Sanction disciplinaire contre un avocat UE AELE: obligation d’informer le barreau d’origine

A.________, de nationalité brésilienne, exerce la profession d’avocat à Genève. Il est titulaire d’un baccalauréat universitaire brésilien en droit, obtenu en 1991, ainsi que d’un bachelor en droit suisse et d’un master en droit international et européen, tous deux délivrés par la faculté de droit de l’Université de Genève en 2009 respectivement 2013.

A.________ est inscrit au registre des avocats du Brésil (depuis juillet 2017) et à celui du Portugal (depuis décembre 2017), ainsi qu’au tableau genevois des avocats des États membres de l’UE/AELE depuis 2018.

Le 25 octobre 2021, la Présidente du Tribunal pénal de la République et canton de Genève a dénoncé A.________ à la Commission du barreau de la République et canton de Genève (ci-après: la Commission du barreau) au motif que, lors de trois audiences au cours desquelles celui-ci avait assisté des prévenus en qualité de défenseur d’office, les magistrats qui siégeaient avaient constaté que l’intéressé ne maîtrisait pas suffisamment la langue française; il ne saisissait pas le sens de certaines questions qui lui étaient posées et, lorsqu’il plaidait, les juges ne comprenaient pas certains mots qu’il prononçait.

B.a. Après avoir instruit l’affaire, la Commission du barreau a, par décision du 16 janvier 2023, prononcé un avertissement à l’encontre de A.________ pour violation de son devoir de diligence. 

Par arrêt du 30 janvier 2024, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours de A.________ à l’encontre de la décision susmentionnée. Les manquements reprochés étaient suffisamment importants, tant sur le plan objectif que subjectif, pour justifier une sanction disciplinaire et celle-ci était proportionnée. 

Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d’annuler l’arrêt du 30 janvier 2024 de la Cour de justice et la décision du 16 janvier 2023 de la Commission du barreau, subsidiairement, de renvoyer la cause à cette commission pour une nouvelle décision dans le sens des considérants.

La Commission du barreau relève que l’intéressé soulève pour la première fois le grief portant sur son omission d’informer l’autorité de surveillance portugaise en lien avec la procédure disciplinaire (cf. art. 29 de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats [loi sur les avocats, LLCA; RS 935.61]). La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. L’Office fédéral de la justice soutient en substance que la violation de l’art. 29 LLCA ne devrait pas justifier l’annulation de l’arrêt attaqué.  (…)

Le litige porte sur l’avertissement infligé au recourant [avocat UE/AELE]  pour violation de ses devoirs professionnels: il avait agi en tant que défenseur d’office dans des procédures pénales sans maîtriser suffisamment la langue française, ce que des magistrats avaient dénoncé.

Dans un premier grief, le recourant se plaint d’une violation de l’art. 29 LLCA. La Commission du barreau n’aurait pas informé l’autorité compétente portugaise de son intention d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de l’intéressé, enfreignant ainsi cette disposition.

La Commission du barreau allègue qu’il s’agissait d’une omission involontaire et que le recourant n’avait pas soulevé ce point dans la procédure de première instance ni dans celle devant la Cour de Justice.

Le recourant invoque pour la première fois ce grief devant le Tribunal fédéral, ce qu’il est admis à faire. En outre, est en cause l’art. 29 LLCA. Or, le Tribunal fédéral applique le droit fédéral d’office. Il convient donc de traiter ce moyen. 

 La loi sur les avocats détermine notamment les modalités selon lesquelles les avocats ressortissants des États membres de l’Union européenne peuvent pratiquer la représentation en justice (art. 2 al. 2 let. a LLCA). Les art. 27 à 29 LLCA règlent l’exercice permanent de la profession d’avocat, sous le titre d’origine, par les avocats ressortissants de ces États. D’après l’art. 27 al. 1 LLCA, l’avocat ressortissant d’un État membre de l’Union européenne habilité à exercer dans son État de provenance peut pratiquer la représentation en justice en Suisse à titre permanent, sous son titre professionnel d’origine, après s’être inscrit au tableau. 

L’art. 29 LLCA, intitulé « Coopération avec l’autorité compétente de l’État de provenance », prévoit:

« 1 Avant d’ouvrir une procédure disciplinaire contre un avocat ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE exerçant de manière permanente en Suisse sous son titre d’origine, l’autorité de surveillance informe l’autorité compétente de l’État de provenance.

2 L’autorité de surveillance coopère avec l’autorité compétente de l’État de provenance pendant la procédure disciplinaire en lui donnant notamment la possibilité de déposer des observations. »

Selon le message du 28 avril 1999 concernant la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (FF 1999 5379, n° 234.33), la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO L 77 du 14.3.1998) prévoit une certaine coopération entre les autorités compétentes de l’État d’accueil et celles de l’État de provenance. Ceci découle de la double inscription de l’avocat auprès des autorités compétentes de l’État de provenance et au tableau cantonal. Cette double inscription implique un double assujettissement: aux règles professionnelles de l’État de provenance d’une part et aux règles professionnelles de l’État d’accueil d’autre part. Toujours selon le Message, la communication prévue à l’art. 7 al. 2 de la directive 98/5/CE (selon lequel, avant d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine, l’autorité compétente de l’État membre d’accueil en informe dans les plus brefs délais l’autorité compétente de l’État membre d’origine en lui donnant toutes les informations utiles) n’a qu’un caractère formel; elle n’est donc pas de nature à retarder l’ouverture d’une procédure disciplinaire en Suisse. La directive ne précise pas la forme que doit revêtir cette communication. 

La doctrine précise que la coopération prévue à l’art. 29 LLCA est particulièrement importante en matière disciplinaire du fait que l’avocat migrant demeure inscrit auprès de l’autorité compétente de son État de provenance et qu’elle tend à éviter que les règles disciplinaires de l’un ou l’autre État ne soient éludées (…). La communication de l’ouverture d’une procédure disciplinaire permet à l’autorité compétente de l’État de provenance de prendre position avant l’ouverture de la procédure dans l’État d’accueil (…), puis pendant celle-ci et, le cas échéant, de se prononcer sur la mesure disciplinaire, le tout de manière consultative (….). 

 L’intéressé allègue être ressortissant portugais sans le démontrer et alors que l’arrêt attaqué fait uniquement état de sa nationalité brésilienne. Toutefois, il ressort de cet arrêt qu’il est inscrit, outre au registre des avocats du Portugal depuis décembre 2017, au tableau genevois des avocats des États membres de l’UE/AELE depuis 2018. Or, pour pratiquer la représentation en justice en Suisse et être inscrit au tableau (cf. art. 28 LLCA), l’art. 27 LLCA pose deux conditions: être ressortissant d’un État membre de l’Union européenne et être habilité à exercer dans son État de provenance. Ainsi, dès lors que le recourant est inscrit au tableau des avocats genevois et pratique devant les tribunaux de ce canton, il a dû démontrer sa nationalité portugaise aux autorités administratives compétentes. Il convient donc de compléter l’état de fait retenu par l’autorité précédente en ce sens.

 Il apparaît que l’art. 29 al. 1 LLCA impose à l’autorité de surveillance d’un canton voulant ouvrir une procédure disciplinaire contre un avocat ressortissant d’un État membre de l’UE/AELE et exerçant de manière permanente en Suisse sous son titre d’origine d’en informer l’autorité de surveillance compétente de l’État de provenance. Or, en l’espèce, la Commission du barreau, de son propre aveu, n’a pas procédé en ce sens et n’a pas communiqué avec son homologue portugaise. De plus, selon l’art. 29 al. 2 LLCA, ladite commission aurait également dû offrir la possibilité à celle-ci de, notamment, déposer des observations, ce qui n’a pas été fait. Il résulte de ce qui précède que la Commission du barreau a violé l’art. 29 LLCA. 

 Le recourant prétend que la conséquence de cette violation est la nullité de l’arrêt attaqué.  (…)

En l’occurrence, la décision litigieuse est certes viciée, mais on ne se trouve manifestement pas dans un cas exceptionnel de nullité, étant précisé qu’aucune disposition de la loi sur les avocats ne prévoit la nullité d’une décision pour ce cas de figure. L’absence de communication avec l’autorité de surveillance portugaise (cf. art. 29 al. 1 LLCA), qui ne possède qu’un caractère formel selon le Message, relative à la volonté d’ouvrir une procédure à l’encontre du recourant, ainsi que l’omission de lui offrir la possibilité de se prononcer (cf. art. 29 al. 2 LLCA) ne peuvent être qualifiées de vice grave. En effet, l’autorité étrangère n’est inclue dans la procédure disciplinaire que de manière consultative. La violation de l’art. 29 LLCA n’entraîne donc pas la nullité de la décision viciée mais uniquement son annulation. Dans ce cas, la cause est renvoyée à l’autorité de surveillance pour une nouvelle décision une fois l’art. 29 LLCA respecté.

 (TF 2C_144/2024 du 6 novembre 2024, destiné à la publication)

Me Philippe Ehrenström, avocat, LLM

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Ce blog présente certains thèmes juridiques en Suisse ainsi que des questions d'actualité. Il est rédigé par Me Philippe Ehrenström, avocat indépendant, LL.M., Yverdon-les-Bains
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2 Responses to Sanction disciplinaire contre un avocat UE AELE: obligation d’informer le barreau d’origine

  1. Avatar de thoughtfully1ff1ff5933 thoughtfully1ff1ff5933 dit :

    Je ne pense pas que cela changera quelque chose avec le renvoie de la cause à la Cour. Cet avocat ne maitrise pas la langue. La sanction est bien mérité.

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