A______ SA est une société de droit suisse dont le siège est à Genève et dont le but est notamment l’exploitation d’établissements publics.
A______ SA exploite notamment un restaurant au no. ______, rue 1______ à Genève, géré par C______ et D______.
B______ a été engagé par A______ SA à partir du 24 juin 2022 en qualité d’aide-cuisinier. Les parties ont signé successivement deux contrats, le premier le 24 juin 2022 de durée déterminée et le second le 16 août 2022 de durée indéterminée.
En dernier lieu, le salaire mensuel brut de l’employé s’élevait à 4’235 fr. 14, treizième salaire en sus.
Par courrier du 25 octobre 2022, A______ SA a adressé à B______ un premier avertissement. Il était reproché à l’employé d’avoir utilisé « des paroles déplacées » à l’égard de l’employeur.
Selon la mention figurant au bas de ce courrier, il aurait été remis en mains propres à l’employé le 25 octobre 2022. B______ a contesté avoir reçu ledit courrier et a affirmé, devant le Tribunal, n’en avoir entendu parler que postérieurement à son licenciement.
Par courrier du 2 février 2023, A______ SA a résilié avec effet immédiat le contrat de travail de B______.
Il était reproché à ce dernier « une altercation verbale à l’encontre de D______ », ainsi que le non-respect des directives, malgré un avertissement.
B______ a été en incapacité de travail totale du 2 février au 25 mai 2023, selon les certificats médicaux versés à la procédure.
Dans le jugement attaqué, le Tribunal a retenu que, selon le courrier de licenciement, l’employé avait été licencié pour deux motifs : l’altercation verbale avec D______ et le non-respect des directives, malgré un avertissement. Les vidéos produites par l’employeuse ne comportant pas de son, il était difficile de saisir l’intensité de l’altercation et leur visionnage n’avait pas permis de considérer que l’employé s’était montré menaçant à l’égard de D______. La vidéo n. 1, qui montrait la cuisine entre 12h23 et 12h25, permettait d’apercevoir l’employé s’adresser à D______ en le pointant du doigt, puis s’approcher de lui sans couteau, E______ s’étant interposée entre les deux hommes. La vidéo n. 2 montrait la salle du restaurant entre 14h57 et 15h17 : on y voyait l’employé quitter l’établissement après avoir lu son courrier de licenciement. Selon la seule témoin ayant assisté à l’altercation, D______ et B______ en étaient presque arrivés aux mains, sans toutefois passer à l’acte. En ce qui concernait le second motif du licenciement avec effet immédiat, soit le fait que l’employé n’aurait pas respecté les directives de l’employeuse malgré un avertissement, il n’était pas suffisant pour retenir que l’employé aurait commis une faute grave, même en admettant que l’employé avait reçu l’avertissement du 25 octobre 2022, ce que A______ SA n’avait pas prouvé. Dès lors, cette dernière, qui supportait le fardeau de la preuve, n’était pas parvenue à démontrer l’existence de justes motifs au licenciement donné avec effet immédiat, lequel était injustifié.
Selon l’art. 337 CO, l’employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).
Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle et doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (…). Par manquement, on entend généralement la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure; ainsi, une infraction pénale commise au détriment de l’autre partie constitue en règle générale un motif justifiant la résiliation immédiate. Lorsque les faits invoqués à l’appui d’un congé immédiat concernent le comportement de l’autre partie, ils doivent être objectivement propres à détruire le rapport de confiance mutuelle qui est essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement être exigée, ne serait-ce que jusqu’à la fin ordinaire de ces derniers (…).
Il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d’en établir l’existence (art. 8 CC).
Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC).
Un acte agressif, une menace, voire des insultes, peut, selon les circonstances, justifier ou non un licenciement immédiat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_60/2014 précité consid. 3.3; 4C.247/2006 du 27 octobre 2006 consid. 2.6; 4C.435/2004 du 2 février 2005 consid. 4.4). En règle générale, l’injure grave unique proférée par le travailleur à l’adresse de son employeur (en l’absence de collègues ou clients) ne justifie un congé immédiat que si la situation de tension accrue qui s’est manifestée dans les gros mots en question ne relève pas d’un comportement non conforme au contrat ou à la loi de la part de l’employeur lui-même. Ce dernier ne doit donc rien avoir à se reprocher. En revanche, lorsque l’injure grave est proférée devant des collègues ou devant les patients d’un cabinet médical, l’atteinte est si grave qu’elle justifie un licenciement immédiat. C’est également le cas lorsque les injures ont lieu dans le cadre de discussions privées sur internet mais qui sont accessibles à des tiers, notamment les collègues. Des insultes telles que « gros con » et « pédé », aggravées de menaces, justifient typiquement une résiliation immédiate, sans avertissement préalable (….
Il faut distinguer l’infraction due à un état d’énervement et de perte de maîtrise de celle commise avec une intention de nuire à l’employeur.
En l’espèce, il est établi qu’une altercation a opposé, le 2 février 2023, D______, gérant du restaurant exploité par l’appelante, et l’intimé. L’appelante, qui supportait le fardeau de la preuve, n’est toutefois pas parvenue à démontrer que le comportement de l’intimé avait atteint un degré de gravité suffisant pour justifier son licenciement immédiat.
Il sera tout d’abord relevé que l’appelante n’a pas hésité à soutenir, dans son mémoire réponse du 16 août 2023, que l’intimé avait menacé D______ au moyen d’un couteau. Cette version des faits a toutefois été infirmée par les images vidéo ainsi que par les déclarations de E______, et l’appelante elle-même a renoncé à l’invoquer à nouveau dans son acte d’appel, D______ n’ayant, sur ce point, pas confirmé le contenu du mémoire réponse de l’appelante lors de son audition par le Tribunal. L’altercation ayant donné lieu au licenciement immédiat n’a donc jamais atteint le degré de gravité allégué par l’appelante dans un premier temps.
Il résulte certes des images vidéo et des déclarations de E______ que le ton était monté entre l’intimé et D______, que le premier s’était adressé au second en le pointant du doigt et que les deux protagonistes avaient failli en venir aux mains, sans toutefois passer à l’acte. Il peut sans doute être retenu que l’intimé n’avait pas apprécié l’intervention de D______ ; ce dernier semblait toutefois également énervé, puisque l’appelante a expliqué dans sa réponse du 16 août 2023 qu’il avait claqué la porte en sortant de la cuisine afin de marquer son mécontentement, et ce au mépris de la tranquillité de la clientèle, qu’il prétendait pourtant vouloir préserver. Aucun élément concret ne permet par ailleurs de retenir que l’intimé aurait insulté ou proféré des menaces à l’encontre de D______. L’appelante ne l’a pas soutenu et E______ n’en a pas fait état. G______, arrivé sur place après l’altercation, n’avait pour sa part pas constaté qu’il s’était passé quelque chose de grave ; quant à H______, qui s’était entretenu au téléphone avec D______ immédiatement après les faits, il s’est contenté d’indiquer devant le Tribunal qu’il «savait qu’il y avait eu des insultes entre les parties, ainsi que des menaces de la part de l’intimé », sans pouvoir être plus précis. Or, cette déclaration, émanant d’une personne n’ayant pas assisté à l’altercation, est en contradiction avec le témoignage de E______ et n’est pas corroborée par le mémoire réponse de l’appelante du 16 août 2023.
Au vu de ce qui précède, il ne saurait être retenu que l’intimé a menacé D______ au moyen d’un couteau, ni qu’il l’a injurié, ni même qu’il l’a menacé verbalement. L’altercation résultait par conséquent d’un état d’énervement des deux intéressés et le comportement adopté par l’intimé n’a pas atteint un degré suffisant justifiant son licenciement avec effet immédiat.
Le second motif de licenciement figurant dans le courrier du 2 février 2023, à savoir le non-respect des directives par l’intimé, n’a pas été corroboré par les témoins entendus. Une éventuelle violation desdites directives, soit, selon les allégations de l’appelante dans sa réponse du 16 août 2023, la prise de pauses cigarettes sans respecter les horaires prévus sur le planning, n’aurait, quoiqu’il en soit, pas justifié un licenciement avec effet immédiat, étant relevé pour le surplus que l’appelante n’est pas parvenue à démontrer avoir notifié à l’intimé son courrier d’avertissement du 25 octobre 2022.
Compte tenu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que le licenciement de l’intimé avec effet immédiat était injustifié.
(CJ GE Chambre des prud’hommes arrêt CAPH/88/2024 du 13.11.2024)
Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM
