Contrat de travail ou mandat? Critères pertinents pour la qualification du contrat

La qualification juridique d’un contrat se base sur le contenu de celui-ci.

Dans une première étape, il s’agit de déterminer le contenu du contrat en recherchant la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective, art. 18 al. 1 CO). Si une telle intention ne peut être constatée, le contenu du contrat doit être interprété selon le principe de la confiance, en recherchant le sens que les parties pouvaient et devaient donner, selon les règles de la bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques en fonction de l’ensemble des circonstances (interprétation normative ou objective).

Une fois le contenu du contrat déterminé, il s’agit, dans une seconde étape et sur cette base, de catégoriser juridiquement la convention

Par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération.

 Le critère décisif, qui permet de distinguer le contrat de travail en particulier des autres contrats de service, notamment du contrat de mandat, est de savoir si la personne concernée se trouvait dans une relation de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle temporel, spatial et hiérarchique, même si tous ces aspects ne sont pas toujours tous réunis au même degré. Pour mesurer leur rôle, on se fonde sur l’image globaleque présente l’intégration de l’intéressé dans l’entreprise. 

Ce lien de subordination est concrétisé par le droit de l’employeur d’établir des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation; il peut également donner des instructions particulières (art. 321d al. 1 CO) qui influent sur l’objet et l’organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l’employeur.

A l’opposé, le mandataire, qui doit suivre les instructions de son mandant, peut s’organiser librement et décider lui-même de son horaire et de son lieu de travail; il agit sous sa seule responsabilité. Le critère de distinction essentiel réside dans l’indépendance du mandataire par rapport à son mandant. Tant que ce dernier, par le biais de ses directives, informe le mandataire de la manière générale dont il doit exécuter sa tâche, les règles du mandat sont applicables. Dès que ces directives vont plus loin, qu’elles influent sur l’objet et l’organisation du travail et qu’elles instaurent un droit de contrôle de celui qui donne les instructions, il s’agit d’un contrat de travail.

 Le rapport de subordination caractéristique du contrat de travail place également, dans une certaine mesure, le travailleur dans une dépendance économique. Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d’autres sources de revenu sont exclues et qu’il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu. En définitive, il s’agit de savoir si, en se liant par contrat, l’employé a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail, car il ne peut plus participer au résultat économique de sa force de travail ainsi investie, au-delà de la rémunération qu’il reçoit à titre de contre-prestation. Un indice important d’une semblable dépendance existe lorsqu’une personne est active seulement pour un employeur. Cet indice est renforcé par un devoir contractuel d’éviter toute activité économique semblable.  Cela étant, la portée de ce critère doit être relativisée sur deux plans. D’un côté, cette dépendance économique peut également exister dans d’autres contrats. De l’autre, dans le contrat de travail, une dépendance économique réelle n’est pas toujours présente. Ainsi, il peut aussi y avoir contrat de travail lorsque l’employé n’est pas dépendant financièrement de son salaire, en raison de sa fortune ou de sa situation familiale. S’agissant de personnes employées à temps partiel, il n’y a pas non plus de dépendance économique lorsque la force de travail restante investie ailleurs suffit à financer le quotidien.

 Des critères formels tels que les déductions aux assurances sociales ainsi que le traitement fiscal de l’activité en cause revêtent une importance secondaire. 

 En somme, il faut prioritairement tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l’organisation du travail et du temps, l’existence ou non d’une obligation de rendre compte de l’activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l’identification de la partie qui supporte le risque économique. Constituent des éléments typiques du contrat de travail le remboursement des frais encourus par le travailleur, le fait que l’employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré. Ces critères ne sont toutefois pas exhaustifs. Et en tout état de cause, les circonstances concrètes doivent être appréciées dans leur tableau d’ensemble

 Il est admis que le travailleur soit rémunéré exclusivement à la commission, pour autant que cette rémunération soit convenable (art. 349a al. 2 CO, applicable par analogie au contrat de travail). Le principe selon lequel l’employeur supporte le risque de l’entreprise n’est ainsi pas dépourvu de nuances.

[Cas d’une hygiéniste dentaire]

(TF 4A_117/2024 du 21 août 2024, c. 4)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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About Me Philippe Ehrenström

Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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