….). S’il incombe, par exemple, à la personne responsable au sein d’une entreprise (directeur, chef du personnel, responsable d’un secteur ou d’un groupe) d’inviter un employé lors de son engagement à produire son permis de conduire s’il doit être appelé à conduire un véhicule, une simple assurance orale peut suffire par la suite lorsque le responsable connaît son employé et tant qu’aucune circonstance ne suggère que la situation aurait pu changer (….). Un tel contrôle ne peut, en revanche, être raisonnablement exigé à chaque reprise du travail d’un chauffeur professionnel et moins encore dans une grande entreprise (….). Dans de telles configurations, l’employeur doit pouvoir compter sur le fait que son employé l’informera du changement survenu.
3.6. En l’espèce, la cour cantonale a considéré que, dans le cadre d’une relation professionnelle, il incombait à l’employeur de s’assurer que son employé était bien titulaire d’un permis de conduire valable aussi longtemps qu’un véhicule de l’entreprise était à sa disposition, puis que, dans un contexte professionnel, dans le cadre duquel l’employeur confiait régulièrement des véhicules à son employé, la vérification de la durée de validité du permis de conduire devait être la règle (arrêt entrepris consid. 2.6.2 p. 6 s.).
3.7. Cette approche apparaît d’emblée insuffisamment nuancée dans sa formulation, en particulier faute de s’appuyer sur les circonstances concrètes. Elle n’en est pas pour autant critiquable dans son résultat.
3.7.1. Il ressort de la décision querellée, en fait, que l’affaire dans laquelle le recourant est associé est une entreprise familiale et qu’il y règne un climat de confiance. La plupart de la douzaine d’employés qu’elle compte y travaillent depuis plus de 10 ans et les 12 ou 13 fourgonnettes de service leur sont confiées entre 12h et 14h, ainsi que le soir pour regagner leur domicile. Il n’est ainsi pas raisonnablement exigible de contrôler tous les matins que chaque employé dispose encore d’un permis de conduire valable. En elles-mêmes, de telles circonstances excluent que l’on puisse exiger un contrôle quotidien de la validité des permis de conduire des employés à la disposition desquels un véhicule est laissé. Et c’est donc à ces derniers qu’il incombe d’informer leur employeur tant qu’aucune circonstance n’est de nature à instiller un doute dans l’esprit de ce dernier quant à l’éventualité que les circonstances auraient changé.
3.7.2. Toutefois, les choses se présentent sous un jour différent lorsque, comme en l’espèce, le permis de conduire présenté à l’embauche (ou présenté au moment où le véhicule est confié pour la première fois) indique une date de caducité. Dans une telle configuration, l’employeur à qui le document est présenté est informé d’emblée du fait que la situation ne sera pas pérenne. On peut attendre de lui qu’il prenne les mesures adéquates afin de contrôler que son employé a obtenu le renouvellement du permis de conduire à l’échéance et, si tel n’est pas le cas, qu’il renonce à laisser un véhicule à sa disposition.
Étant souligné qu’il s’agit d’examiner le reproche adressé au recourant d’avoir porté une attention insuffisante au permis de conduire de son employé qu’il lui incombait de contrôler (v. supra consid. 2.5.3) soit de s’être fié à un contrôle insuffisant du document (v. infra consid. 4.2), il n’importe pas de déterminer de manière exacte en quoi son attention a été insuffisante. On peut néanmoins souligner que le recourant ne soutient pas qu’il n’aurait pas été en mesure de comprendre les énoncés figurant sur le permis de conduire espagnol, en particulier pour des raisons liées à la langue dans laquelle ce document a été émis. Il affirme tout au plus qu’il ne s’attendait pas à ce qu’un permis présente une date d’expiration, dès lors que les permis de conduire suisses n’en ont, en règle générale, pas. Il suffit de relever (puisqu’il n’est pas établi que la langue aurait pu être une barrière), que cette indication, qui suggérait que le permis perdrait sa validité, devait précisément inciter le recourant à se renseigner sur les conséquences d’une telle perte de validité. Du reste, comme l’a relevé la cour cantonale, la notion d’échéance du permis de conduire n’est pas totalement étrangère au droit suisse (v. à propos du permis de conduire à l’essai échu supra consid. 3.2; v. aussi, à propos des limitations relevant de la médecine du trafic: art. 27 OAC et quant à l’obligation pour l’étranger habitant en Suisse d’obtenir un permis de conduire suisse: art. 42 al. 3bis OAC). Faute d’avoir pris en compte les indications figurant sur le document qui lui était soumis (qu’il ne pouvait méconnaître s’il avait fait preuve de l’attention requise par les circonstances), respectivement faute d’avoir entrepris la moindre démarche pour en élucider la portée, dès lors qu’il est légitime d’exiger de l’auteur qu’il se renseigne préalablement auprès de l’autorité compétente en cas de doute (….), le recourant ne peut échapper au reproche d’avoir agi par négligence (art. 12 al. 3 et 13 al. 2 CP en corrélation avec l’art. 100 al. 1 LCR), sans qu’il soit nécessaire d’établir définitivement si le recourant n’a pas vu la date d’échéance figurant sur le document, s’il n’a pas compris la portée de cette indication ou, si, ayant éprouvé un doute, il n’a pas cherché à obtenir les informations nécessaires, toutes ces hypothèses permettant de qualifier comme insuffisant le contrôle effectué.
(TF 6B_819/2023 du 5 septembre 2025, consid. 3.5-3-7)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM